Mémoire: Le borderscape européen à l’épreuve du Covid-19

Les Îles Canaries comme décor du nouveau border play

Andrea Gallinal Arias
Mémoire de Master 2, Dynamique politiques et mutations des sociétés,
Institut d’études politiques, Aix-en-Provence, 2021

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Dans ce mémoire, je vise à explorer la convergence entre la pandémie de Covid-19 et l’événement migratoire survenu dans l’archipel des Canaries, en Espagne, au cours de l’année 2020, en me concentrant plus spécifiquement sur l’île de Gran Canaria. En ce sens, je questionne le développement de cet événement en tant que crise et les effets de la gestion de l’urgence qui en découle sur la reconfiguration des acteurs et la matérialité de la frontière européenne des îles Canaries. J’aborde également les transformations du paysage politique insulaire depuis cet événement et la montée de l’extrême droite. L’objectif de ce mémoire est de penser, à travers l’exemple des îles Canaries, l’effet que la pandémie de Coronavirus aura sur d’autres frontières européennes.

La route migratoire atlantique des îles Canaries, considérée comme quasiment obsolète depuis une dizaine d’années, est revenue sur le devant de la scène internationale au cours de l’année 2020. En effet, les autorités espagnoles ont signalé une augmentation de 881% du nombre de migrants arrivant sur ses côtes par rapport à 2019 (PE, 2021). Quelque 22 000 personnes ont atteint les îles en provenance de diverses enclaves du Maroc, du Sahara occidental et d’Afrique de l’Ouest, une tendance qui s’est poursuivie au cours de cette année 2021 (Bautista, 18 mai 2021). Si ce chiffre peut sembler relativement faible par rapport à d’autres zones frontalières d’Europe, l’archipel a été complètement dépassé par cette situation, principalement en raison du contexte déjà complexe généré par l’épidémie de Covid-19.

Photo Andrea Gallinal, 2021

J’aborde cette arrivée soudaine de migrants comme un événement au sens où Alain Badiou le définit, c’est-à-dire comme un processus par lequel le surgissement d’une situation met en échec les modes opératoires par lesquels nous composons avec notre environnement (Badiou, 2007). Ici, l’émergence soudaine et radicale de populations exclues sur la scène sociale, en l’occurrence les migrants irréguliers, est venue perturber l’apparence de normalité et a ouvert un processus de reconfiguration de la réalité. Bien que l’arrivée de migrants irréguliers dans l’archipel des Canaries soit un phénomène récurrent et, en ce sens, prévisible, son articulation avec la pandémie de Covid-19 a créé un événement sans précédent sur l’île qui a laissé cette partie de la frontière européenne sans les outils pour faire face à la situation. La gestion des frontières dans les îles dans le contexte épidémique actuel a dû être adaptée par le biais de nouveaux mécanismes et acteurs afin de garantir que les migrants soient gérés conformément aux restrictions sanitaires. Le manque de préparation logistique et stratégique de l’archipel pour répondre à cet événement a généré un bricolage institutionnel qui a été, comme j’ai pu le constater sur le terrain, une source de contradictions et de vulnérabilités à tous les niveaux : un système d’accueil des migrants complètement dépassé en termes de nombre ; des structures d’accueil médiocres qui ont dû être assistées par de nouvelles structures comme des hôtels ou des macro-camps ; des politiciens et des travailleurs sociaux épuisés ; des immigrants désespérés et confus ; et une population locale polarisée succombant aux théories conspirationnistes et aux manifestations xénophobes.

En ce sens, l’objectif de ce mémoire est d’analyser comment l’émergence du Covid-19 a conduit à l’effondrement du fragile système d’accueil des îles Canaries et a forcé une reconfiguration profonde de l’infrastructure et de la politique frontalière et, par conséquent, des collectifs impliqués dans son fonctionnement formel et informel. La question de l’impact de la pandémie sur les modes de gestion des frontières de l’Europe semble significative pour deux raisons. Premièrement, la diffusion des vaccins Covid-19 ne semble pas nécessairement garantir la fin de la pandémie, comme le montre déjà la tendance dans certains pays (Genoux, 11 avril 2021). Ensuite, le fait que les politiques de vaccination ne soient mises en œuvre que dans les pays les plus privilégiés peut conférer à la mobilité internationale un rôle clé dans l’évolution de la situation sanitaire (Héran, 2020), comme le montre la création du Programme mondial de l’OMS pour la santé et la migration (OMS, 2020). L’analyse de la reconfiguration du scénario de la frontière européenne aux Canaries pourrait, par effet de loupe, fournir une illustration des questions que la pandémie va soulever dans les années à venir en termes de gestion des frontières et de la mobilité en Europe.

Mon questionnement s’articule autour de trois axes principaux : la transformation d’un événement migratoire en crise ; les réponses des différents acteurs impliqués et l’impact de ces actions sur le paysage frontalier de l’île ; et l’articulation de l’événement migratoire avec la transformation de la composition politique de l’archipel.

Tout d’abord, j’aborde la manière dont l’événement migratoire sur l’île de Gran Canaria a été progressivement présenté comme une crise. Comme Cuttitta l’explique pour l’île de Lampedusa, les crises sont généralement créées et  » performées  » par des mesures et des pratiques politiques comme moyen de gouverner la migration (2014), ce qui permet la mise en œuvre de procédures de contrôle supplémentaires. En outre, les îles sont des lieux particuliers qui, en matière de migration, attirent une attention médiatique extraordinaire (Bernardie-Tahir et Schmoll, 2014 ; Cuttitta, 2014) et où la réalité et les implications de la migration irrégulière prennent des formes exacerbées (Bernardie-Tahir et Schmoll, 2014), ce qui facilite la mise en scène des crises migratoires. En ce sens, je suggère que les mesures d’urgence déployées pour la gestion de la pandémie de Coronavirus sur le territoire espagnol ont facilité la reconfiguration de cet événement migratoire en crise. Il semble alors approprié de s’interroger sur l’articulation entre la pandémie et l’événement migratoire, sur le devenir d’une crise perçue, ainsi que sur les acteurs impliqués dans ce processus.

Dans un deuxième temps, je traite de la manière dont les réactions des autorités et des acteurs locaux déployés afin de maîtriser la crise ont contribué à la transformation du borderscape canarien. Je privilégie la notion de borderscape à celle de frontière car, d’une part, elle me permet de mettre en évidence la nature fluide et changeante des frontières (Bernardie-Tahir & Schmoll, 2014 ; Brambilla, 2014) et de me concentrer sur les relations entre les différents collectifs qui la composent : les confrontations, contradictions, alliances et concessions à différents niveaux qui ont émergé dans ce contexte changeant. D’autre part, elle me permet de délocaliser la frontière à la fois dans l’espace et dans le temps (Brambilla, 2015 ; Perera, 2007), en appréhendant tous les acteurs -humains ou non- qui interviennent avant dans le temps et loin dans l’espace : c’est le cas des directives et lois européennes qui ont un rôle central en la matière sur le territoire des Canaries.

Dans ce sens, je me concentre sur la manière dont la réponse à la  » crise  » migratoire a reconfiguré les relations entre les différents acteurs présents dans cet espace, ainsi que sur l’émergence de nouveaux acteurs. Plusieurs auteurs ont étudié l’émergence d’organisations citoyennes et d’ONG comme réponse aux urgences migratoires (Cuttitta, 2018 ; Danese, 2001), cependant, au cours de mon travail de terrain, j’ai pu observer l’émergence d’acteurs privés acquérant un rôle central dans le système d’accueil. Dans le vide généré par le manque de moyens de l’État espagnol, des propriétaires de différents hôtels ont réussi à s’organiser dans le but d’offrir une réponse digne à l’urgence d’accueil sur l’île. D’autres acteurs, déjà existants, ont dû ajuster leurs modes de fonctionnement pour s’adapter à la situation sanitaire. J’évalue ainsi les changements provoqués par ces réactions au niveau des collectifs locaux : la redistribution des rôles, leurs compositions, leurs limites.

Enfin, j’aborde les transformations du tissu politique et social de l’île à travers la gestion de l’événement migratoire. Lors de mon séjour à Gran Canaria, j’ai pu clairement constater l’émergence et la recrudescence d’un discours xénophobe jusqu’alors inconnu ainsi que de nouvelles pratiques et formes de solidarité. Cela me permet de postuler que l’événement migratoire va au-delà de la gestion logistique et stratégique du phénomène, mais qu’il a également un impact sur la composition politique et l’imaginaire collectif d’une société. En ce sens, j’aborde les réactions de la population locale à la gestion de la situation migratoire, ainsi que l’instrumentalisation politique de cet événement par les partis politiques d’extrême droite.

Méthodologie, sources et terrains

Cette recherche est le résultat d’un travail de terrain de deux mois réalisé en janvier et février 2021 sur l’île de Gran Canaria. Mon étude se base sur trois types de matériaux d’analyse : un travail ethnographique dans différents milieux lors de mon séjour sur l’île, des entretiens avec différents représentants de collectifs impliqués dans le domaine de la gestion des migrations et des articles de presse à travers lesquels j’ai pu construire une chronologie des événements, aussi bien pendant mon séjour sur l’île qu’à distance avant et après mon travail de terrain.

En ce qui concerne mon travail ethnographique, j’ai pu obtenir des informations de première main grâce à l’observation participante pendant mon travail en tant que volontaire dans deux grandes associations qui géraient deux centres d’accueil pour immigrants. Après un peu moins de deux semaines sur l’île de Gran Canaria, j’ai pu commencer à travailler comme professeure d’espagnol bénévole dans l’un des centres pour femmes migrantes de la Fondation Croix Blanche. Ce premier contact avec l’organisation m’a permis, plus tard durant mon séjour, de visiter l’un des macro-camps construits pour répondre à la situation migratoire sur l’île, puisqu’il était géré par la même association. Quelque temps plus tard, j’ai également pu rejoindre l’équipe du Centre d’Accueil Intégral (CAI) de Tafira, dans la banlieue de la capitale Las Palmas, géré par la Croix Rouge. Ce centre, où j’ai également travaillé en tant que professeure d’espagnol, accueillait uniquement des familles originaires du Maroc et du Sahara occidental. Ces deux expériences ont été particulièrement enrichissantes sur le plan personnel, notamment en ce qui concerne les relations interpersonnelles que j’ai pu établir avec plusieurs des résidents. En outre, elles m’ont donné accès à des témoignages de première main sur les différentes phases du projet migratoire des migrants et sur l’attention reçue à leur arrivée sur les îles. Ce fut également une très bonne occasion de voir de l’intérieur comment fonctionne ce type de ressources d’accueil temporaire au niveau institutionnel et humain.

En plus de ce type d’observation participante, j’ai également utilisé l’observation flottante, très courante en anthropologie, pour décrire sur mon journal de terrain à la fois les lieux et les pratiques que j’ai observés dans ces différents environnements. Cette technique m’a été particulièrement utile lors des explorations dans les différents quartiers où les macro-camps s’étaient installés, ainsi que lors de mes différents déplacements dans le sud de l’île, où je me suis principalement concentrée sur l’observation des structures touristiques, vides en raison du Covid-19, et de la nouvelle forme que prenait le paysage avec la présence des centaines de migrants. Outre le travail ethnographique, j’ai également pu réaliser un total de six entretiens avec différents représentants d’organisations et d’acteurs impliqués d’une manière ou d’une autre dans la gestion de l’accueil des migrants sur l’île de Gran Canaria.

Lors de mes rencontres avec les migrants eux-mêmes, j’ai décidé de privilégier le format de la conversation informelle à celui de l’entretien arrangé car il me semblait plus approprié au contexte. Étant donné la situation dans laquelle beaucoup d’entre eux se sont trouvés à leur arrivée sur les îles – confus, ayant vécu des moments de grande tension, parfois traumatisants, et très méfiants quant au type de relation qu’ils établissaient – les conversations informelles m’ont semblé la meilleure option pour favoriser la construction d’une relation de confiance et aussi pour préserver et respecter la situation de vulnérabilité dans laquelle beaucoup d’entre eux se trouvaient.

Les relations que j’ai pu établir avec les migrants, à l’intérieur et à l’extérieur des structures d’accueil, ont été la partie la plus enrichissante de mon travail de terrain. Cependant, elles ont également été les plus complexes : étant donné que la plupart des migrants avec lesquels j’ai pu parler en dehors des centres d’accueil étaient dans des situations difficiles, où ils se sentaient désespérés et frustrés, j’ai rapidement compris que mes efforts pour leur tendre la main pouvaient rapidement se transformer en une relation de dépendance. Si je donnais mon numéro de téléphone pour un contact ultérieur, je recevais des messages et des appels à toute heure. En ce sens, j’ai dû prendre du temps pour comprendre où et comment fixer les limites dans ce type de relation. Après réflexion, j’ai décidé que j’étais effectivement intéressée à nouer des relations humaines au-delà de mon objet d’étude. Je ne voulais pas simplement obtenir des informations de ces personnes en ignorant leur situation personnelle. Mais pour ce faire, je devais être assez sélective quant aux personnes avec lesquelles je facilitais mon contact personnel et celles avec lesquelles je ne le faisais pas. Ainsi, bien que mes échanges aient été multiples et avec de nombreux immigrants différents, j’ai privilégié l’établissement d’une relation de confiance avec un total de quatre personnes que je voyais régulièrement et avec lesquelles j’étais aussi personnellement impliqué. Cette sélectivité m’a permis d’avoir un accès privilégié à des informations de première main sur la situation dans les différents hôtels et les expériences matérielles et psychologiques à l’intérieur de ceux-ci, sans devoir négliger les relations personnelles établies puisque j’avais le temps de répondre à tous les messages ou appels.

Enfin, depuis le début du mois d’octobre 2020, j’ai commencé à travailler sur une revue de presse avec différents articles publiés par différents médias numériques. Cela m’a permis d’avoir une chronologie exhaustive de tous les événements importants qui se produisaient au fur et à mesure de l’évolution de la situation. Cela m’a également permis de suivre la reproduction des faits dans les médias, ce qui a également facilité l’identification des discours positionnés contre et en faveur du séjour des migrants sur l’île. Travailler avec la presse écrite dans différentes langues (espagnol, anglais, français) m’a également permis d’analyser la façon dont les événements ont été perçus dans la sphère internationale.
Grâce à ces trois sources d’information, j’ai pu construire mon analyse de la situation aux Canaries avant, pendant et après mon travail de terrain sur l’île de Gran Canaria.

Photo Andrea Gallinal, 2021

Les défis de mon travail de terrain : réflexions sur le genre

Il y a un élément important qui s’est distingué au cours de mon travail de terrain et que je voudrais aborder séparément : le fait d’être une chercheuse en contact avec des interlocuteurs principalement masculins. Je n’aborderai ici que la partie de mon travail de terrain relative à mon contact avec les migrants eux-mêmes en dehors des centres d’accueil dans lesquels je donnais des cours d’espagnol.

Tous les migrants que j’ai pu voir et à qui j’ai pu parler, à l’exception des deux centres où j’ai travaillé comme bénévole, étaient de jeunes hommes. En ce sens, les comportements et commentaires sexistes ou sexualisés étaient assez récurrents. Gurney décrit l’intimidation sexuelle à laquelle les chercheuses sont souvent exposées comme  » une gamme allant du comportement de flirt et des remarques sexuellement suggestives à la proposition sexuelle ouverte  » (1985). L’une des plus grandes difficultés lors de mon approche des jeunes migrants masculins a été les tentatives constantes de drague qui discréditaient complètement la position de chercheur dans laquelle je voulais me maintenir. En général, trois réactions étaient possibles lorsque je m’approchais pour parler aux jeunes hommes : une réponse timide et respectueuse ; une tentative d’approche avec des compliments et des questions sur ma vie personnelle ; ou, très souvent, ils voulaient simplement prendre des photos de moi ou avec moi. Les deux dernières réactions étaient assez inconfortables et, bien que le comportement de harcèlement ne soit pas quelque chose de spécifique à ce contexte particulier, puisque j’y suis confrontée dans ma vie quotidienne, dans cette situation il y avait une difficulté supplémentaire : comment devais-je réagir ?

Gurney souligne qu’un « minimum de tolérance est nécessaire à l’égard de tout comportement que les répondants peuvent manifester, sinon très peu de recherches sur le terrain seraient accomplies », mais « la question de savoir où fixer la limite » et comment est plutôt difficile (1985). Il est évident que je ne pouvais pas réagir dans ce contexte comme je le ferais dans ma vie de tous les jours, car il était dans mon intérêt de me rapprocher de ces personnes. La capacité de parler français a grandement facilité mon approche des migrants que j’ai rencontrés sur l’île. Comme ils me l’ont dit, le fait d’être ignoré par la plupart de la population locale, voire relativement maltraité, faisait de mon approche un événement inhabituel. Cela a été très souvent interprété de leur part comme un intérêt de nature romantique ou sexuelle. Plusieurs des hommes avec lesquels j’ai établi un contact plus solide m’ont expliqué qu’ils ne comprenaient pas pourquoi j’étais si gentil avec eux par rapport au reste des personnes qu’ils rencontraient. Au début, j’ai été obligé de justifier constamment ma gentillesse à leur égard, non pas par intérêt romantique, mais simplement par respect. Les questions sur mon état civil, si j’avais un petit ami, si j’étais mariée, revenaient régulièrement.

Face aux compliments et aux commentaires concernant mon apparence physique, j’essayais de les ignorer ou de simplement sourire. Petit à petit, j’ai commencé à développer des mécanismes me permettant d’éviter les questions gênantes concernant ma vie personnelle. J’ai remarqué que, comme le fait remarquer Gurney,  » le harcèlement sexuel est plus susceptible de se produire lorsque la femme est perçue comme célibataire ou sans attache avec un homme  » (1985). J’ai donc commencé à répondre à chaque occasion que j’étais mariée, ce qui semblait être un prétexte suffisant pour combattre le harcèlement, du moins dans une certaine mesure. Malgré cela, je devais encore faire face à des situations dans lesquelles je me trouvais certainement mal à l’aise. Je citerai en particulier le moment où l’un de mes interlocuteurs a tenté à plusieurs reprises de m’embrasser, alors que je lui avais clairement fait comprendre que je n’étais pas du tout intéressée. À une autre occasion, une autre personne avec laquelle j’ai essayé d’établir un contact a insisté pour m’épouser, même lorsque je lui ai dit que j’avais un partenaire. Encore une fois, dans ces occasions, trouver la bonne réaction n’a pas été facile et, en y repensant, je pense que j’aurais dû réagir plus fortement. Cependant, la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvaient ces personnes m’a également incitée à ne pas générer d’autres conflits avec elles.
Le fait d’être une femme, dans ce contexte, a également été bénéfique car cela m’a permis d’approcher plus facilement mes interlocuteurs, même si cela a généré des situations non souhaitées. Il est clair que si j’avais été un homme, je n’aurais pas eu à subir bon nombre des commentaires, des regards ou des comportements auxquels j’ai dû faire face en tant que femme, mais il est également probable qu’une présence masculine et une éventuelle approche en tant qu’homme auraient généré plus de méfiance chez mes interlocuteurs. Être une jeune femme a été, en ce sens, à la fois un avantage et un inconvénient.

Photo Andrea Gallinal, 2021

Contenu

Ce mémoire se compose de trois parties et de huit chapitres. Le découpage des différentes parties correspond à la logique explicative qui guide l’analyse.
Dans la première partie, je contextualise la convergence de la pandémie et de l’événement migratoire dans les îles et je questionne son caractère supposé imprévisible. J’examine également la construction de ce double événement comme une crise et comment cette catégorisation a impacté l’évolution des différents mécanismes institutionnels d’urgence développés au cours des derniers mois. Enfin, j’établis une comparaison entre la situation migratoire des Canaries en 2020 et celle de l’île de Lampedusa à la même période, dans le but de contextualiser la situation de l’archipel espagnol dans un panorama européen plus large.

Dans la deuxième partie de ce mémoire, je me concentre sur les différentes phases de développement et de mise en œuvre des systèmes de gestion et d’accueil des migrants. J’entends présenter ici la reconfiguration du paysage frontalier canarien à travers la recomposition des différents collectifs qui le constituent. Après un premier moment où le manque de moyens et de ressources de la part du gouvernement central est devenu évident, ce dernier a lancé le Plan Canarias, une feuille de route qui visait à mettre fin à la situation d’urgence vécue jusqu’alors. En ce sens, je me concentre ici sur l’utilisation des hôtels comme centres d’accueil temporaires et toutes leurs implications, ainsi que sur la mise en œuvre et la gestion des différents macro-camps établis sur l’île de Gran Canaria grâce à ce nouveau plan.
Enfin, dans la troisième partie, je me concentre sur les implications de la nouvelle infrastructure migratoire qui émerge de la recomposition du paysage frontalier des îles. Ainsi, j’analyse les nouvelles pratiques de ce système, basées sur des mobilités contraintes et des temporalités en expansion pour les migrants. J’aborde également les conséquences sociales et politiques résultant de la gestion de l’urgence de ce double événement. En ce sens, je fais principalement référence à l’augmentation et à l’expansion du discours xénophobe sur l’île, ainsi qu’à l’instrumentalisation de cette agitation par diverses formations politiques, notamment d’extrême droite, afin d’obtenir un levier politique.

Photo Andrea Gallinal 2019

Références bibliographiques

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