Recherche, arts et pratiques numériques #32: Robots, miroirs fragiles ?

Mercredi 08 avril 2020
09h30-12h
Ecole Supérieure d’Art d’Aix en Provence Felix Ciccolini,
Amphithéâtre
Rue Émile Tavan
13100 Aix-en-Provence

Entrée libre

Robots, miroirs fragiles ?

Une proposition organisée en collaboration avec France Cadet, artiste, professeure à l’école d’art d’Aix en Provence

Zaven Paré, chercheur en robotique et artiste, résident à l’IMéRA

Robots, miroirs fragiles ?

Lorsqu’on roule en voiture, on se déplace dans un espace bidimensionnel de A à B, lorsqu’on se déplace en avion il s’agit d’un espace tridimensionnel et sans doute qu’avec les robots, il serait possible d’émettre l’hypothèse de nouveaux véhicules qui donneraient la possibilité de se déplacer non plus simplement dans un espace géométrique, mais dans une autre dimension, telle celle qu’on expérimente lorsqu’on se regarde dans un miroir. L’ubiquité proposée par certains dispositifs robotisés permettrait par exemple de se télérobotiser dans des corps mécaniques plus ou moins éloignés. Les robots anthropomorphiques ne seraient plus simplement une imitation, mais pourraient bien être des sortes de véhicules, en tant qu’agents de dédoublement des hommes dans le cas de la communication par téléprésence. Les robots sont des facettes de ce jeu de miroir entre l’homme et son univers, proposant des modes d’interopérabilité nouveaux.
Considérer certains objets comme nos alter ego, nos compagnons ou ces sortes de miroirs ne serait donc pas exclu. Ainsi, dans un très grand nombre de cultures, les marionnettes constituent phylogénétiquement et ontologiquement des projections d’alter ego et, aujourd’hui, cette familiarité séculaire avec ces figures anthropomorphiques animées entraîne les robots dans leur filiation.

Extrait d’un dialogue avec le professeur Ishiguro Hiroshi à l’Advanced Telecommunication Research International Institute en 2013 (« The Art of Being Together with Robots : A Conversation with Professor Ishiguro Hiroshi », International Journal of Social Robotics, numéro hors-série, Londres, Springer, 2014, p. 129-136) :

Z.P. : Notre relation à nous-même se fait généralement à travers notre image dans les miroirs, les photos et le regard des autres. Quelle est la différence une fois que vous avez une copie de vous-même ?
I.H. : […] L’image dans le miroir n’est pas nous-même, au contraire, c’est une illusion […]. Si je compare une photo de moi à mon reflet dans le miroir, il s’agit de deux choses différentes.
Z.P. : Est-ce que le fait que vous vous êtes dupliqué change votre connaissance de vous-même ?
I.H. : Non, pas du tout, mais le geminoid est plus qu’une simple image. Généralement personne ne connaît sa propre apparence et son propre comportement. Ma secrétaire connaît mon comportement mieux que moi-même. Le geminoid est comme un frère jumeau, mais je ne peux pas me reconnaître en lui. Logiquement le geminoid est ma copie, et c’est tout.
Z.P. : Qu’est-ce qui va changer avec vos deux copies de vous-même ?
I.H. : Que voulez-vous dire ? Il se pourrait que je n’aie plus besoin de venir ici ou d’aller à l’université d’Ôsaka, par exemple.
Z.P. : Vous allez rester à la maison et contrôler les deux en même temps ?
I.H. : Oui, je pourrais le faire.

Les robots sont souvent présentés comme de nouvelles frontières de nos corps. Avec le théâtre des robots, il fut remarquable de pouvoir découvrir comment il était aussi possible de transformer une créature artificielle en être moral et fragile. Dans la première pièce avec l’andréide Geminoid F, à défaut d’un véritable dialogue, la poésie habitait la machine, elle grandissait le robot et le transformait en véritable « fable » humaine, un miroir d’Orphée, un rêve providentiel renvoyant l’image du miroir de notre impuissance.

Agnes Giard, anthroplogue, chercheuse au sein du projet EMTECH, Freie Universität Berlin et au laboratoire Sophiapol, Paris Nanterre

Robots faibles et poupées stupides : les créatures alternatives au Japon

Depuis le début du XXIe siècle, le gouvernement japonais qui refuse d’ouvrir les frontières mène une politique pro-robot afin que le travail soit confié à des machines « pour pallier au manque de bras ». Dopée par cette politique pro-robot, les ersatz d’humains se multiplient au Japon, notamment dans le domaine des relations sociales et émotionnelles. De façon très révélatrice, la plupart d’entre eux sont développés sur des modèles conceptuels très proches de ceux qui président à la fabrication des poupées de silicone. Ainsi que j’aimerais le démontrer, ces robots ne visent en effet pas à reproduire l’humain « en mieux », mais au contraire à en fournir une version « pathétique », sous des formes marquées par l’immaturité, la déficience ou l’infirmité. Pour le dire plus clairement : ces robots, en apparence, ne servent pas à grand-chose. Comment comprendre que les laboratoires japonais accouchent de prototypes qui s’inscrivent à rebours des attendus habituels en matière de robotique ? En comparant la fabrique des love dolls avec celle des robots sociaux, j’espère apporter un éclairage inédit sur ce phénomène.

Comité d’organisation

Cédric Parizot (IREMAM, CNRS/AMU), Jean Cristofol (ESAAix, PRISM AMU/CNRS), Jean-Paul Fourmentraux (Centre Norbert Elias, CNRS/AMU/EHESS), Anna Guillo (LESA, AMU/CNRS), Manoël Penicaud (IDEMEC, CNRS/AMU)

Recherche, art et pratiques numériques est un séminaire transdisciplinaire qui s’intéresse aux perturbations productives que génèrent les collaborations entre les chercheurs en sciences humaines et les artistes dans le domaine du numérique. Il s’inscrit dans la suite des réflexions et des expérimentations que nous avons menées à l’IMéRA dans le programme antiAtlas des frontières depuis 2011 tout en élargissant notre questionnement au-delà de la seule question des frontières. (lire la suite)

Photo: Zaven Paré, c5 bleu.

Recherche, arts et pratiques numériques #27: Image vs. data

Mercredi 6 novembre 2019
10h-13h
Pôle multimédia
Salle des colloques 2
29 avenue Robert Schuman
13080 Aix-en-Provence

Comité d’organisation:
Cédric Parizot (IREMAM, CNRS/AMU), Jean Cristofol (ESAAix, PRISM AMU/CNRS), Jean-Paul Fourmentraux (Centre Norbert Elias, CNRS/AMU/EHESS), Anna Guillo (LESA, AMU/CNRS), Manoël Penicaud (IDEMEC, CNRS/AMU)
Recherche, art et pratiques numériques est un séminaire transdisciplinaire qui s’intéresse aux
perturbations productives que génèrent les collaborations entre les chercheurs en sciences humaines et les artistes dans le domaine du numérique. Il s’inscrit dans la suite des réflexions et des expérimentations que nous avons menées à l’IMéRA dans le programme antiAtlas des frontières depuis 2011 tout en élargissant notre questionnement au-delà de la seule question des frontières.
[Lire la suite]

Des flux de données aux neurosciences

Marie-Laure Cazin, artiste et professeur à l’école supérieure des beaux-arts de Tours-Angers-Le Mans

– Cinéma et neurosciences

Ma communication s’appuiera sur un projet art-science qui propose le renouvellement de la forme cinématographique en utilisant des outils de captation de données cérébrales dédiés aux neurosciences. Le Cinéma émotif utilise des instruments de mesure physiologiques pour interpréter les émotions et propose une interaction implicite avec le spectateur. Il pourrait également être qualifié d’énactif, mais il se démarque en mettant son enjeu d’innovation sur l’interprétation émotionnelle du signal cérébral. Cela le met en résonance avec un imaginaire et des œuvres qui allient technologie et occultisme : transmission de pensées, représentation d’images mentales, télépathie, symptômes psycho-somatiques. Nous évoquerons aussi sa proximité avec certains dispositifs médicaux, qui traitent du rapport psycho-somatique et qui peuvent nous inspirer artistiquement pour créer de nouvelles formes.

Nous finirons par la présentation des derniers développements du Cinéma émotif en réalité virtuelle, le prototype EMOTIVE VR et son film pilote neuro-interactif en 360°, Freud, la dernière hypnose, qui correspond à la partie pratique de cette recherche.

Grégory Chatonsky, artiste et chercheur à l’ENS Ulm

– Un cerveau hors de soi : apprentissage, extinction, résurrection

En abordant les flux d’un point de vue historique comme étant le lieu de croisement et de conflit entre la nature, le corps et la technique, on verra comment la séquence contemporaine appartient en fait à une longue et profonde filiation : les réseaux de neurones artificiels, habituellement appelés « intelligence artificielle » rencontrent la possibilité d’une extinction de l’espèce humaine et du vivant en général ramenant la Terre à sa minéralité.

Terre Seconde (2019) et Suspension of Attention (2013) permettront de rendre sensible le lien historique entre l’extinction et la dite « intelligence artificielle ».

Jean-Marie DALLET, artiste et Maître de Conférences HDR, université Paris 8 – Vincennes, laboratoire AIAC [EA 4010])

– Architectures de mémoire

L’intervention s’intéressera à l’invention d’un design spécifique portant sur l’élaboration d’interfaces destinées à mettre en forme les mémoires. Cette question est ancienne. Depuis la Grèce, en effet, des techniques ont été imaginées pour ordonner les souvenirs et en autoriser un accès rapide et sûr : processions, palais de mémoire, architectures, par exemple. Aujourd’hui, avec la numérisation des informations et son corollaire, la construction d’ensembles complexes de documents, s’impose la création d’architectures virtuelles permettant l’organisation des données et la navigation au sein de collections mobiles ainsi constituées par les algorithmes.

Le Cédérom La troisième biennale de Lyon (RMN, 1995) réalisé par Jean-Marie Dallet, les consoles archives interactives MIM (Marey Interactif Multimédia, 2010–2011) et VIM (Vasulka Interactif Multimédia, 2014-2019) de même que les dispositifs interactifs Sky Memory Project (2013–2015) conçus par le SLIDERS_lab [F. Curien, J.-M. Dallet], le travail de Robert Edgar, Memory Theatre One (1985) serviront de fil conducteur à cette discussion.

Image principale : Jean Christophe Lett, 2019