Thèse : Les conditions de la migration des personnes aux prises avec les conflits irakiens (2013-2022)

Une anthropologie du quotidien sans perspectives

Mise en ligne 3 novembre 2023

Le 17 janvier 2023, Juliette Duclos-Valois soutenait à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris, sa thèse intitulée Les conditions de la migration des personnes aux prises avec les conflits irakiens (2013-2022). Une anthropologie du quotidien sans perspectives.

Présidé par Michel Naepels, le jury était composé de Hamit Bozarslan (directeur de la thèse), Marc Breviglieri (rapporteur), Cédric Parizot (rapporteur), Leyla Dakhli, Chowra Makaremi et Michel Naepels.

Juliette Duclos y propose une intéressante réflexion sur les conditions dans lesquelles s’opèrent ou non les migrations. Se démarquant radicalement des approches contextuelles et déterministes, elle offre une analyse ethnographique situationnelle et relationnelle des conditions d’émergence qui affectent les choix et les capacités d’agir des personnes avec lesquelles elle a travaillé. Son originalité tient au choix de rendre intelligible les parcours qui mènent soit aux installations prolongées de certains déplacés hors de chez eux, soit au refus de la migration. Compte tenu de son originalité, nous avons a choisi de publier la soutenance présentée par Juliette Duclos Valois, ainsi que le rapport établi par Cédric Parizot, rapporteur et membre du jury.

Extrait de la soutenance

Un mot, pour commencer, sur le sujet de la thèse lui-même. La thèse s’est intéressée aux conditions de la migration des personnes aux prises avec les conflits irakiens. Les enquêtes, dont la relation alimente le contenu de la thèse, se sont déroulées sur une période qui s’étale de l’année 2013 – date à laquelle l’État islamique commence à convertir ses prétentions politiques en expansion territoriale –, à l’année 2022. Il faut ajouter que cette recherche au long cours – et donc la durée dont elle a pu bénéficier –, m’a permis de véritablement prendre la mesure des conséquences de la guerre sur les trajectoires effectives des individus. Je nourris l’espoir – sinon l’ambition – que ce travail contribue à une compréhension renouvelée des mobilités, des déplacements internes de populations, a fortiori des migrations « longue distance » engendrées par la guerre.
S’emparer de la thématique migratoire pour travailler dans un pays comme l’Irak – traversé depuis de trop nombreuses années par des conflits violents –, pouvait assigner le cadre théorique de ma recherche à des paradigmes déterministes de deux natures. D’un côté, si je m’étais attachée à répondre au pourquoi de la migration en suivant ces approches « macro », je serais tombée, me semble-t-il, dans le piège d’une lecture causaliste à « grosse maille » présupposant que les conflits armés sont un facteur prépondérant et déterminant des déplacements de population : « c’est la guerre, les gens fuient » ! D’un autre côté, je me serais sans doute empêtrée – à un niveau « micro » cette fois –, dans les théories de l’action et de la décision, qui présupposent quant à elles que dans des situations troublées les personnes seraient en capacité d’évaluer rationnellement les coûts et les bénéfices associés aux déplacements et à la migration. Ainsi que le révèle la thèse, il est douteux que ces grilles de lecture puissent nous aider à comprendre les logiques de parcours, ni même à les prédire ; ces approches écrasent plutôt les « faits de la migration », et se révèlent en définitive incapables d’expliquer le cheminement des personnes, sinueux le plus souvent ; l’issue des cas de conscience auxquels elles font face ; incapables de pénétrer la raison pour laquelle les occasions postées sur le chemin des individus sont ou non saisies, avec tout ce que la chose suppose en termes d’arrachement. Pour faire droit à de tels cheminements, il faut s’émanciper à mon sens des explications « macro contextuelles », mais aussi des déterminismes présents dans les paradigmes dits de la « décision ». Il ne s’agit plus de simplement considérer un contexte objectif et les contraintes que ce dernier ferait peser d’emblée sur la conduite des individus, mais de partir des conditions que les personnes elles-mêmes peuvent poser – à même leur expérience – pour la constitution d’une trajectoire propre.
C’est ce point de départ qui m’a amenée à déployer ce que j’oserai qualifier « d’anthropologie de l’instant » (par référence aux « instances du quotidien »), ou d’anthropologie processuelle, attentive notamment aux sentiments et aux affects, en lieu et place des explications nomologiques mobilisant tout un ensemble de catégories macro-politiques. Car, s’il est bien une chose que « l’instant », les circonstances, les situations, ou l’occasion n’instancient pas, – mon matériau en témoigne – ce sont bien ces « grosses catégories ». C’est bien pourquoi la recherche a choisi la « perspective du quotidien », « quotidien a priori sans perspective » des personnes aux prises avec les conflits irakiens, pour se concentrer in fine sur la façon dont la question d’un départ pourra ou non se poser comme issue d’une expérience singulière. À l’inverse de nombreux de travaux qui rationalisent a posteriori le fait de la migration – lorsque les « jeux sont faits » pourrait-on dire –, j’ai eu la chance de pouvoir déployer l’enquête dans l’antécédent, avant même que ne s’esquisse une quelconque perspective de départ. L’attention dans la thèse à ce qui sourd de ces expériences multiples et la possibilité de suivre sur un temps long la relation entre configurations antécédentes et faits conséquents m’ont conduit à substituer à l’approche déterministe, toute théorique, un point de vue qu’on pourrait qualifier « d’émergentiste ».
Cette attention est évidemment liée aux relations que j’avais eu l’occasion de nouer lors d’une enquête antérieure à l’engagement dans la thèse, menée entre 2013 et 2014, sur un tout autre sujet, relatif aux difficultés d’irrigation et d’approvisionnement en eau que rencontraient les agriculteurs du Sinjar. J’avais alors suivi, inquiète, mais à distance, les péripéties liées à la fuite de plusieurs de mes interlocuteurs yézidis, soudainement confrontés à l’offensive de l’État islamique sur le district, le 3 août 2014. Avant que cette date ne fasse véritablement événement pour l’ensemble des yézidis, les échanges m’avaient déjà fait ressentir – quoique confusément – le caractère mélangé des sentiments éprouvés par mes interlocuteurs, tout autant que l’opacité de la situation pour chacun. Personne ne savait trop quoi faire ni ce qu’il l’attendait. Ceux qui auraient dû fuir devant le danger semblaient plutôt se perdre en conjecture et dans une attente sans fin. Ce qui n’a pas été sans inquiéter, par surcroit, l’observateur extérieur que j’étais. Ce que je percevais alors tranchait avec les présomptions présentes dans la littérature relative aux phénomènes migratoires et notamment les relations de cause à effet qu’elle établissait avec les situations de conflits. Je voulais donner un prolongement à l’intuition, comprendre les « raisons du sur place ».
Au point de départ de la thèse – dans un curieux parallélisme avec ce que je pourrai observer sur place, en Irak –, il m’a fallu lutter (psychologiquement aussi) contre une première forme d’assignation à résidence. Rappelons que la recherche financée en France est soumise à des contraintes règlementaires liées aux responsabilités qui sont portées à la charge de l’employeur en termes de sécurisation des conditions d’exécution du contrat de travail : l’ouverture des terrains d’enquête, via les ordres de mission, dépend ainsi de l’appréciation que porte l’administration sur l’exposition potentielle du chercheur à tout un ensemble de risques ; d’où un régime d’autorisation de déplacement indexé sur le classement des pays sur une échelle de dangerosité. Les restrictions d’accès procèdent d’une simple conformité à cette norme ; elles sont établies sans participation du chercheur à l’instruction, sans considération expresse du cas particulier que pourrait constituer chaque recherche, sans mention donc des exigences et des conditions qui s’attacheraient à sa réalisation. Comme pour de nombreux chercheurs, ces restrictions menaçaient d’emblée mes accès au terrain et auraient pu peser sur la production du matériau nécessité par le travail de la thèse. Face à ces contraintes, la thèse a notamment dû son salut à une redéfinition de son terrain propre. Le terrain de ma thèse n’était plus uniment identifié aux seules possibilités de déplacements sur les lieux ; il gagnait en extension à travers la valeur que pouvaient désormais prendre les liens, noués dans la durée, avec mes interlocuteurs au gré des allers et retours (je connais la plupart d’entre eux depuis plus de six ans), ou celle que constituait, par ce biais, l’établissement de conversations continuées, via internet. Creuser l’analogie entre l’incertitude liée à mes propres déplacements et l’incertitude – beaucoup plus radicale –, qui frappait les populations irakiennes quant aux nécessités de l’exil, comme quant à la possibilité de pouvoir retrouver un chez-soi, m’a permis de donner un tour plus réflexif à la constitution de mon matériau. L’usage conjoint d’internet, par exemple, s’est révélé suggestif de ce point de vue. Internet n’aurait pu être, en effet, qu’un moyen de « conservation » du lien entre mes interlocuteurs et moi. Mais c’est précisément l’agilité des jeunes irakiens sur le réseau qui m’a « désigné » ce média social comme terrain à part entière. Sans cela, je n’aurais d’ailleurs pas été sensible – ainsi qu’il apparaît au chapitre V. – au fait qu’internet, espace communément qualifié de « virtuel », était devenu un terrain d’expérimentation « réel » pour ces jeunes irakiens. J’ai ainsi pu montrer qu’Internet ne figurait pas seulement un lieu de projection de l’image et de soi, mais pouvait devenir – par effet retour dans le « réel », précisément –, un actant déterminant de la construction des parcours, un véritable plan d’affleurement des stratégies de territorialisation.
Deux des mots clefs qui figurent dans le résumé de la thèse pointent vers les champs dans lesquels sont constitués ses principaux apports : le cours général de l’expérience, d’une part, et les situations du quotidien, d’autre part. L’expérience du sujet forme avec les notions d’environnement, de ressources, de situation, de croyance et d’habitude, le réseau conceptuel à partir duquel il m’a été possible de formaliser l’interprétation de mon matériau. Ce réseau est présent dans la tradition pragmatiste, singulièrement dans l’œuvre de John Dewey, auteur peu mobilisé en anthropologie, avant que n’aient pu poindre ces dernières années – après une longue période de mépris réciproque –, la perspective d’une alliance nouvelle entre philosophie et sciences sociales. Dewey s’est intéressé avec une grande précision à tout ce qui permet aux individus de rétablir une certaine continuité de l’expérience – lorsqu’ils traversent des situations troublées – dans l’actualisation du rapport à leur environnement. En suivant Dewey, je crois avoir réussi à mettre en évidence la façon dont les situations traversées dans le cas d’espèce, et conjointement les habitudes – qui permettent de conférer un sens à ces situations et de régler le rapport de chacun à son environnement –, contrôlaient l’expérience des individus.
Nous avons, aurait dit Gilles Deleuze, exactement la consistance de nos habitudes. Que devient alors l’existence lorsque le désordre de la guerre vient directement les menacer ? À quoi se « raccrocher » lorsque les conditions environnementales dont on pouvait bénéficier sont soudain défaites ? J’ai montré que les individus n’avaient d’autre choix que de se « replier » sur un quotidien. Non pas tant pour se recroqueviller, sous l’effet de la menace, que parce que, plus simplement, les tâches s’accumulent, et qu’il faut pouvoir parer à tout. Mais alors que ce quotidien est donné sans perspective, du fait même de la guerre, on peut voir que les presque rien qu’il offre peuvent être l’occasion de rétablir un lien fonctionnel avec un environnement et de ré-organiser l’expérience des individus. C’est dans ce bloc d’espace-temps, en effet, que se constituent des devenirs, à travers ce que nous avons appelé la « pesée » qui met en jeu et en mouvement l’ensemble des attachements.
Un autre apport de la thèse, évidemment, est de pouvoir expliquer pourquoi, au terme de la « pesée », les gens ne partent pas, en général. L’actrice iranienne Zar Amir Ebrahimi l’a très bien exprimé, pour son propre compte, dans une interview récente : « si les gens pouvaient rester chez eux (dit-elle) jamais ils ne partiraient ». D’ailleurs, des reportages entiers n’ont-ils pas été récemment consacrés à cette « bizarrerie » qui voyait les réfugiés ukrainiens – pourtant accueillis « à bras ouverts » par les états membres l’Union européenne –, retourner chez eux sous les bombes ? En réalité, la migration représente toujours un plan B.
On peut faire observer que cette conclusion remet en cause les interprétations binaires que les institutions en charge de l’évaluation des dossiers d’asile et de l’octroi du statut de réfugié développent à travers la mobilisation de la catégorie de « déplacement forcé ». Tout se passe en effet, comme si, pour pouvoir recevoir la qualification de réfugiés, les personnes devaient impérativement faire la démonstration qu’elles avaient dû fuir dans la plus parfaite improvisation, sans jamais savoir où aller. Tout témoignage contraire, susceptible de conférer une quelconque épaisseur expérientielle à leur trajectoire, les condamneraient, à l’inverse, aux soupçons de la migration économique, et à venir grossir les rangs des déboutés du droit d’asile. De ce fait, les chercheurs qui recueillent les témoignages des migrants sur les chemins de la migration comme au terme de celle-ci sont régulièrement confrontés à des récits anticipant – à force d’apprentissage – la qualification qu’ils sont susceptibles de recevoir de la part des autorités. Leurs travaux ne prennent alors le plus souvent que la mesure d’un artefact lié aux conditions d’accueil, qui masque la nature du processus rendant décidable le fait de la migration.
S’il fallait ajouter un troisième apport de la thèse, il serait plutôt d’ordre méthodologique. Un premier versant, déjà exposé, a trait aux difficultés d’accès au terrain et à l’ordre réflexif qu’elles m’ont imposées. En creusant les parallélismes entre la situation du chercheur et l’enquête menée par ses interlocuteurs en Irak, la démonstration m’a amené à « dé-tropicaliser » la question du terrain et à m’éloigner ce faisant d’une perspective culturaliste. En marquant la différence d’approche avec les paradigmes déterministes des war and migrations studies, j’aurais pu m’affranchir d’une analyse causale et satisfaire dans le même temps aux canons de la discipline en lui opposant la richesse du matériau ethnographique et, pour reprendre la formule de Geertz, la seule épaisseur de mes descriptions (« thick description »). Je n’aurais pas su alors expliquer les différences qui marquent les trajectoires comparées de mes interlocuteurs au Sinjar et à Mossoul. Afin de pouvoir isoler les déterminants concrets des trajectoires, j’ai choisi à l’inverse de maintenir le lien de causalité comme horizon de mes démonstrations à travers l’approche processuelle. Ce parti pris d’ordre méthodologique m’a accessoirement permis de mettre à la bonne distance des récits personnels particulièrement douloureux sans perdre d’empathie, ni rien sacrifier du lien qui continue de m’attacher aux personnes rencontrées tout au long de cette recherche.
Il est resté une « boîte noire » dans la reconstitution des « constructions bricolantes » ayant permis à mes interlocuteurs de tenir dans les épreuves qu’ils ont traversées. Je m’en explique dans la thèse. Il s’agit de la perspective des femmes et de leur rôle dans le réglage des situations domestiques. On pourrait dire, ce qui est vrai, qu’elles avaient apparemment peu voix au chapitre concernant les décisions engageant la famille. En réalité, je vois bien qu’il leur appartenait de donner à ces décisions une traduction concrète et fonctionnelle dans la vie de tous les jours. Une perspective de recherche, pour moi désormais, serait d’ouvrir cette « boîte noire ». Mais il me faudrait alors sérieusement apprendre l’arabe. On ne dira pas qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais qu’il pourrait être utile d’utiliser ce moyen pour approfondir la question. À l’inverse, l’absence de maîtrise de la langue m’a permis de faire de la traduction un point de vigilance permanent dans la recherche. Je ne sache pas d’ailleurs que la maitrise de la langue change quoi que ce soit à cette vigilance interprétative. Et il n’est peut-être pas mauvais que j’aie pu faire les choses dans cet ordre pour alimenter ma compréhension du terrain d’une incompréhension première.

Parmi les perspectives ouvertes par la thèse – qui donnent un prolongement positif à la critique qu’elle adresse aux théories de l’action –, j’aimerais insister pour finir sur une question abordée dans sa conclusion, qui a émergé dans le cours de la rédaction et qui concerne l’approche du sujet dans la construction des cas. Alors que mon attention était d’emblée dirigée vers les individus, je leur ai conféré dans la thèse une agentivité « plus faible que prévu » ; moins logée dans la volonté, l’intentionnalité, les plans que chacun échafaude, qu’articulée aux circonstances, aux habitudes, à une multiplicité d’agencements.
Quel prolongement donner à cette perspective ? Il faudrait pouvoir creuser l’intuition – toute Deleuzienne – que les conditions dans lesquelles les mécanismes d’individuation peuvent se produire et constituer des personnes ou des moi concernent, en premier lieu, des multiplicités de relations qui ne se rapportent à aucun sujet comme unité préalable. C’est ce que la thèse me semble pouvoir illustrer.

Juliette Duclos Valois, 17 janvier 2023

Émilien Urbano, Oil wells, War of a forgotten nation, Qayarrah, Iraq, 2016

Extrait du rapport de soutenance de Cédric Parizot

Cette thèse se divise en cinq chapitres. Le premier, méthodologique, revient sur les difficultés d’accès au terrain et les conditions dans lesquelles s’est effectuée la recherche ; l’analyse est brillante et d’une grande portée épistémologique. Les chapitres 2, 3 et 4, tout aussi passionnants, s’inscrivent dans une démarche chronologique pour restituer les grands mouvements de populations exposées aux conflits qui ont marqué la région depuis 2013. Le chapitre 2 relate les épreuves des populations du Sinjar et de Mossoul lors de la prise de la région par l’Etat islamique. Il interroge les parcours des personnes qui ont choisi de se mettre à l’abri ou, au contraire, de rester sur place. Le chapitre 3 se focalise sur les deux premiers mois de déplacement des populations. Il interroge comment les populations déplacées se sont débrouillées pour s’installer ailleurs, trouver des soutiens et comment la question de la migration à l’étranger a pu une nouvelle fois se poser. Le quatrième chapitre analyse la vie quotidienne en déplacement, la manière dont les personnes ont reconstruit un milieu de vie dans des environnements parfois hostiles. En abordant la question de la vie dans les camps ou dans d’autres situations, l’auteure s’interroge sur la manière dont ces expériences peuvent alimenter le questionnement en faveur d’un départ, d’un retour ou d’une installation durable dans le Kurdistan irakien. Le dernier bouleverse partiellement cette chronologie pour s’interroger sur le résultat de ces expériences et de la manière dont des éléments ultérieures ou antérieures ont pu les transformer et affecter leur devenir.
Ce travail se démarque des approches contextuelles et déterministes, pour proposer une analyse ethnographique situationnelle et relationnelle des conditions d’émergence qui affectent les choix et les capacités d’agir des personnes avec lesquelles elle a travaillé. Son originalité tient au choix de rendre intelligible les parcours qui mènent soit aux installations prolongées de certains déplacés hors de chez eux, soit au refus de la migration.
L’analyse s’appuie sur un matériau ethnographique extrêmement riche récolté dans les régions de Mossoul, Sinjar et dans le gouvernorat de Duhok, au cours d’une série d’enquêtes sur place, ainsi que d’entretiens et de recherches dans les espaces numériques pendant la période de préparation du doctorat (2016-2022). En y ajoutant les informations qu’elle avait collectées au cours d’enquêtes menées pendant ses études de Master (2013-2016), Juliette Duclos-Valois propose une anthropologie processuelle sur une période de 8 ans. Le format de la thèse, le style et l’élégance du récit plongent littéralement le lecteur dans la vie de plusieurs familles irakiennes et de leur entourage pendant ces éprouvantes années. Le récit est captivant et poignant. Pourtant l’auteure ne tombe jamais une seule fois dans le pathos ou dans le sensationnel. Elle s’attache simplement à rendre compte avec pudeur, respect et une grande qualité stylistique du quotidien de la guerre, de la fuite, du déplacement et du retour, en restituant avec justesse les paroles des personnes qui ont vécu ces bouleversements et ont tenté, chacun avec leurs moyens, et les expériences singulières, de composer. C’est certainement pour cette raison que la guerre et que ses atrocités soient si peu évoquées dans leurs discours. Cette absence – surprenante pour quelqu’un qui n’a pas été directement impliqué dans une situation de guerre, marque en réalité la sourde omniprésence du conflit et la difficulté d’en parler. Cette tendance qu’ont les personnes à évacuer la guerre dans les discussions avec l’anthropologue ou celles du quotidien, lui rappelle l’attitude de certains Israéliens et des Palestiniens pendant la seconde Intifada, et ce qu’il a lui-même vécu sur son propre terrain en Israël Palestine. Le fait de ne pas mentionner constamment le conflit, ou des situations d’une grande violence, dans le quotidien est une manière de se protéger et de restaurer un semblant de normalité dans une situation fondamentalement anormale et bouleversante.
L’analyse reste omniprésente, mais est parfaitement articulée aux descriptions et aux récits de vie. Elle permet ainsi de bien situer la singularité et la spécificité de l’approche de la doctorante dans le champ d’étude des migrations, ainsi que les questions qu’elle ouvre.
Le format singulier de cette thèse n’offre pas seulement un manuscrit passionnant à lire, mais rend également compte de la qualité de l’ethnographie et des rapports humains que l’auteure a développée avec ses hôtes et ses interlocuteurs, au cours de ces huit dernières années, et ceci en dépit des nombreux obstacles auxquels elle a été confrontée. C’est tout d’abord le contexte de la guerre qui a rendu les lieux de sa recherche particulièrement dangereux. Cependant, Juliette Duclos-Valois a habilement composé avec ces difficultés. Grâce à sa prudence et son savoir être, son attention et aux relations qu’elle a développées avec différents réseaux d’acteurs sur le terrain (journaliste, ONG, autorités locales, etc.), elle a su mettre en place un dispositif d’enquête efficace et tout à fait respectueux de ses hôtes. Dans le premier chapitre de la thèse, elle offre d’ailleurs une analyse tout à fait intéressante de ce dispositif, de certaines de ses tactiques de passing. De même, sans le dire explicitement, elle prend tout à fait la mesure et décrit les formes d’intercorporéités (Jean Paul Thibaud) qui ont émergé entre elle, les traducteurs auxquels elle eut recours, ou encore les journalistes qui l’ont accompagnée, et la manière dont celles-ci ont construit et orienté son dispositif de recherche.
Toujours dans le chapitre 1, Juliette Duclos-Valois décrit avec beaucoup de justesse la dérive managériale de la recherche française et tout ce qui l’accompagne, c’est-à-dire une judiciarisation et une bureaucratisation des missions sur le terrain par un ensemble d’institutions qui font de plus en plus obstacle à toute forme d’enquête ethnographique immersive. Cette analyse, n’est cependant jamais à charge. Elle est ethnographique. Elle évalue ainsi avec précision, pertinence et justesse comment les procédures d’organisation des missions et des différents acteurs qui « accompagnent », pour ne pas dire « guident » l’anthropologue, dans le choix de son « terrain », interviennent activement dans l’organisation des modalités, des temporalités, ainsi que dans la construction de l’objet d’étude ou la formalisation des questionnements de la chercheuse. L’auteure montre ainsi comment le désir impérieux et les mécanismes des institutions de se décharger de toute responsabilité juridique au cas où il arriverait malheur à l’anthropologue ne viennent pas seulement faire obstacle à ses enquêtes, mais doivent être dorénavant pris en compte pour comprendre le fonctionnement de plus en plus complexes de nos dispositifs de recherche et de l’augmentation du nombre d’actants humains et non-humains qui y participent, au sein et hors du « terrain ». Ce témoignage et cette analyse ont une grande valeur. Les chercheuses et les chercheurs qui on a fait du terrain dans les années 1990, ou avant cette période prendront la mesure de l’écart de leurs conditions de travail avec celle de leurs étudiantes et étudiants actuels.
En outre, à travers cette réflexion sur les conditions de préparation de ses missions, mais aussi en articulant des séjours sur place, des entretiens à travers les réseaux sociaux, ainsi que l’analyse du contenu et des formats des traces numériques des personnes avec qui elle a travaillé, Juliette Duclos-Valois propose une réflexion intéressante sur les redéploiements spatio-temporels de nos terrains de recherche, ainsi que celles des corporéités de l’enquêteur et des enquêtés. A travers ses navigations dans ces espaces complexes, l’auteure est très attentive aux formats et à la dynamique des relations qu’elle développe dans le cadre de ses rencontres dans le monde analogique (en Irak), mais aussi aux conditions dans lesquelles s’effectuent celles qu’elles déploient dans les espaces numériques et les enjeux politiques et sociaux des traces qu’elle ou ses enquêtés y laissent.
Elle montre d’ailleurs combien les redéploiements de nos espaces de vie en cette période post-numérique redistribue et (re)formate différemment ce que Louise Merzeau qualifie de présence informationnelle. Entre ces espaces analogiques et numériques en conflits, surveillés, contrôlés et investigués par un ensemble d’acteurs (services de renseignements, entreprises commerciales, ONG, chercheurs, journalistes, etc.), les irakiens suivis par la doctorante développent constamment des stratégies de passing, qu’il s’agisse de franchir un checkpoint, d’obtenir un droit de passage à la frontière ou de se constituer un profil Facebook qui permettra d’ouvrir des portes, des réseaux ou des lignes de fuite décisives à leur survie. Juliette Duclos-Valois ne procède donc pas simplement à une « ethnographie augmentée » (p. 316) comme elle l’affirme, qui lui permettrait de compenser les interdictions bureaucratiques et le danger du terrain pour mener une enquête « à distance ». Non. Elle déploiement davantage une ethnographie post-numérique tout à fait en phase avec les mutations de notre monde. C’est souvent dans les camps de déplacés et de réfugiés que les entreprises high-tech européennes ou nord-américaines ou encore chinoises testent et expérimentent des systèmes de paiement, d’identification, de surveillance et de constitution de bases de données avant de les redéployer dans les pays les plus privilégiés. Ce sont d’ailleurs les interlocuteurs de Juliette Duclos-Valois qui lui ont incité à développer une réflexion autour des enjeux que recouvrent la constitution de profil numériques selon de formats qui répondent à la fois au type de réseau social (Facebook, Instagram, etc.), aux conditions de surveillance, mais aussi à attirer des acteurs avec lesquels on espère entrer en contact.
A cette réflexion sur les redéploiements de nos corporéités et de nos espaces de vie en période de conflit et post-numérique, Juliette Duclos-Valois ajoute une intéressante déconstruction des approches personnalisant ou individualisant le projet migratoire et le réduisant en termes de débat, de choix et de calcul. Dans les chapitres 2, 3, 4 et 5, elle montre tout d’abord avec soin combien l’habitude qui construit la croyance, barre souvent le chemin à l’expérience du danger et de la menace et comment elle peut affecter les décisions de rester, de partir, de s’installer temporairement ailleurs, ou de revenir. Elle montre ensuite que même lorsque les expériences désamorcent les croyances construites dans l’habitude du quotidien, elles émergent à travers des processus relationnels complexes. Elle montre ainsi comment perception et action se construisent à travers des dispositifs cognitifs et sensoriels profondément affectés par les mécaniques relationnelles que façonnent les rapports d’autorité, de pouvoir et d’alliances au sein du village, du quartier, et bien sûr au sein de la famille élargie entre génération, entre les genres. Juliette Duclos-Valois met non seulement en place une anthropologie relationnelle (Desmond), mais aussi, une anthropologie qui s’inscrit dans le prolongement la théorie de l’énaction (Varela, Thompson et Rosch). Elle ne situe ni l’action ni l’expérience dans la corporéité de la personne réduite aux limites de son corps biologique, mais dans une corporéité élargie qui articule les systèmes moteurs et sensoriels de celle-ci et certains éléments humains et non-humains de son environnement.
Lorsqu’une expérience se produit, c’est-à-dire, lorsque les modes opératoires et les croyances habituelles montrent leurs limites, les processus d’évaluation ou de « pesée » qui conditionnent les réactions à adopter et les décisions à prendre dépassent donc l’individu pour s’inscrire dans une corporéité, des mécaniques relationnelles, des spatialités et des temporalités plus larges. Ces pesées sont ainsi envisagées par Juliette Duclos-Valois dans le cadre des multiples attachements qu’ont développés les interlocuteurs de l’auteure avec leurs familles, leurs voisins, lieu de vie, leurs professions et leurs projets. La manière dont elle décrit comment ces attachements tiennent ces personnes souligne avec pertinence la gravité des relations dans lesquels chacun d’entre nous est pris. Les personnes agissent autant qu’elles sont agies par leur prise avec leur environnement. Enfin, ces pesées sont étudiées en fonction des moyens distincts dont disposent les différents groupes enquêtés en fonction de leur appartenance confessionnelle, ethnique, de leur capital économique, politique et social, des réseaux de relations sur lesquels ils peuvent se projeter, de l’état des infrastructures de communication, et enfin des contingences de leurs vie. Dans ce cadre, si l’agentivité des personnes étudiées par Juliette Duclos-Valois est bien prise en compte dans toute ses singularités, elle est envisagée comme un « point de vue » ou plutôt comme une « expression » de dispositifs qui excèdent ces mêmes individus, mais qui les constitue et qu’ils contribuent à (re)configurer à leur échelle. Elle articule ainsi la lecture que Gilles Deleuze propose de Leibniz propose dans Le pli, Leibniz et le baroque à son propre terrain. C’est d’ailleurs une des qualités remarquables de cette thèse, celle d’enrichir une analyse ethnographique tout à fait stimulante en s’appuyant habillement sur certain nombre de lectures philosophiques.
Ainsi, bien qu’elle soit centrée autour d’un nombre restreint d’histoires singulières, cette thèse ouvre sur la complexité de huit années de conflits et d’alliances entre les multiples factions armées, ainsi que sur les multiples sens des trajectoires des déplacements de centaines de milliers d’Irakiens dans cette région et leurs devenirs potentiels. Comme elle dit à juste titre : « L’accès à la généralité dépend […] davantage de cette capacité de symbolisation dans l’agencement des cas que de la soumission à une contrainte de représentativité pour les trajectoires individuelles » (p. 389).
Ceci nous amène à l’un des autres points fort de cette thèse : celui de prendre en compte la multiplicité du sujet. Ce dernier n’est pas simplement l’expression et l’actant de dispositifs qui l’excédent, mais il est aussi l’articulation de multiples trajectoires, certaines minoritaires, d’autres majoritaires, l’équilibre et les rapports de force entre elles dépendant des contingences de la vie et de la navigation entre les différents modes d’existence à travers lesquels évoluent les personnes. Il est un cas. C’est ce qui permet d’ailleurs à l’approche de Juliette Duclos-Valois de se démarquer d’une ethnographie rétrospective de parcours déjà établis et déjà achevé pour s’inscrire dans une anthropologie des phénomènes émergents. Au cinquième chapitre, en revenant quelques années auparavant, et en inversant le déroulé chronologique des trajectoires de ses interlocuteurs, l’auteure marque une fois pour toute sa distance avec une approche linéaire, séquentielle et proportionnelle de la causalité de trajectoires qui constitueraient des personnes dans leur totalité. Dans la lignée de Bergson, mais aussi d’Ingold, elle appréhende les sujets comme des émergences de trajectoires enchevêtrées, certaines linéaires, d’autres circulaires, certaines continues, d’autres discontinues. Elle montre ainsi que rien est acquis, mais que tout peut toujours advenir. A la manière d’Isabelle Stengers, ce qui l’intéresse n’est pas d’expliquer de manière logique simplifié les mésaventures qui sont arrivées aux victimes, mais davantage les processus dans lesquels ils sont impliqués et qui sont en mesure du produire du devenir. C’est de cette manière qu’il est possible de leur rendre toute leur humanité et leur agentivité. La dernière phrase de la conclusion rend d’ailleurs cette agentivité avec toute sa puissance: « Rien n’est plus actif qu’une ligne de fuite ! »

Cédric Parizot, 17 janvier 2023

Photo principale: Émilien Urbano, Smoker, Qayarrah, Iraq, 2016.

Palestine Israël #2: De l’Inde à Israël (reporté)

Mardi 18 mai 2021
10h-12h
Compte tenu de la situation en Israël Palestine, nous avons choisi de reporter la tenue de ce séminaire.

L’appropriation du judaïsme par les Bnei Menashe

Cécile Guillaume Pey, anthropologue, chargée de recherche au CNRS, Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud (EHESS/CNRS, Paris)

Chez les Kuki et les Mizo, groupes tribaux parlant des langues tibéto-birmanes qui résident de part et d’autre des frontières entre l’Inde, la Birmanie et le Bangladesh, émergent des revendications d’une identité juive à partir des années 1930. De nos jours, plusieurs ‘‘mouvements judaïsant’’ se côtoient au sein de ces groupes. Parmi eux, je m’intéresserai plus particulièrement aux Bnei Menashe, qui se présentent comme les descendants d’une tribu perdue d’Israël. Depuis le début des années 1980, plusieurs milliers d’entre eux ont quitté leur pays natal pour s’installer en Israël avec l’aide d’organisations qui se donnent pour mission de faciliter l’aliyah de juifs « perdus » ou « cachés » disséminés à travers le monde. Il s’agira d’analyser les modes d’appropriation du judaïsme au sein de ce groupe en suivant le parcours de Bnei Menashe originaires du nord-est de l’Inde et devenus citoyens israéliens.

Organisation

Cédric Parizot, anthropologue, chargé de recherche au CNRS, IREMAM (CNRS/Aix Marseille Univ) et Julien Loiseau, historien, Professeur des universités, IREMAM (CNRS/Aix Marseille Univ)

Photo: Cécile Guillaume Pey

antiAtlas Journal 04, Cartographies alternatives, 2020

Sous la direction de Jean Cristofol et Anna Guilló

Le numéro 4 de antiAtlas Journal s’intéresse aux cartes considérées comme des dispositifs qui participent à des démarches artistiques, militantes ou scientifiques. Elles ne sont plus les représentations immobiles d’une réalité objective, mais plutôt des moments constitutifs de démarches productives et réalisatrices, prises dans les enjeux d’une réalité en mouvement. Pour la première fois, ce numéro est multilingue, comprenant des articles seulement en français ou en anglais.

Sommaire

– Jean Cristofol et Anna Guilló, Éditorial antiAtlas journal #4 : cartographies alternatives [FR + EN]
– Françoise Bahoken et Nicolas Lambert, Méfiez-vous des cartes, pas des migrants ! [FR]
– Sarah Bédard-Goulet, Itinéraires échenoziens : dispositifs cartographiques et roman contemporain [FR]
– Flore Grassiot et Leïla Hida, Les Faux Guides [FR]
– Karen O’Rourke, Remapping the Neighborhood [EN]
– Tara Plath, From Threat to Promise: Mapping Disappearance and the Production of Deterrence in the Sonora-Arizona Borderland [EN]

Image: Anna Guillo

Recherche, arts et pratiques numériques #32: Robots, miroirs fragiles ?

Mercredi 08 avril 2020
09h30-12h
Ecole Supérieure d’Art d’Aix en Provence Felix Ciccolini,
Amphithéâtre
Rue Émile Tavan
13100 Aix-en-Provence

Entrée libre

Robots, miroirs fragiles ?

Une proposition organisée en collaboration avec France Cadet, artiste, professeure à l’école d’art d’Aix en Provence

Zaven Paré, chercheur en robotique et artiste, résident à l’IMéRA

Robots, miroirs fragiles ?

Lorsqu’on roule en voiture, on se déplace dans un espace bidimensionnel de A à B, lorsqu’on se déplace en avion il s’agit d’un espace tridimensionnel et sans doute qu’avec les robots, il serait possible d’émettre l’hypothèse de nouveaux véhicules qui donneraient la possibilité de se déplacer non plus simplement dans un espace géométrique, mais dans une autre dimension, telle celle qu’on expérimente lorsqu’on se regarde dans un miroir. L’ubiquité proposée par certains dispositifs robotisés permettrait par exemple de se télérobotiser dans des corps mécaniques plus ou moins éloignés. Les robots anthropomorphiques ne seraient plus simplement une imitation, mais pourraient bien être des sortes de véhicules, en tant qu’agents de dédoublement des hommes dans le cas de la communication par téléprésence. Les robots sont des facettes de ce jeu de miroir entre l’homme et son univers, proposant des modes d’interopérabilité nouveaux.
Considérer certains objets comme nos alter ego, nos compagnons ou ces sortes de miroirs ne serait donc pas exclu. Ainsi, dans un très grand nombre de cultures, les marionnettes constituent phylogénétiquement et ontologiquement des projections d’alter ego et, aujourd’hui, cette familiarité séculaire avec ces figures anthropomorphiques animées entraîne les robots dans leur filiation.

Extrait d’un dialogue avec le professeur Ishiguro Hiroshi à l’Advanced Telecommunication Research International Institute en 2013 (« The Art of Being Together with Robots : A Conversation with Professor Ishiguro Hiroshi », International Journal of Social Robotics, numéro hors-série, Londres, Springer, 2014, p. 129-136) :

Z.P. : Notre relation à nous-même se fait généralement à travers notre image dans les miroirs, les photos et le regard des autres. Quelle est la différence une fois que vous avez une copie de vous-même ?
I.H. : […] L’image dans le miroir n’est pas nous-même, au contraire, c’est une illusion […]. Si je compare une photo de moi à mon reflet dans le miroir, il s’agit de deux choses différentes.
Z.P. : Est-ce que le fait que vous vous êtes dupliqué change votre connaissance de vous-même ?
I.H. : Non, pas du tout, mais le geminoid est plus qu’une simple image. Généralement personne ne connaît sa propre apparence et son propre comportement. Ma secrétaire connaît mon comportement mieux que moi-même. Le geminoid est comme un frère jumeau, mais je ne peux pas me reconnaître en lui. Logiquement le geminoid est ma copie, et c’est tout.
Z.P. : Qu’est-ce qui va changer avec vos deux copies de vous-même ?
I.H. : Que voulez-vous dire ? Il se pourrait que je n’aie plus besoin de venir ici ou d’aller à l’université d’Ôsaka, par exemple.
Z.P. : Vous allez rester à la maison et contrôler les deux en même temps ?
I.H. : Oui, je pourrais le faire.

Les robots sont souvent présentés comme de nouvelles frontières de nos corps. Avec le théâtre des robots, il fut remarquable de pouvoir découvrir comment il était aussi possible de transformer une créature artificielle en être moral et fragile. Dans la première pièce avec l’andréide Geminoid F, à défaut d’un véritable dialogue, la poésie habitait la machine, elle grandissait le robot et le transformait en véritable « fable » humaine, un miroir d’Orphée, un rêve providentiel renvoyant l’image du miroir de notre impuissance.

Agnes Giard, anthroplogue, chercheuse au sein du projet EMTECH, Freie Universität Berlin et au laboratoire Sophiapol, Paris Nanterre

Robots faibles et poupées stupides : les créatures alternatives au Japon

Depuis le début du XXIe siècle, le gouvernement japonais qui refuse d’ouvrir les frontières mène une politique pro-robot afin que le travail soit confié à des machines « pour pallier au manque de bras ». Dopée par cette politique pro-robot, les ersatz d’humains se multiplient au Japon, notamment dans le domaine des relations sociales et émotionnelles. De façon très révélatrice, la plupart d’entre eux sont développés sur des modèles conceptuels très proches de ceux qui président à la fabrication des poupées de silicone. Ainsi que j’aimerais le démontrer, ces robots ne visent en effet pas à reproduire l’humain « en mieux », mais au contraire à en fournir une version « pathétique », sous des formes marquées par l’immaturité, la déficience ou l’infirmité. Pour le dire plus clairement : ces robots, en apparence, ne servent pas à grand-chose. Comment comprendre que les laboratoires japonais accouchent de prototypes qui s’inscrivent à rebours des attendus habituels en matière de robotique ? En comparant la fabrique des love dolls avec celle des robots sociaux, j’espère apporter un éclairage inédit sur ce phénomène.

Comité d’organisation

Cédric Parizot (IREMAM, CNRS/AMU), Jean Cristofol (ESAAix, PRISM AMU/CNRS), Jean-Paul Fourmentraux (Centre Norbert Elias, CNRS/AMU/EHESS), Anna Guillo (LESA, AMU/CNRS), Manoël Penicaud (IDEMEC, CNRS/AMU)

Recherche, art et pratiques numériques est un séminaire transdisciplinaire qui s’intéresse aux perturbations productives que génèrent les collaborations entre les chercheurs en sciences humaines et les artistes dans le domaine du numérique. Il s’inscrit dans la suite des réflexions et des expérimentations que nous avons menées à l’IMéRA dans le programme antiAtlas des frontières depuis 2011 tout en élargissant notre questionnement au-delà de la seule question des frontières. (lire la suite)

Photo: Zaven Paré, c5 bleu.

Bureau des dépositions: Exercice de justice spéculative

Pièce jointe 17. Extrait de la performance Bureau des dépositions: Exercice de justice spéculative
A travers l’oeuvre Bureau des dépositions. Exercice de justice spéculative, nous fabriquons de la justice depuis les interstices et les limites du droit. Nous reprenons ce que d’autres ont écrit sur les murs de la ville : « les femmes n’ont pas eu le droit de vote en allant voter », ce qui confirme la nécessité d’instituer le droit par nos mouvements sociaux qui prennent soin de la vie et des liens, quand d’autres les tuent. Bureau des dépositions oeuvre à créer des précédents, en développant une stratégie contentieuse en matière de droit d’auteur et de liberté fondamentale contre le contentieux du droit des étrangers et du droit d’asile. Par “justice spéculative”, nous entendons une justice possible, qui a lieu depuis le droit existant et ses limites. En nous réunissant, nous créons aussi une forme de justice transformatrice, au sens d’une justice qui donne à entendre les causes et les conséquences de ces violences, et par là ouvre à de nouveaux possibles.

Une oeuvre immatérielle et processuelle

Bureau des dépositions. Exercice de justice spéculative est une oeuvre immatérielle, processuelle, performée par dix co-autrices et co-auteurs : Mamadou Djouldé Baldé, Ben Moussa Bangoura, Laye Diakité, Mamadou Aliou Diallo, Pathé Diallo, Mamy Kaba, Ousmane Kouyaté, Sarah Mekdjian, Marie Moreau, Saâ Raphaël Moundekeno.

Depuis janvier 2019, nous nous réunissons au Patio solidaire, lieu d’occupation sur le campus universitaire grenoblois, et écrivons des lettres de déposition. Ces lettres repoussent le lexique de la compassion et de l’humanitaire, et lèvent les responsabilités des violences produites par les politiques migratoires, qui circulent le long d’un continuum logistique, reliant notamment la Guinée (Conakry), ancienne colonie française, la France et l’Union Européenne.

La performance s’active dans la discussion publique de ces lettres, face au vide d’une justice manquante, et à un public-témoin. La condition principale d’activation de la performance tient dans la co-présence physique des 10 co-autrices, co-auteurs. Or, plusieurs co-auteurs sont empêchés dans le processus créatif et pendant les temps de performance, en raison d’expulsions, de transferts Dublin, de menaces d’éloignement, de clandestinisation. Notre performance se prolonge ainsi dans une requête juridique non-fictionnelle, qui est en cours de dépôt dans un tribunal administratif par une avocate : quand un ou plusieurs des co-auteurs est éloigné ou clandestinisé, en raison de son statut administratif, nous demandons au tribunal de constater une entrave à notre liberté de création artistique (Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016), une atteinte à l’intégrité de notre oeuvre, une atteinte à notre droit de divulgation de l’oeuvre.

Une stratégie contentieuse

Opposer le droit d’auteur et la liberté de création artistique, au contentieux du droit des étrangers.

Nous nous inspirons, en complicité, de la performance Plaidoirie pour une jurisprudence. X et Y/Préfet de…, co-créée en 2007 aux Laboratoires d’Aubervilliers, par Olive Martin, Patrick Bernier, artistes, Sylvia Preuss-Laussinotte et Sébastien Canevet, avocat.e.s. Cette performance a ouvert une brèche dans laquelle nous nous glissons : « Là où la Préfecture voit un étranger, nous voyons d’abord un auteur ». La reprise de cette stratégie contentieuse dans d’autres cas est une nécessité, nous nous adressons à des auteur.trice.s qui souhaiteraient élaborer et déposer, elles, eux, avec nous, des requêtes auprès des tribunaux administratifs.

Partitions de la performance

Pour lire la première version de la partition de notre performance, datée de juin 2019.
Une deuxième version de la partition est en cours de publication par la Criée, Centre d’art contemporain à Rennes, (revue Lili, la rozell, le marimba, 2020).

Bureau des dépositions. Exercice de justice spéculative est actuellement en résidence au Centre National d’Art Contemporain de Grenoble depuis janvier 2019, et soutenu par l’Université Grenoble Alpes. Une antenne radio « Bureau des dépositions » est ouverte depuis juin 2019 au sein de la radio r22 Tout-Monde, notamment pour la radiodiffusion d’un séminaire intitulé « Œuvrer les limites du droit », URL : https://r22.fr/antennes/bureau-des-depositions

Performances

Une performance est programmée à l’Hexagone, scène nationale, à Meylan, le 21 février 2020 (biennale arts sciences, Experimenta). L’oeuvre a été sélectionnée à Manifesta 2020 (Marseille, biennale internationale d’art contenporain).

Autres publications ou expérimentations en lien avec participants de ce projet

– Mekdjian Sarah et Moreau Marie, « Redessiner l’expérience : Art, sciences et conditions migratoires », antiAtlas Journal, 01 | 2016, En ligne, publié le 13 avril 2016, URL : http://www.antiatlas-journal.net/01/re-dessiner-lexperience-art-science-et-conditions-migratoires, DOI : http://dx.doi.org/10.23724/AAJ.4
Crossing Maps, cartographies traverses, 2013

Le pire n’est pas (toujours) certain

Le pire n’est pas (toujours) certain

Cela se passe dans un futur proche. Les dystopies sécuritaires entrevues dans plus sombres cauchemars sont devenues réalité. Pourtant des femmes et des hommes continuent de tenter de traverser les frontières désormais toutes hérissées de murs qui quadrillent l’Europe. À l’intérieur des barricades que chaque nouvelle mesure institutionnelle vient épaissir, sans suspense aucun, pourtant, l’espoir demeure en la personne d’un réseau d’activistes dont la lutte contre le système passe par l’aide au passage des frontières.

La pièce imaginée par C. Boskowitz fait le pari de s’immiscer au cœur des doutes que nous vivons au présent à travers un double détour : le décalage fictionnel dans le futur et le fait de faire reposer l’intrigue sur un chien qui s’avère être le personnage principal de la pièce. Cet « actant non-humain » révèle cependant plus d’humanisme que nos congénères, dans ce labyrinthe organisé des politiques migratoires dont l’absurde n’est jamais absent. Le chien est le personnage central, il décentre l’humain tout en le ramenant à ses fondamentaux : chaleur, partage. Seul dernier compagnon de l’homme dans la déroute . Chiens de rue, chiens de migrants, chiennes de frontières ! Son propos est mis en dialogue avec celui de l’Europe, grosse vache aux mamelles débordantes qui éructe ses certitudes malgré le bruit des avions qui tonnent la proximité de la guerre.

Le pari de cette pièce c’est de ne pas parler de l’autre. À travers une mise en textes et en scène selon un dispositif complexe, C. Boskowitz fait preuve d’une capacité démiurgique, celle de mettre en tension des fragments. De nous parler à la fois de ce qui se passe sur les rives de la Méditerranée, dans les Balkans, à Calais et à Bobigny, ou encore au cœur des huis clos de la Commisssion Européenne, mais aussi de nos contradictions intérieures. Elle nous raconte nous-mêmes, sans prendre le prétexte ambitieux de raconter ces « autres » que nous avons tendance à enfermer dans le qualificatif de migrants. Tissée autour d’une composition textuelle inédite et du dialogue de textes préexistants (P. Chamoiseau, H. Arendt, P. Claudel, A. Gatti et A. Tabucchi), l’œuvre est portée par un groupe de comédiens, musicien, scénographe et ingénieur lumières qui se connaissent et aiment rechercher ensemble l’avènement d’une performance collective. Des personnes dans l’exil récent ont travaillé avec eux à différentes étapes du projet et sur scène, leur masques témoignent de l’importance de leur présence.

Une géographe invitée au théâtre

La proposition de travailler avec une chercheuse et enseignante, géographe, est venue d’une rencontre, lors de la première résidence de la troupe réunie autour du projet, en juillet 2018. Le texte venait juste d’être écrit et commençait à être porté au théâtre. La collaboration ne portait pas sur la composition initiale et A.L. Amilhat Szary n’a jamais eu de rôle pré-déterminé tout au long de sa présence qui s’est prolongée durant tout le processus de création de la pièce. À quoi cela sert donc d’ouvrir le plateau à une spécialiste de migrations et de l’intégrer dans un projet qui n’a pas pour but de représenter la réalité ?

Ce que nous partagions tous lors de la création de « Le pire n’est pas (toujours) certain », c’est la nécessité de dire, de transmettre, de faire sentir et comprendre un fait politique. Celui du rejet de l’autre, bouc émissaire d’une crise sociale et économique profonde. Sans dénoncer de façon binaire, sans s’exclure des responsabilités. Tâche incommensurable que toute la production de connaissance et toute la créativité du monde ne peuvent embrasser…

Collaborer, co-construire, mettre ses forces ensemble, certes, mais comment ? Géographier c’est comprendre le rôle du placement dans l’espace, déchiffrer et pouvoir organiser les mondes. Je me suis donc transformée en apprentie aux côtés de celles et ceux qui organisaient le plateau. J’ai été aussi un tiers médian des échanges depuis mon point de vue esthétique, fourni quelques points documentaires et un air de musique orientale quand il s’en faisait besoin. Aucune nécessité de ma présence, et pourtant, au fil du temps long de nos rencontres, il m’a semblé avoir trouvé une place et un rôle dans l’émergence ce que le site du théâtre qui a produit cette œuvre, la MC93 de Bobigny, qualifie fort justement d’« utopie très documentée ». Anne-Laure Amilhat Szary

« L’écriture de cette pièce a été librement inspirée par l’essai de Patrick Chamoiseau « Frères Migrants » (éditions du Seuil).​ Les écrits d’Hannah Arendt, notamment sur ce que pour elle signifie « penser », m’ont accompagnée pendant toute l’élaboration du spectacle. Le théâtre d’Armand Gatti (Les 7 possibilités du train 713 en partance d’Auschwitz, éditions Verdier), de Paul Claudel (Le soulier de Satin, éditions Gallimard), et une nouvelle d’Antonio Tabucchi (Passé composé, éditions Gallimard), dont certains passages sont cités à l’intérieur de la pièce, m’ont permis de rêver avec leurs auteurs. Les demandeurs d’asile du Foyer Oryema à Bobigny ainsi que les réfugiés rencontrés en Grèce et à travers toute l’Europe, certains devenus mes amis, m’ont aidée à imaginer cette histoire qui leur est dédiée. » Catherine Boskowitz

Texte et mise en scène Catherine Boskowitz

Acteurs Marcel Mankita, Nanténé Traoré, Frédéric Fachéna, Estelle Lesage, Andreya Ouamba et Catherine Boskowitz

Musique Jean-Marc Foussat
Lumières Laurent Vergnaud
Scénographie Jean-Christophe Lanquetin
Costumes Zouzou Leyens
Dessin Catherine Boskowitz
Assistanat à la mise en scène Laura Baquela
Régisseur plateau Paulin Ouedraogo
Assistants scénographie Anton Grandcoin et Jacques Caudrelier
Stagiaires technique plateau Kosta Tashkov, Khalid Adam et Aboubakar Elnour

Avec l’accompagnement amical de Anne-laure Amilhat Szary, géographe, professeure à l’Université Grenoble-Alpes et à Pacte, Laboratoire de Sciences Sociales.

Remerciements pour leur aide et leurs conseils artistiques à Maria Zachenska (clown), à Myriam Krivine (chanteuse lyrique) et à Matisse Wessels (marionnettiste).

Représentations

MC93, Bobigny, 11-21 décembre 2019. Le 19 décembre à 17h – En entrée libre Hall de la MC93 Rencontre En présence de chercheurs de l’antiAtlas des Frontières, de l’Institut des Migrations, de chercheurs en études théâtrales, de la Cimade et des partenaires associatifs de la résidence de Catherine Boskowitz, nous évoquerons comment le théâtre peut aujourd’hui être un outil politique pour parler des enjeux des migrations.

Collectif 12, Mantes-la-Jolie, 28, 29, 30 novembre 2019

Autres publications ou expérimentations en lien avec participants de ce projet

– « Revendiquer le potentiel critique des expérimentations arts-sciences sociales ? Portrait du chercheur en artiste », paru le 13 avril 2016, antiAtlas Journal #1 | 2016, en ligne
Crossing Maps, cartographies transverses, 2013

Image principale: Bruce Milpied- Hans Lucas

Call for Papers: Managing International Migration? Visa Policies, Politics, and Practice [EN]

Workshop, 28 September 2015
We invite abstracts on the theme of Managing International Migration?, Visa Policies, Politics, and Practice for a cross-regional, one-day workshop to be held on or around 28 September 2015 at the University of Oxford, UK.

Please send a 200-word abstract to franck.duvell@compas.ox.ac.uk by 17 July 2015. Final papers will be expected by mid September.

States are increasingly attempting to externalize migration controls beyond their borders. Visa policies, politics and practices are a primary form of this extraterritorial bordering. Visa policies are informed by diverse considerations from international relations to economic policy, migration management and security. They define and distinguish between un/desired and il/legitimate visitors and migrants, creating a global hierarchy of mobility by differentiating countries and their citizens into those who do and do not require visas.

Despite their broad reach, the implementation of visa policies is not straightforward. Visa policies have negative effects on bilateral trade, travel and foreign direct investment, and may conflict with foreign policy goals. Moreover, visa policies are interpreted by street-level bureaucrats, manipulated by immigration advice agencies, confronted with individual aspirations, and undermined by unlawful activities.

We are interested in a variety of methodologies, disciplinary perspectives, and comparative approaches. Some of the research questions that have animated this call for papers include the following:

– How to conceptualize and theorize of visa policies and politics?
– How are visa policies constructed and what are the trade-offs and goals behind these policies? How do national identities or state security interests affect visa policies?
– How do organisational cultures and bureaucrats’ practices shape policy implementation?
– What is the influence of non-state actors (lobby groups, advice agencies, visa processing centres) on policy design, policy outcomes and policy diffusion?
– How do visa policies in the ‘global north’ compare to those in the ‘global south and east’?
– How has EU visa liberalization evolved? Relation between national and supranational policies?
– How do visa policies regulating different types of mobility compare (e.g. exit and entry visa; tourist, family, labour and study visas)?
– How do visa requirements shape the perceptions, behaviour and strategies of would-be travellers/migrants?
– What are the determinants of visa overstaying?
– What are the research gaps in the literature on visa policies?

We envisage a minimum of three panels with three papers each, hence a total of at least nine papers and ample time for discussion. We are planning for a mix of existing, recent and ongoing research papers. We aim to publish a collection of (previously unpublished) papers from this and a parallel workshop in Canada. We have limited funding to contribute towards travel and accommodation costs.

Franck Düvell, University of Oxford
Federica Infantino, University of Oxford
Ċetta Mainwaring, University of Waterloo

Séminaire migrations et crises

Conférence de William Walters Carleton University)
10 mai 2016, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme
organisée par Martina Tazzioli (post-doctorante LAMES LABEXMED) dans le cadre du séminaire du LAMES Migrations et crises

Discutants : Cédric Parizot (IREMAM, CNRS/AMU), Martina Tazzioli (LAMES/LabexMed, AMU)

Schéma Jean Pierre Cassarino, Réseau des accords bilatéraux liés à la réadmission, 2013

Bordering Europe Abroad: Schengen Visa Policy Implementation in Morocco and Transnational Policy-Making from Below

Soutenance de thèse de Federica Infantino

Institut de Sociologie, Avenue Jeanne 44, 1050 Bruxelles
Université Libre de Bruxelles, Salle Henri Janne, bâtiment S, 15ème niveau
Novembre 2014 à 10h00

The constitution of the European visa regime has deservingly received much scholarly attention. It has been analyzed as part of the policy toolkit that displaces migration control away from the edges of the territory of Europe. Nevertheless, the street-level implementation of this European policy in national consulates remains understudied. This dissertation sheds ethnographic light on Schengen visa policy implementation that is conceptualized as bordering policy. By delivering Schengen visas, state and nonstate organizations achieve the filtering work of borders; this dissertation therefore investigates the day-to-day bordering of Europe abroad and using a comparative approach and focusing on from the theoretical perspective of street-level policy implementation. The analysis builds on a comparative case study: it focuses on the visa sections of the consulates of two old immigration countries, Belgium and France, and one new immigration country, Italy, which implement visa policy in a same third country, i.e. Morocco. This study highlights cross-national differences of visa policy day-to-day implementation that are due to shifting historical backgrounds, national sense-making of visa policy, and distinct organizational conditions. However, the comparative research design and the inductive epistemological approach deployed have revealed processes of transfer at the implementation level, which result in transnational policy-making from below. Informal interactions between actors constitute a ‘community of practice’ based on the desire to share local and practical knowledge rather than expert knowledge in order to address problems linked to day-to-day implementation. The street-level view of visa policy implementation in a comparative perspective reveals that bureaucratic action is aimed at stemming undesired regular migration rather than irregular migration.

La construction d’un régime européen de visas représente un domaine de recherche important. Ceci a été analysé comme un des instruments politiques qui déplacent le contrôle migratoire au delà des limites du territoire européen. Cependant, la mise en œuvre dans les consulats nationaux reste très peu étudiée. Cette thèse analyse la mise en œuvre de la politique du visa Schengen conceptualisée comme politique des frontières. Par la délivrance du visa Schengen, organisations étatiques et non-étatiques réalisent le travail de filtrage des frontières. Cette thèse investigue la construction quotidienne de la frontière européenne à l’étranger en privilégiant la perspective théorique de la mise en œuvre des politiques publiques. L’analyse s’appuie sur un cas d’étude comparé. Elle se concentre sur les services visas des consulats de deux anciens pays d’immigration, la France et la Belgique, et un nouveau pays d’immigration, l’Italie, qui mettent en œuvre la politique du visa dans un même État tiers : le Maroc. Cette étude met en évidence des différences nationales importantes qui sont dues aux différents passés historiques, à l’attribution d’un sens national à la politique du visa, aux conditions organisationnelles distinctes. Toutefois, la méthodologie comparative et l’approche épistémologique inductive choisis ont permis de mettre en exergue des processus de transferts au niveau de la mise en œuvre qui constituent l’action publique transnationale par le bas. Les interactions informelles entre les acteurs constituent une ‘communauté de pratiques’ basé sur le désir de partager un savoir pratique et local qui sert à adresser des problèmes liés à la mise en œuvre au quotidien.

Borderizing the Island: sur la frontiérisation de Lampedusa

‘Borderizing’ the Island – Setting and Narratives of the Lampedusa ‘Border Play’

Auteur : Paolo Cuttitta

The island of Lampedusa is known as an EU border hotspot. Its high degree of ‘borderness’, though, is less the result of its geographical location than the product of a ‘borderization’ process carried out through specific policies, practices and discourses. The introduction explains what Lampedusa’s ‘borderness’ consists in: irregular landings and the changed anthropic and human landscape have turned the island into an ideal observatory for all major issues of the current debate on migration-related border controls. The first section analyses the main factors of the ‘borderization’ process. Specific political choices (establishing a detention centre, concentrating migrants, dispatching border guards, employing patrol boats, involving humanitarian workers etc.) suggest that borders are the result of the placing and interaction of ‘spatial bodies’, as well as of legislative measures and international relations. The paper also regards Italian immigration control policies as a ‘political spectacle’, and Lampedusa as the theatre of the ‘border play’. The second section therefore analyses the two narratives (the securitarian one of the ‘tough’ and the humanitarian one of the ‘humane’ border) prevailing in five different acts of the play, and shows that both are strictly connected and serve the same purpose of governing and managing human mobility.

Lire l’article

Atelier 9 : De l’économie de la frontière à l’industrie de la migration

11 octobre 2013
Musée des Tapisseries, Aix en Provence

Comité d’organisation: Olivier Grojean (CERIC, CNRS-AMU), Cédric Parizot (IMéRA, IREMAM, CNRS-AMU), Antoine Vion (LEST, AMU)

Cédric Parizot (IMéRA, IREMAM, CNRS, AMU) et Olivier Grojean (CERIC, AMU)
Introduction

Gabriel Popescu (IMéRA, AMU; Indiana University South Bend, USA)
Privatiser la prise en charge de la frontière/ Privatising Border Making

Ruben Hernandez-Leon (UCLA, USA)
L’industrie de la migration : une institution « batarde »/The industry of migration: a « Bastard institution »

Discutant : Antoine Vion (LEST, AMU)

Résumés/Abstract

Gabriel Popescu (IMéRA, AMU; Indiana University South Bend, USA)
Privatiser la prise en charge de la frontière

S’efforçant d’atteindre une perméabilité sélective pour les personnes et les biens, de nombreux aspects de la prise en charge des frontières sont en cours de privatisation. La privatisation soulève la question de la souveraineté sur les frontières et de la nature des acteurs impliqués dans la prise en charge. En tant que limites du territoire étatique, les frontières modernes ont été historiquement régulées par les institutions publiques. Plus récemment, de nombreux gouvernements ont délégué une partie de la gestion des frontières à un éventail de groupes privés et des institutions semi-publiques, voir même aux particuliers. Le résultat a été un brouillage des frontières entre acteurs publics et privés rendant plus difficile l’attribution de la responsabilité aux uns et aux autres.

Les coûts de la « sécuritisation » des frontières sont également énormes. Le contrôle des frontières au XXIe siècle est un marché estimé à plusieurs milliards de dollars. L’investissement de cet argent public intervient à une période de réductions massives des dépenses liées à l’enseignement public, la santé et d’autres programmes sociaux. Une telle logique soulève plusieurs questions: Quels sont les avantages de ces investissements pour la société? Est-ce que la richesse créée par les investissements publics dans la sécurité des frontières justifie le désinvestissement public dans les programmes sociaux ? Est-ce que ces milliards investis dans le contrôle ne pourraient pas générer de meilleurs rendements s’ils étaient investis au sein des sociétés concernées ?

Privatizing border making

Striving to achieve selective permeability for people and goods, numerous aspects of border making are being privatized. Privatization raises the issue of authority over borders and involves changes in the nature of the actors engaged in border making. In their capacity as territorial limits of the public institution of the state, modern state borders have been historically regulated through public institutions. More recently, numerous governments have delegated certain border management responsibilities to an array of private groups and quasi-public institutions, and even to private citizens. The result has been a blurring of the lines between private and public border-making actors that make it more difficult to establish where accountability for border management lies.

Another privatization-related aspect is that the costs of border securitization are enormous. Border making in the twenty-first century is a worldwide multi-billion-dollar business that are public money invested in border security at a time of massive spending cuts in public education, health care, and other social programs. Such logic begs several questions: What are the benefits of these investments for society? Is the wealth created by public investments in border security worth the losses created by public disinvestment in social programs when it comes to the well-being of societies? Can these billions bring better security returns if strategically invested in the sending societies?

Ruben Hernandez-Leon (UCLA, USA)
L’industrie de la migration : une institution « bâtarde »

Cette présentation s’efforcera d’envisager l’industrie de la migration comme une institution sociale « bâtarde ». Inventé par le sociologue américain Everett Hughes (1984), le concept d’institution « bâtarde » se réfère aux «écarts chroniques des institutions établies ». Les institutions « bâtardes » représentent des canaux alternatifs à ceux mis en place pour la distribution de biens et de services. Elles n’interviennent pas seuls, mais uniquement en relation et en interaction avec les institutions sociales considérées comme légitimes. Le recours à ce concept n’a pas pour objectif de qualifier cette industrie de déviante, mais davantage de réintroduire dans l’horizon analytique des phénomènes sociaux et économiques qui ont été marginalisés et exclus des études sociologiques.

The Migration Industry as a Bastard Institution

In this presentation, I advance the conceptualization of the migration industry as a bastard institution.  Coined by sociologist Everett Hughes, bastard institutions are chronic deviations from established institutions, which provide alternative distribution channels of goods and services.  The migration industry can be conceptualized as a bastard institution in that such industry, its actors and infrastructures provide alternatives to state sanctioned mobility across international borders.  Often deemed illegal by states, the migration industry as bastard institution enjoys varying degrees of legitimacy and support from migrants, employers, migration entrepreneurs and other actors of the social field of international migration.     

Partenariat

LabexMed (AMU), IMéRA (Aix-Marseille Université), Ecole supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, Laboratoire PACTE (Université de Grenoble), Isabelle Arvers (Marseille), La compagnie (Marseille), IREMAM (CNRS- AMU), LEST (CNRS-AMU)

Photographie : Claude Chuzel, 2006

Nicola Mai – Samira – Emborders #1

Nicola Mai
Samira – Emborders #1
Voir le projet

Karim est un immigrant algérien vendant son corps comme Samira, la nuit à Marseille. Il a quitté l’Algérie adolescent et s’est enfuit en Italie quand ses seins commencèrent à se développer suite à la prise d’hormones. Dix ans plus tard Karim obtient l’asile politique en France grâce à ses seins qui lui permettent de défendre son cas comme celui d’une femme transgenre risquant le meurtre si on la rapatrie en Algérie.

Vingt ans plus tard, Karim se fait chirurgicalement enlever les seins pour recevoir de son père mourant le statut de chef de famille. Il se marie alors avec une femme pour avoir un nouveau passeport lui permettant de retourner en Algérie pour assumer son nouveau rôle.

Samira la première de quatre installations formées de deux écrans qui constituent le projet de réalisation cinématographique / de recherche Emborders, qui sera finalisé entre 2014 et 2015. Au cours des trentre dernières années, les flux migratoires se sont accrus et diversifiés. Les politiques néolibérales ont inclus le genre et la sexualité parmi les critères d’éligibilité à la protection humanitaire, tout en restreignant l’accès aux marchés du travail dans le Nord. C’est pourquoi la protection humanitaire et le droit d’asile sont devenues des frontières stratégiques, donnant (ou refusant souvent) l’accès aux droits de l’homme et au marché du travail. Emborders questionne la façon dont les frontières humanitaires sont inscrites dans le corps et la subjectivité des migrants grâce à réalisation, l’incorporation et l’internalisation de discours standardisés et européo-centrés de victimisation, vulnérabilité et de caractérisation du genre / sexe. En utilisant des acteurs professionnels pour mettre en scène des vraies personnes, ainsi qu’en juxtaposant les différentes versions du soi qui sont mises en évidence par l’analyse ethnographique et les frontières humanitaires, le projet questionne également les revendications d’authenticité, d’objectivité et de crédibilité qui sous-tendent à la fois l’action humanitaire et la recherche scientifique.

Samira été produit par l’IMéRA et SATIS (respectivement l’Institut Méditerranéen d’Etudes Avancées et leDépartement Sciences Arts et Techniques de l’Image et du Son de l’Université Aix-Marseille) .

Nicola Mai est ethnologue et réalisateur, Professeur de Sociologie et Etudes migratoires au Working Lives Research Institute de l’Université Metropolitaine de Londres. Ses publications universitaires et ses films ont pour objet les expériences et perspectives des migrants qui vendent leur corps et leur amour, insérés dans l’industrie globalisée du sexe pour vivre leurs vies. A travers  des ethno-fictions expérimentales et des résultats de recherches inédites, Nicola Mai met en cause les politiques qui lisent forcément la migration liée au travail sexuel en termes de trafics, tout en portant l’accent sur la complexité ambivalente des dynamiques d’exploitation et d’auto-affirmation qui sont en jeu. Dans sa (Sex Work Trilogy), il explore différentes expériences de renontres entre la migration et l’industrie du sexe.

En 2014 et 0215, Nick sera basé au Laboratoire Méditerranéen de Sociologie (LAMES, MMSH/Aix -Marseille University), de façon à y réaliser le projet « Queering Sexual Humanitarianism », comparant l’impact des interventions humanitaires ciblant les migrants travailleurs sexuels et les minorités sexuelles en demande d’asile au Royaume-Uni (Londres) et en France (Marseille/Paris) grâce à des protocoles de recherche ciblée et de la réalisation de films expérimentaux.

Atelier 3 : Frontières et technologies

19-20 avril 2012
Maison des Astronomes, IMéRA,
2 place Le Verrier
13004 Marseille

Organisation: Cédric Parizot (IMéRA/CNRS-IREMAM), Amaël Cattaruzza (CREC, Saint Cyr-Coëtquidan), Nicola Maï (London Metropolitan University, IMéRA), Gabriel Popescu (Indiana University, South Bend)

L’utilisation de technologies de plus en plus perfectionnées pour contrôler les flux de personnes et de marchandises traversant les frontières est un phénomène largement répandu. Il suffit ainsi de mentionner le lancement du projet Frontières intelligentes ou Barrière virtuelle aux Etats Unis, la centralisation des systèmes de renseignement dans l’espace Schengen, les patrouilles de robots et les barrières de « high-tech » en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, les robots sentinelles tueurs en Corée du Sud et, enfin, l’adoption internationale des standards du passeport électronique pour avoir quelques exemples du phénomène. Sa mise en place repose sur l’idée largement partagée que ces techniques fournissent des outils plus efficaces pour identifier et stopper les personnes indésirables et suspectes au sein des flux globaux. Le déploiement de ces technologies soulève des questions fondamentales dans la mesure où il contribue aux transformations de la nature et des formes des frontières, des espaces, et des territorialités.

« Frontières intelligentes”: état de l’art

Amaël Cattaruzza (géographe, maître de conférences, École Saint Cyr Coëtquidan)
Contrôle des frontières : la tentation technologique

Mariya Polner (political scientist, research analyst, WCO Research and Strategies Unit)
Technologies de contrôle aux frontières: tendances et formes de développement

Philippe Bonditti (politologue, professeur assistant, IRI/PUC-Rio, Rio de Janeiro, Brésil et chercheur associé au CERI-Sciences Po Paris, France)
Flux et frontières, « Technologisation » des contrôles et traçabilité

Robots and border control / Robots et contrôle frontalier

Sylviane Pascal (Security & Europe Defence Business Development Manager ONERA – The French Aerospace Lab)
Le programme Talos : enjeux et perspective de l’usage de robots terrestres aux frontières

Noel Sharkey (artificial intelligence and robotics, professor, University of Sheffield)
À la limite du ridicule: contrôler nos mouvements à partir du ciel

When things bite back / Quand les choses mordent

Daniel Kopecky (lieutenant-colonel, chef du département relations internationales aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan)
Technologies aux frontières : les limites du système. Retour d’expérience de mission d’expertise en Asie du sud-est

Thomas Cantens (administrateur à l’Unité Recherche et Stratégies de l’OMD et membre du Centre Norbert Elias EHESS-Marseille)
Apprivoiser ou s’approprier : l’effet des transformations des techniques de contrôle douaniers sur le fonctionnement des administrations et la nature des frontières

Contrôle « sans fil » : mise en œuvre, effets et réappropriation

Gabriel Popescu (geographer, assistant professor, Indiana University South Bend, USA)
Technologies de contrôle à distance et production d’espaces frontaliers topologiques

Dana Diminescu (sociologue, EC Telecom Paristech, directeur scientifique du programme TIC Migrations FMSH Paris)
Migrants connectés: « K29? » dans la sociologie des migrations

Christophe Bruno (artiste, commissaire d’exposition) & Samuel Tronçon (philosophe, Résurgences, Marseille)
ArtWar(e) – vers une application Facebook pour détecter les formes artistiques

Résumés

Amaël Cattaruzza (géographe, maître de conférences, École Saint Cyr Coëtquidan)
Contrôle des frontières : la tentation technologique

En octobre 2006 était votée au Congrès américain la Secure Fence Act qui prévoyait la construction d’une barrière d’environ 1 100 km pour séparer les Etats-Unis du Mexique. Son but était de lutter contre l’immigration clandestine, le trafic de drogue et le terrorisme, en mettant en place une « surveillance systématique des frontières internationales terrestres et maritimes des Etats-Unis par l’usage plus efficace des personnels et de technologies, telles que les drones, senseurs sismiques, satellites, radars et caméras » (Secure Fence Act, Section 2). L’usage de technologies de surveillance apparaît donc ici comme l’un des éléments clefs du dispositif sécuritaire, car il permettrait une surveillance systématique et totale de la zone concernée, et semblerait donc apporter une réponse adaptée à l’incertitude et à l’imprévisibilité des flux illégaux. Quelques années auparavant la mise en place de smart borders avait permis l’adoption de technologies d’identifications des marchandises (usage de puces électroniques) et des personnes (contrôle biométriques, usage de cartes à puce contenant des données personnelles, etc.). L’exemple américain est loin d’être exceptionnel et l’usage des nouvelles technologies dans le domaine de la surveillance et du contrôle des flux aux frontières se généralise de nos jours. De tels procédés se retrouvent entre autres aux frontières de l’Espace Schengen. Cette intervention propose donc de dresser un état des lieux de l’usage des technologies pour le contrôle des frontières et de s’interroger sur la manière dont cet usage modifie la nature du phénomène frontalier. A travers l’outil technologique, ne voyons nous pas apparaître cet « ubiquituous border », frontière omniprésente, que décrit Stephen Graham, pour lequel le territoire urbain devient en lui-même un des multiples lieu de contrôle de la frontière ?

Mariya Polner (political scientist, research analyst, WCO Research and Strategies Unit)
Technologies de contrôle aux frontières: tendances et formes de développement

In a globalised world where interconnectedness and integration are key dynamics influencing economic growth and social development, policymakers are increasingly realizing the need for accelerated border management regulatory reform to reduce unnecessary barriers and burdens on trade. However, the fruits of globalization are used not only by legal businesses, but also by illegal traders. Therefore, border agencies face a serious challenge of balancing security and trade facilitation. The World Customs Organization (WCO) has developed a set of instruments in order to assist Customs Administrations in promoting the balance between the two, and technology plays a pivotal role striving for this objective. Deployment of technology, however, has never been and will never be a “silver bullet” to solve all public policy objectives.  This presentation will start with discussing the changing environment in which border agencies operate, with a focus on the notion of ‘border’ and its changing meaning over time. After the overview of WCO instruments we will look into different kinds of technologies that are currently in use, as well as those that are now being developed. We will also discuss issues pertaining to the operationalisation of technologies, as they become vital for any agency that considers using them. Finally, we will discuss critical aspects of technology development which would allow it to remain an indispensable tool in the hands of Customs.

Philippe Bonditti (politologue, professeur assistant, IRI/PUC-Rio, Rio de Janeiro, Brésil et chercheur associé au CERI-Sciences Po Paris, France)
Flux et frontières, « Technologisation » des contrôles et traçabilité

Voilà près de 20 ans que la lutte contre le « terrorisme » et autres phénomènes transnationaux a replacé la sécurité des frontières au cœur des problématiques dites de sécurité et de défense. Un peu partout dans le monde, les programmes de développement de smart borders se multiplient. Pourtant, loin de renforcer les frontières, leur technologisation contribue à brouiller l’image du monde géopolitique, nous rappelant que le renforcement du contrôle aux frontières ne vise pas tant les frontières en elles-mêmes que les flux susceptibles de les traverser. Ces contrôles – que l’on dit communément « aux frontières » – sont  en fait réalisés en des points bien spécifiques (checkpoints) qui ne correspondent que très rarement à ceux qui forment ces lignes aux moyens desquelles nous représentons la frontière sur les cartes du monde géopolitique. Ils sont en outre réalisés bien en amont de « l’entrée en mobilité » au moyen d’un régime déterritorialisé de contrôle des flux que nous nous proposons d’explorer plus avant dans cette présentation en nous appuyant plus spécifiquement sur le cas des Etats-Unis, et plus marginalement de l’Europe. Il s’agira de mettre en évidence la logique de mise en réseau des appareils de sécurité, la manière dont elle influe sur les pratiques contemporaines de frontiérisation, et l’avènement de la traçabilité comme technique majeure de la gouvernementalité contemporaine.

Sylviane Pascal (Security & Europe Defence Business Development Manager ONERA – The French Aerospace Lab)
Le programme Talos : enjeux et perspective de l’usage de robots terrestres aux frontières

Le projet TALOS (Transportable and Autonomous Land bOrder Surveillance system – www.talos-border.eu) est un projet financé par la Commission européenne (7ème Programme Cadre, thème Sécurité 2008 – 2012) dont l’objectif est de valider le concept d’un système de surveillance des frontières terrestres européennes qui fait largement appel à des équipements robotisés (robots terrestres, drones et tours d’observation) contrôlés depuis un centre de commandement transportable. TALOS doit permettre de traiter le problème de la surveillance de vastes zones frontalières, reconnu par la Commission Européenne comme étant un point crucial de la mission de sécurité des frontières. Le but de TALOS est d’aider à la détection, la poursuite et l’appréhension des personnes essayant de traverser la frontière hors des points de passage autorisés. Pour répondre aux besoins variés liés à la grande diversité des zones frontalières de l’Union européenne, le système de surveillance doit être adaptable à la configuration de terrain, transportable et d’un coût acceptable.

Noel Sharkey (artificial intelligence and robotics, professor, University of Sheffield)
À la limite du ridicule: contrôler nos mouvements à partir du ciel

Plans to automate killing by robot have been a prominent feature of most US forces’ roadmaps since 2004. The idea is to have a staged move from man-in-the-loop to man-on-the-loop to full autonomy. While this may create considerable military advantages it raises ethical concerns with regard to potential breaches of International Humanitarian Law. Moreover, we are already seeing these new technologies being deployed at borders in countries such as US, Latin, America, South Korea and Israel. Drone technology alone has proliferated to more than 51 countries and police forces are beginning to use it routinely. The talk will discuss the development of the technology into the near future as it becomes more autonomous and explore the ethical dimensions.

Daniel Kopecky (lieutenant-colonel, chef du département relations internationales aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan)
Technologies aux frontières : les limites du système. Retour d’expérience de mission d’expertise en Asie du sud-est

Fondé sur un retour d’expérience de mission d’expertise auprès de l’Armée Royale Thaïe et de dossiers techniques d’étude réalisés au profit d’industriels français, l’intervenant concentrera son exposé sur deux zones spécifiques en Asie du sud-est : la frontière nord de la Thaïlande (Birmanie) et la frontière sud de la Malaisie (île de Bornéo). Après un descriptif des enjeux spécifiques de la zone, l’exposé présentera ensuite les divers systèmes et moyens techniques envisagés pour assurer la sécurité frontalière des pays concernés par le développement des capacités technologiques en soulignant les contraintes et les enjeux notamment humains.

Thomas Cantens (administrateur à l’Unité Recherche et Stratégies de l’OMD et membre du Centre Norbert Elias EHESS-Marseille)
Apprivoiser ou s’approprier : l’effet des transformations des techniques de contrôle douaniers sur le fonctionnement des administrations et la nature des frontières

A partir de quelques exemples de technologies introduites dans les douanes en Afrique sub-saharienne et d’une enquête ethnographique menée dans une douane africaine en réforme pendant plus de 4 années, la communication développera trois idées principales. Tout d’abord, terrains de réforme influencées par l’extérieur, les administrations douanières africaines utilisent des technologies aussi avancées, parfois plus innovants que les douanes d’autres continents. Ensuite, ces technologies sont « apprivoisées » : bousculant les ordres elles génèrent de nouveaux rapports d’autorité et de pouvoir dans les administrations et les professions dites partenaires. Enfin, ces technologies sont des vecteurs politiques qui transforment les rapports entre Etats sans toujours avoir les effets attendus.

Gabriel Popescu (geographer, assistant professor, Indiana University South Bend, USA)
Technologies de contrôle à distance et production d’espaces frontaliers topologiques

Mobility imperatives under globalization are profoundly altering borders’ relationship to space. Risk management strategies associated with the quest to securitize transnational mobility have triggered a technological race to embed borders into all kinds of flows in order for the border to be able to travel with the flow and be ready to be performed whenever circumstances require. With the help of technologies such as Radio Frequency Identification (RFID) borders are disembedded from their local contexts, projected at distance, and then re-embedded anywhere in the state territory. Such articulation of borders changes the way movement through space is organized and how people and places come into contact. This “portal-like” logic of border geography brings people and places together by connecting them directly across space, unlike modern border territoriality that connects them via contiguous state territories. This situation opens up the entire space of the globe to bordering processes, thus accelerating the proliferation of borders and multiplying the actors involved in their establishment. The implications for society of such novel border spatiality are paramount. It is vital to understand how is democratic participation to be spatially reorganized to assure border governance remains in the public domain.

Dana Diminescu (sociologue, EC Telecom Paristech, directeur scientifique du programme TIC Migrations FMSH Paris)
Migrants connectés: « K29? » dans la sociologie des migrations

According to the Algerian sociologist Abdelmalek Sayad, the process of migration is marked by a double absence, as migrants are uprooted from their ‘home’ societies and they fail to ‘integrate’ in their countries of emigration. In this perspective, the migrant experience is characterized by a permanent break with the places that link the individual with his or her native environment as well as by the confrontation with a world that thinks and lives differently. Current understandings of the experience of migration, whether they refer to issues of cultural identity of integration, refer to and focus on a series of breaks and oppositions. These are constructed as inherent to migrants’ fate and are constantly used in theoretical reflections on populations on the move. For instance, migrants are described according to binary oppositions such as: mobile/immobile, neither there nor here, absent/present, central/peripheral, and so forth. This understanding of people’s movements is an historical and sociological simplification and does account for the way the world was transformed by the onset of generalized mobility and by the spread unprecedentedly complex means of communication. Today, the definition of the migrant based on different forms of rupture considered to be fundamental and radical is in trouble. Alternative organizing principles emerge, as mobility and connectivity mark the experiences of contemporary migrants. In this talk, my aim is to analyse the different and interlinked forms of rootedness, displacement and connectedness that are experienced by contemporary migrants. Contemporary sociological studies of migration must focus on issues of connectedness and of presence. These days it is increasingly rare to see migration as a movement between two distinct communities, belonging to separated places that are characterized by independent  systems of social relations. On the contrary, it is more and more common for migrants to maintain distant relations that are similar to relations of proximity and to be able to activate them remotely on adaily basis. This mediated bond — via telephone, email, or Skype- — makes it easier than before to stay close to one’s family, to others,  to what is happening at home or elsewhere. The development of communication practices —from simple ‘conversational’ methods where communication compensates for absence, to ‘connected’ modes where the services maintain a form of continuous presence in spite of the distance — has produced the most important change in migrants’ lives. Migratory practices (in particular the activation of networks, remote organization, and the monitoring of movements), the way  mobility is experienced and implicitly the construction of new  “home  territories” have been thoroughly transformed.

Christophe Bruno (artiste, commissaire d’exposition) & Samuel Tronçon (philosophe, Résurgences, Marseille)
ArtWar(e) – vers une application Facebook pour détecter les formes artistiques

ArtWar(e) est une plate-forme de «gestion des risques artistiques » et de « curating assisté par ordinateur ». Un de ses principaux objectifs est de visualiser dans les réseaux sociaux, des vagues d’émergence, d’obsolescence, et des phénomènes d’import-export de concepts artistiques, comme de repérer des formats. Contrairement à l’histoire de l’art qui nomme les formes une fois qu’elles sont devenues identifiables et formatées, ArtWar(e) cherche à détecter ces tendances au moment de leur émergence, alors qu’elles n’ont encore aucun nom et qu’elles n’ont pas reçu le label d’art. Il s’agit ici à la fois de construire, mais également de mettre en question un dispositif quelque peu kafkaïen. En effet, ArtWar(e) utilise les outils de surveillance les plus puissants jamais développés, comme Facebook, afin de détecter d’infimes soubresauts de la vie sociale des formes. Nous présenterons la méthodologie ainsi que les principes de l’application Facebook en cours de développement.

Partenariats

IMéRA (Aix-Marseille Université), Ecole supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, Laboratoire PACTE (Université de Grenoble), Institut de Recherche et d’Etudes sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM, CNRS-AMU), Laboratoire Méditerranéen de Sociologie (LAMES, CNRS-AMU), Aix-Marseille Université, Réseau Français des Instituts d’Etudes Avancées (RFIEA), Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, CNRS