Livre: Sur les murs de Palestine. Filmer les graffitis aux frontières de Dheisheh, Clémence Lehec

Sur les murs de Palestine. Filmer les graffitis aux frontières de Dheisheh
Metis Presses, collection «vues d’ensemble Essais», 2020
Clémence Lehec

Le graffiti palestinien a une histoire et des spécificités aussi particulières que méconnues. Né dans les camps de réfugiés à la fin des années 1960, le graffiti y est encore largement répandu aujourd’hui. Il est pratiqué par des graffeurs ne se revendiquant pas tous comme artistes et mobilisant des thèmes éminemment politiques. Sur les murs de Palestine nous emmène au sein du camp de Dheisheh pour nous révéler les dessous de ce mouvement aux prises avec les multiples enjeux de la frontière, dans un espace où celle-ci est systématiquement contestée.

Ce livre nous raconte également l’histoire de la création d’un film documentaire, coréalisé avec la cinéaste palestinienne Tamara Abu Laban, qui explore les rues du camp et fait entendre ses voix. À travers le récit et le parcours d’une chercheure au plus près de son terrain d’étude, cet ouvrage fait l’éloge du travail en collectif et contribue au renouvellement de la méthodologie d’enquête, en décortiquant la dimension politique qui s’y cache.

Un dispositif transmédia

Préface et carte de Philippe Rekacewicz.
Cet ouvrage inclut l’accès à une version numérique enrichie, et au film coréalisé par Clémence Lehec et Tamara Abu Laban Les murs de Dheisheh.
(Sélection 2019: Karama Beirut Human Rights Film Festival, Beyrouth; 19e festival Cinéma Méditerranéen, Bruxelles; Red Carpet Human Rights Film Festival, Gaza et Jérusalem et 2020 : Al Ard Film Festival, Sardaigne où il a été primé). Pour plus d’information sur le film

Clémence Lehec

Clémence Lehec est docteure en Sciences de la société, mention géographie et environnement. Ses recherches dans l’espace israélo-palestinien ont débuté en 2013 et se sont concentrées sur le graffiti palestinien dans les camps de réfugiés de Cisjordanie. Le concept de frontière est un élément clef de son travail, tout comme l’échelle du corps et l’expérimentation en géographie. Cultivant une approche collective et extradisciplinaire, ses recherches sont une hybridation entre production scientifique et cinéma documentaire.

Image: Clémence Lehec

Bureau des dépositions: Exercice de justice spéculative

Pièce jointe 17. Extrait de la performance Bureau des dépositions: Exercice de justice spéculative
A travers l’oeuvre Bureau des dépositions. Exercice de justice spéculative, nous fabriquons de la justice depuis les interstices et les limites du droit. Nous reprenons ce que d’autres ont écrit sur les murs de la ville : « les femmes n’ont pas eu le droit de vote en allant voter », ce qui confirme la nécessité d’instituer le droit par nos mouvements sociaux qui prennent soin de la vie et des liens, quand d’autres les tuent. Bureau des dépositions oeuvre à créer des précédents, en développant une stratégie contentieuse en matière de droit d’auteur et de liberté fondamentale contre le contentieux du droit des étrangers et du droit d’asile. Par “justice spéculative”, nous entendons une justice possible, qui a lieu depuis le droit existant et ses limites. En nous réunissant, nous créons aussi une forme de justice transformatrice, au sens d’une justice qui donne à entendre les causes et les conséquences de ces violences, et par là ouvre à de nouveaux possibles.

Une oeuvre immatérielle et processuelle

Bureau des dépositions. Exercice de justice spéculative est une oeuvre immatérielle, processuelle, performée par dix co-autrices et co-auteurs : Mamadou Djouldé Baldé, Ben Moussa Bangoura, Laye Diakité, Mamadou Aliou Diallo, Pathé Diallo, Mamy Kaba, Ousmane Kouyaté, Sarah Mekdjian, Marie Moreau, Saâ Raphaël Moundekeno.

Depuis janvier 2019, nous nous réunissons au Patio solidaire, lieu d’occupation sur le campus universitaire grenoblois, et écrivons des lettres de déposition. Ces lettres repoussent le lexique de la compassion et de l’humanitaire, et lèvent les responsabilités des violences produites par les politiques migratoires, qui circulent le long d’un continuum logistique, reliant notamment la Guinée (Conakry), ancienne colonie française, la France et l’Union Européenne.

La performance s’active dans la discussion publique de ces lettres, face au vide d’une justice manquante, et à un public-témoin. La condition principale d’activation de la performance tient dans la co-présence physique des 10 co-autrices, co-auteurs. Or, plusieurs co-auteurs sont empêchés dans le processus créatif et pendant les temps de performance, en raison d’expulsions, de transferts Dublin, de menaces d’éloignement, de clandestinisation. Notre performance se prolonge ainsi dans une requête juridique non-fictionnelle, qui est en cours de dépôt dans un tribunal administratif par une avocate : quand un ou plusieurs des co-auteurs est éloigné ou clandestinisé, en raison de son statut administratif, nous demandons au tribunal de constater une entrave à notre liberté de création artistique (Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016), une atteinte à l’intégrité de notre oeuvre, une atteinte à notre droit de divulgation de l’oeuvre.

Une stratégie contentieuse

Opposer le droit d’auteur et la liberté de création artistique, au contentieux du droit des étrangers.

Nous nous inspirons, en complicité, de la performance Plaidoirie pour une jurisprudence. X et Y/Préfet de…, co-créée en 2007 aux Laboratoires d’Aubervilliers, par Olive Martin, Patrick Bernier, artistes, Sylvia Preuss-Laussinotte et Sébastien Canevet, avocat.e.s. Cette performance a ouvert une brèche dans laquelle nous nous glissons : « Là où la Préfecture voit un étranger, nous voyons d’abord un auteur ». La reprise de cette stratégie contentieuse dans d’autres cas est une nécessité, nous nous adressons à des auteur.trice.s qui souhaiteraient élaborer et déposer, elles, eux, avec nous, des requêtes auprès des tribunaux administratifs.

Partitions de la performance

Pour lire la première version de la partition de notre performance, datée de juin 2019.
Une deuxième version de la partition est en cours de publication par la Criée, Centre d’art contemporain à Rennes, (revue Lili, la rozell, le marimba, 2020).

Bureau des dépositions. Exercice de justice spéculative est actuellement en résidence au Centre National d’Art Contemporain de Grenoble depuis janvier 2019, et soutenu par l’Université Grenoble Alpes. Une antenne radio « Bureau des dépositions » est ouverte depuis juin 2019 au sein de la radio r22 Tout-Monde, notamment pour la radiodiffusion d’un séminaire intitulé « Œuvrer les limites du droit », URL : https://r22.fr/antennes/bureau-des-depositions

Performances

Une performance est programmée à l’Hexagone, scène nationale, à Meylan, le 21 février 2020 (biennale arts sciences, Experimenta). L’oeuvre a été sélectionnée à Manifesta 2020 (Marseille, biennale internationale d’art contenporain).

Autres publications ou expérimentations en lien avec participants de ce projet

– Mekdjian Sarah et Moreau Marie, « Redessiner l’expérience : Art, sciences et conditions migratoires », antiAtlas Journal, 01 | 2016, En ligne, publié le 13 avril 2016, URL : http://www.antiatlas-journal.net/01/re-dessiner-lexperience-art-science-et-conditions-migratoires, DOI : http://dx.doi.org/10.23724/AAJ.4
Crossing Maps, cartographies traverses, 2013

Les murs de Dheisheh

De la géographie expérimentale à la création audiovisuelle

Ce film a été réalisé dans le cadre d’une thèse de doctorat en géographie soutenue par Clémence Lehec en juin 2019 (Universités de Genève et de Grenoble-Alpes). L’approche de géographie expérimentale a mené à la création audiovisuelle qui s’est révélée être un moyen de faire coexister dans un même objet, les questions de recherche, la collecte de données et la production de résultats. Pensé comme une manière de collaborer, au sens de travailler ensemble, il est un apport méthodologique ayant permis de produire du savoir en collectif, via la coréalisation du film avec une cinéaste palestinienne originaire du camp de Dheisheh, Tamara Abu Laban. Le support documentaire permet de décloisonner les manières de produire du savoir et également de le diffuser au-delà du contexte académique, tel que dans des festivals de cinéma.

Synopsis

Dans le camp de réfugiés de Dheisheh en Cisjordanie, les murs des ruelles sont recouverts de graffitis. Cet espace, refuge et exil, est paradoxalement situé au cœur de la Palestine. Des origines du graffiti palestinien à nos jours, les peintres retracent leurs motivations.

In the Dheisheh refugee camp located in the West Bank, the alley walls are covered with graffitis. This space, refuge and exil, is paradoxically situated in the heart of Palestine. From the origin of Palestinian graffiti until today, the painters retraces their motivations.

Fiche technique

Durée 36’
Pays de production Suisse, Palestine
Production et scénario Clémence Lehec
Réalisation Clémence Lehec et Tamara Abu Laban
Direction artistique et montage Tamara Abu Laban
Assistant caméra Ahmed Saleh
Ingénieur son Husam Al Khateeb
Interprètes Mohammad Abu Laban et Nadim Al Ayaseh
Catering Abla Al Qaisy
Traduction Kiyana Al Saifi et Suha Zyada
Sous-titrage Fabio El Khoury
Design graphique Clovis Duran
Étalonnage et mixage son Florian Golay

Avec
Saleh Abu Laban
Mohammad Manasra
Mohammad Allaham
Mohammad Al Saifi
Aysar Al Saifi
Ali Obeid
Kareema Obeid
Ahmed Saleh

Participation à des festivals

Karama Beirut Human Rights Film Festival, Beyrouth, juillet 2019

19è festival Cinéma Méditerranéen, Bruxelles, novembre 2019

Red Carpet Human Rights Film Festival, Gaza et Jérusalem, décembre 2019

Contact

graffitipalestinien@gmail.com

Une géographie expérimentale de l’art aux frontières

La thèse de doctorat porte sur les graffitis et les figures de la frontière dans un camp de réfugiés palestiniens à savoir le camp de Dheisheh, situé à Bethléem, dans les Territoires palestiniens occupés. Une recherche formelle et expérimentale est proposée, entre réalisation documentaire et écriture scientifique. À travers une étude des éléments figuratifs peints sur les murs, il s’agit de proposer une actualisation du savoir sur l’imagerie populaire palestinienne ainsi que d’interroger de manière originale les représentations de la frontière au sein d’un espace à la marge. L’analyse du réseau d’acteurs et de leurs motivations à peindre permet d’entrer dans la compréhension des spécificités du mouvement graffiti palestinien, dans une perspective diachronique qui en dessine l’ontologie. La production et coréalisation du film Les murs de Dheisheh permet de mettre en scène l’étude des graffitis, leurs auteurs et les frontières qui traversent le camp, tout en proposant de manière continue une réflexion sur la méthodologie originale employée. Se situant dans une perspective extradisciplinaire, cette thèse de géographie expérimentale porte une dimension épistémologique dans la réflexion qu’elle conduit sur la manière de produire du savoir géographique, en prônant une éthique collaborative qui se pose comme une alternative aux modèles participatifs. L’expérimentation se situe à chaque étape de la recherche puisque le film documentaire permet de coréaliser en un seul objet : méthode d’enquête, données collectées et résultat final. Documenter et analyser les frontières au prisme des graffitis palestiniens à Dheisheh permet d’amener les border studies vers une perspective de géopolitique féministe qui définit l’espace des camps comme étant traversé par des lignes de front mobile et des frontières de Damoclès plaçant les corps au cœur du processus de contrôle mis en place par l’occupation israélienne.

This dissertation focuses on graffiti and borders in a Palestinian refugee camp, namely Dheisheh camp, located in Bethlehem, in the Occupied Palestinian Territories. A formal and experimental research is proposed, involving documentary film production and scientific writing. Through a study of figurative elements painted on walls, the dissertation contributes to updating current knowledge of Palestinian popular imagery. It also questions, in an original way, representations of the border within a marginal space. The analysis of the network of relevant actors and their motivation to paint allows for an understanding of the specificities of the Palestinian graffiti movement from a diachronic perspective that draws its ontology. The production and co-direction of the documentary Les murs de Dheisheh (The Walls of Dheisheh) makes it possible to bring the study of graffiti, the artists and the borders that cross the camp to the screen, while continuously proposing a reflection on the original methodology used. From an extradisciplinary perspective, this dissertation in experimental geography offers an epistemological reflection on how geographical knowledge is produced by advocating a collaborative ethic that is seen as an alternative to participatory models. The experimental dimension of the dissertation unfolds at each stage of the research process since the documentary makes it possible to carry out in a single object: survey method, data collection and final result. Documenting and analysing the borders through the lens of Palestinian graffiti in Dheisheh makes it possible to bring border studies towards a feminist geopolitical perspective that defines the camp space as being crossed by mobile front lines and Damocles’ borders, placing bodies at the heart of the control process set up by the Israeli occupation.

Autres travaux de Clémence Lehec

Clémence Lehec & Laurent Davin – Street Art on the Separation Wall