Atelier 9 : De l’économie de la frontière à l’industrie de la migration

11 octobre 2013
Musée des Tapisseries, Aix en Provence

Comité d’organisation: Olivier Grojean (CERIC, CNRS-AMU), Cédric Parizot (IMéRA, IREMAM, CNRS-AMU), Antoine Vion (LEST, AMU)

Cédric Parizot (IMéRA, IREMAM, CNRS, AMU) et Olivier Grojean (CERIC, AMU)
Introduction

Gabriel Popescu (IMéRA, AMU; Indiana University South Bend, USA)
Privatiser la prise en charge de la frontière/ Privatising Border Making

Ruben Hernandez-Leon (UCLA, USA)
L’industrie de la migration : une institution « batarde »/The industry of migration: a « Bastard institution »

Discutant : Antoine Vion (LEST, AMU)

Résumés/Abstract

Gabriel Popescu (IMéRA, AMU; Indiana University South Bend, USA)
Privatiser la prise en charge de la frontière

S’efforçant d’atteindre une perméabilité sélective pour les personnes et les biens, de nombreux aspects de la prise en charge des frontières sont en cours de privatisation. La privatisation soulève la question de la souveraineté sur les frontières et de la nature des acteurs impliqués dans la prise en charge. En tant que limites du territoire étatique, les frontières modernes ont été historiquement régulées par les institutions publiques. Plus récemment, de nombreux gouvernements ont délégué une partie de la gestion des frontières à un éventail de groupes privés et des institutions semi-publiques, voir même aux particuliers. Le résultat a été un brouillage des frontières entre acteurs publics et privés rendant plus difficile l’attribution de la responsabilité aux uns et aux autres.

Les coûts de la « sécuritisation » des frontières sont également énormes. Le contrôle des frontières au XXIe siècle est un marché estimé à plusieurs milliards de dollars. L’investissement de cet argent public intervient à une période de réductions massives des dépenses liées à l’enseignement public, la santé et d’autres programmes sociaux. Une telle logique soulève plusieurs questions: Quels sont les avantages de ces investissements pour la société? Est-ce que la richesse créée par les investissements publics dans la sécurité des frontières justifie le désinvestissement public dans les programmes sociaux ? Est-ce que ces milliards investis dans le contrôle ne pourraient pas générer de meilleurs rendements s’ils étaient investis au sein des sociétés concernées ?

Privatizing border making

Striving to achieve selective permeability for people and goods, numerous aspects of border making are being privatized. Privatization raises the issue of authority over borders and involves changes in the nature of the actors engaged in border making. In their capacity as territorial limits of the public institution of the state, modern state borders have been historically regulated through public institutions. More recently, numerous governments have delegated certain border management responsibilities to an array of private groups and quasi-public institutions, and even to private citizens. The result has been a blurring of the lines between private and public border-making actors that make it more difficult to establish where accountability for border management lies.

Another privatization-related aspect is that the costs of border securitization are enormous. Border making in the twenty-first century is a worldwide multi-billion-dollar business that are public money invested in border security at a time of massive spending cuts in public education, health care, and other social programs. Such logic begs several questions: What are the benefits of these investments for society? Is the wealth created by public investments in border security worth the losses created by public disinvestment in social programs when it comes to the well-being of societies? Can these billions bring better security returns if strategically invested in the sending societies?

Ruben Hernandez-Leon (UCLA, USA)
L’industrie de la migration : une institution « bâtarde »

Cette présentation s’efforcera d’envisager l’industrie de la migration comme une institution sociale « bâtarde ». Inventé par le sociologue américain Everett Hughes (1984), le concept d’institution « bâtarde » se réfère aux «écarts chroniques des institutions établies ». Les institutions « bâtardes » représentent des canaux alternatifs à ceux mis en place pour la distribution de biens et de services. Elles n’interviennent pas seuls, mais uniquement en relation et en interaction avec les institutions sociales considérées comme légitimes. Le recours à ce concept n’a pas pour objectif de qualifier cette industrie de déviante, mais davantage de réintroduire dans l’horizon analytique des phénomènes sociaux et économiques qui ont été marginalisés et exclus des études sociologiques.

The Migration Industry as a Bastard Institution

In this presentation, I advance the conceptualization of the migration industry as a bastard institution.  Coined by sociologist Everett Hughes, bastard institutions are chronic deviations from established institutions, which provide alternative distribution channels of goods and services.  The migration industry can be conceptualized as a bastard institution in that such industry, its actors and infrastructures provide alternatives to state sanctioned mobility across international borders.  Often deemed illegal by states, the migration industry as bastard institution enjoys varying degrees of legitimacy and support from migrants, employers, migration entrepreneurs and other actors of the social field of international migration.     

Partenariat

LabexMed (AMU), IMéRA (Aix-Marseille Université), Ecole supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, Laboratoire PACTE (Université de Grenoble), Isabelle Arvers (Marseille), La compagnie (Marseille), IREMAM (CNRS- AMU), LEST (CNRS-AMU)

Photographie : Claude Chuzel, 2006

Atelier 2 : Matérialisation, dématérialisation de la frontière

22-23 mars 2012
Maison des Astronomes, IMéRA
2 place Le verrier
13004 Marseille

Organisation: Stéphane Rosière (Université de Reims Champagne-Ardenne), Nicola Mai (London Metropolitan University),
Cédric Parizot (IMéRA-IREMAM, Aix Marseille Université, CNRS)

La matérialité des murs et des frontières du XXIe siècle

Stéphane Rosière (géographe, HABITER, Université de Reims)
Les barrières frontalières : seuil, types et logiques

Elisabeth Vallet (politologue, Chaire Raoul-Dandurand, UQAM, Montréal)
Dynamique de construction des barrières frontalières

Hervé Braik (Business Segment Manager, Border Security Systems, C4I Defense & Security Systems Division Thales)
Les systèmes de surveillance des frontières

Matérialisation/dématérialisation des frontières : une question de définition ?

Paolo Cuttitta (politologue, Università di Palermo)
The construction of a border island: The Lampedusa case

Shira Havkin (politologue, CERI, IEP de Paris)
Les transformations du dispositif sécuritaire « frontalier »israélien et l’externalisation des checkpoints

Stéphanie Latte Abdallah (historienne, IREMAM, CNRS, Aix Marseille Université)
Déni de frontières. Toile carcérale et management des prisonniers politiques palestiniens après Oslo (1993-2010)

Olivier Clochard (géographe, ADES/Terre Ferme)
La dilution de la frontière dans le territoire

Transgresser les frontières matérielles et immatérielles

Cédric Parizot (anthropologue, IMéRA/IREMAM, Aix Marseille Université, CNRS)
Crossing and taking over a dysfunctional wall: the Israeli-Palestinian case

Heath Bunting (artiste)
Build a new identity workshop

Résumés

Stéphane Rosière (géographe, HABITER, Université de Reims)
Les barrières frontalières : seuil, types et logiques

Durant cette présentation, la notion de barrière frontalière sera discutée et notamment en termes de seuil, types et logiques à l’œuvre sur ces artefacts. La question du seuil revient à se demander à partir de quel stade un ouvrage frontalier peut être considéré comme une barrière, les frontières « inexistantes » sur le terrain répondent à la représentation dominante des frontières ouvertes, celle-ci sera mise en avant comme l’archétype de la frontière contemporaine, la barrière en étant l’opposé. La question du type renvoie essentiellement à la distinction mur/clôture qui sera discutée d’un point de vue symbolique et d’un point de vue technique. L’efficacité technique des clôtures high-tech pourra être soulignée. Au-delà des questions de morphologie, la difficile mesure de ces artefacts sera aussi envisagée. Enfin, en termes de logiques, les barrières frontalières peuvent être envisagées de façon multiscalaire : logique de leur fonctionnement et logiques d’apparition. En termes de fonctionnent on soulignera leurs liens avec des checkpoints mis en réseau entre eux et relié à des bases de données (nationales et parfois internationales) ; à l’échelle mondiale, les barrières frontalières paraissent liées à des macrologiques géopolitiques et surtout aux discontinuités de développement.

Elisabeth Vallet (politologue, Chaire Raoul-Dandurand, UQAM, Montréal)
Dynamique de construction des barrières frontalières

While drawing a border is, by definition, a bilateral process, building a wall is a unilateral act that freezes a line of demarcation. A border can be seen as an area of contact and influence but the advent of a world without constraints or standards, particularly economic standards, is leading to the creation of barricades around populations as states retreat into the security of feudal reflexes, testifying to certain undercurrents of globalization that paradoxically are encouraging a return to a kind of ‘neo-feudalization’ of the world. Thus the return of the wall as a political tool may be symptomatic of a new era in international relations, redefining interstate couples around the world. As such the US perception of its own borders is symptomatic of this trend. We will explore the history and impact of the border wall issue in a comparative perspective (southern border v. border as well as in other hemispheres) as the US border wall is a relevant referent to explore more complex (and less accessible) fenced borders of the post cold war era.

Hervé Braik (Business Segment Manager, Border Security Systems, C4I Defense & Security Systems Division Thales)
Les systèmes de surveillance des frontières

De plus en plus de pays à travers le monde font face à une forte augmentation des entrées illégales à travers leurs frontières. Les menaces sont le traffic de marchandises prohibées telles que la drogue, les armes et l’immigration illégale, plus rarement le terrorisme. Afin de lutter contre ses activités criminelles, les autorités publiques de ces pays investissent dans la mise en place de systèmes de surveillance des frontières. Utilisant diverses technologies, les systèmes déployés permettent par une automatisation accrue et par de meilleures performances de supporter les gardes-frontières dans leurs tâches quotidiennes de surveillance des zones frontalières et d’interception des contrevenants. Ces solutions se traduisent par une meilleure efficacité dans le contrôle des frontières.

Paolo Cuttitta (politologue, Università di Palermo)
The construction of a border island: The Lampedusa case

Why is Lampedusa more ‘border’ than other Italian and European border spots? I start from the assumption that Lampedusa’s high degree of ‘borderness’ results not only from its geographical location within the current historical context, but also from a specific ‘borderisation’ process. Specific policies and practices of immigration control have transformed the island in the Strait of Sicily not only into a hotspot of the Italian and EU border regime, but also into a stage on which the narratives of the ‘tough border’ and of the ‘humane border’ coexist in the performance of what I call the ‘border play’. After summarising Lampedusa’s ‘borderness’ from different points of view (the volume of immigration by sea, the deadly consequences of border controls, their compliance with human rights, the agency of migrants etc.), I will analyse the main measures and practices as well as the narratives prevailing, between 2004 and 2011, in five different acts of the ‘border play’.

Shira Havkin (politologue, CERI, IEP de Paris)
Les transformations du dispositif sécuritaire « frontalier »israélien et l’externalisation des checkpoints

Une des particularités de la géographie politique israélienne tient à l’ambivalence qu’y prend le terme de frontière. Trois des frontières de l’Etat israélien ne sont pas reconnues au niveau international et sont considérées comme frontières temporaires. Le dispositif sécuritaire mis en place afin de contrôler l’entrée dans le territoire national est pourtant extrêmement important. Ce dispositif concerne tout d’abord les forces déployées aux points de contrôle placés à la périphérie et à l’intérieur des territoires palestiniens occupés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, mais il renvoie également à la construction d’un mur sur la frontière israélo-egyptienne destiné à réduire le flux d’immigrants et de réfugiés, ainsi qu’à la restructuration de la police de l’immigration dans le cadre d’une réforme structurelle. Dans cette présentation, je vais étudier les dernières évolutions des dispositifs sécuritaires « frontaliers », en soulignant les liens avec les caractéristiques et les transformations internes à la société israélienne. Le processus de délégation de la gestion des checkpoints « frontaliers » à des entreprises de sécurité privées, entamé en 2006, constitue un exemple particulièrement intéressant pour analyser l’articulation de logiques sécuritaires et de logiques néolibérales. Si cette réforme, désignée comme « citoyennisation» par ses initiateurs, est souvent présentée comme une démarche de« démilitarisation » d’une sphère militaire,l’analyse de ses modalités révélera qu’elle est accompagnée par un processus parallèle de « re-militarisation » de la société. L’étude des différentes composantes du dispositif sécuritaire« frontalier » israélien et de son évolution dégagera des modalités hétérogènes qui renvoient à la restructuration du dispositif sécuritaire et militaire ainsi que les nouvelles configurations que prend la notion de frontière.

Stéphanie Latte Abdallah (historienne, IREMAM, Aix Marseille Université, CNRS, Aix en Provence)
Déni de frontières. Toile carcérale et management des prisonniers politiques palestiniens après Oslo (1993-2010)

Le système carcéral israélien adressé aux Palestiniens étend sur les territoires occupés une toile carcérale qui est tout à la fois une réalité et une virtualité carcérale, c’est-à-dire une capacité à emprisonner quasiment tout le monde à partir de l’âge de 12 ans. Cette toile carcérale crée un espace suspendu dont les limites géographiques, juridiques et temporelles sont floues, et à certains égards indéterminées. Cette communication entend ainsi reconsidérer la question des frontières et des limites (entre Israël et les territoires occupés/entre dedans et dehors) dans les espaces israélo-palestiniens à partir des modalités de l’incarcération des Palestiniens en lien avec les morcellements territoriaux dans les territoires et les pratiques destinées à pallier enfermements et fragmentations.

Olivier Clochard (géographe, ADES/Terre Ferme)
La dilution de la frontière dans le territoire

Les lieux d’enfermement de l’Union européenne et ses pays voisins relèvent d’une grande diversité. De l’important centre de rétention administrative construit récemment – selon des normes rappelant des standards de grandes chaînes d’hôtels – à l’espace informel marqué par des conditions matérielles dégradantes, tous ces lieux forment un ou plusieurs dispositifs dont les limites sont parfois difficile à saisir. Si les premiers s’inscrivent dans des cadres législatifs de plus en plus complexes, l’existence des seconds résulte souvent de montages locaux, ad hoc, ponctuels. Mais les deux types de structures s’inscrivent dans le temps – marquant les politiques migratoires contemporaines – et sont devenus des jalons importants dans les parcours des exilés. Enfin les circulations entre ces lieux – et à l’intérieur de ses structures –participent à l’élaboration de frontières avec les sociétés dans lesquelles les migrants ont envisagé de vivre.

Cédric Parizot (anthropologue, IMéRA/IREMAM, Aix Marseille Université, CNRS)
Crossing and taking over a dysfunctional wall: the Israeli-Palestinian case

Le perfectionnement et l’automatisation des technologies de surveillance est souvent perçu comme un moyen de déployer un contrôle plus fiable, plus standardisé, plus prévisible que le contrôle humain. Je montrerai que cette approche est illusoire : il n’est pas possible de dissocier une technologie de surveillance aussi automatisée soit-elle des conditions politiques, sociales, et économiques dans lesquelles elle est mise en œuvre. Déployées et associé à des systèmes de contrôle préexistant, des acteurs institutionnels et politiques spécifiques, les technologies de surveillance reproduisent les contradictions et les imprévisions des systèmes et des acteurs qui les mettent en oeuvre, bien souvent, en transforment la réalité qu’elles sont censées contrôler, elles créent de nouveaux défis qui échappent à leurs promoteurs. Pour illustrer mon propos, je prendrais pour exemple le cas du mur de séparation construit en Cisjordanie. Partant d’observations développées sur ce terrain, je montrerai que le fonctionnement de ces technologies de contrôle ne peut être envisagé sans prendre en compte leurs disfonctionnements et la manière dont ceux-ci sont réappropriés par un ensemble d’acteurs formels et informel en dehors de l’Etat.

Partenariats

IMéRA (Aix-Marseille Université), Ecole supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, Laboratoire PACTE (Université de Grenoble), Institut de Recherche et d’Etudes sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM, CNRS-AMU), Laboratoire Méditerranéen de Sociologie (LAMES, CNRS-AMU), Aix-Marseille Université, Réseau Français des Instituts d’Etudes Avancées (RFIEA), Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, CNRS

Photo: Cédric Parizot, Le Mur de séparation, Bethlehem, Cisjordanie, 2008