Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui? Paris: PUF, 2015 par Anne Laure Amilhat Szary

Anne Laure Amilhat-Szary, Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui? Paris: PUF, 2015

Les frontières représentent aujourd’hui un enjeu complexe dans la vie des personnes. Elles relient et divisent, elles se font mobiles, s’individualisent aussi, laissant circuler librement certains et retenant d’autres. Qu’elles s’ouvrent ou se ferment, elles sont à la fois l’objet de politiques publiques spécifiques et une importante ressource pour les intérêts privés. Technique de gouvernement des Etats, elles constituent un levier privilégié du capitalisme marchand. Elles sont le lieu d’exacerbation des processus politiques, sociaux, économiques actuels, un laboratoire de notre époque.

Pour l’heure, les frontières internationales restent les supports d’une citoyenneté qui elle-même fonde la démocratie… Mais la façon dont nos limites vacillent met en évidence le devenir incertain de nos systèmes politiques. Comprendre ce qu’est une frontière aujourd’hui, c’est ainsi interroger l’avenir de nos sociétés et reformuler notre relation au monde.

164 pages, 14 euros

Géographe, Anne-Laure Amilhat Szary est professeure à Grenoble. Membre de l’IUF, elle travaille sur les dynamiques frontalières et anime au sein du laboratoire CNRS PACTE, le groupe de recherche « Frontières, altérité, marges, mondialisation, expérimentation ». Elle est aussi membre fondateur du collectif « antiAtlas des frontières ».

Camille Schmoll – Compte rendu du colloque: The Art of Bordering

Camille Schmoll
Université Paris VII Denis Diderot, France
décembre 2014

Les artistes, chercheur.e.s et activistes réunis au Maxxi (Rome) du 24 au 26 octobre dernier ont contribué à bousculer les approches fixistes du territoire et de la géographie politique en nous proposant de nouveaux récits et imaginaires des frontières. Par leurs approches circulantes, multi-vocales et multi-situées, les travaux présentés ont montré qu’il n’y a en aucun cas une seule cartographie possible des frontières, mais bien de multiples visions et vécus. Ces visions ont souvent pour base un travail d’ethnographie, mais elles s’en émancipent, en prenant diverses voies de traverses pour nous restituer la diversité des pratiques et expériences des frontières. Elles insistent également sur le caractère évolutif et la relocalisation constante de ces frontières, à l’instar de la vidéo de de Simona Koch intitulée Borders, qui condense en quelques minutes l’évolution multi-séculaire des frontières européennes.

Du point de vue des études migratoires, les travaux qui ont été présentés lors de ce colloque-exposition témoignent d’un retournement critique du champ, dans la lignée des critical border studies. Lié au renforcement croissant des frontières et dispositifs de contrôle dans l’espace européen et en ses marges, ce renouveau critique se nourrit d’un certain nombre de catégories – humanitarisme  et raison humanitaire, encampement etc… – et d’auteurs, notamment Didier Fassin et Michel Agier.  Ces travaux mettent en scène des frontières certes parfois diluées et multilocalisées, mais également catégorisantes et hiérarchisantes, comme l’ont souligné tour à tour les travaux de Nick Mai autour de l’humanitarisme sexuel ou ceux de Barbara Sorgoni sur les « régimes de vérité » qui régissent la validation/invalidation des témoignages des demandeurs d’asile. On est probablement là face au plus criant paradoxe de la mondialisation néolibérale qui, tout en favorisant la circulation des objets et des capitaux, classe et contraint celles des individus, comme cela a été souligné à plusieurs reprises durant le colloque.

Ce qui est intéressant dans ce moment critique des études migratoires est qu’il coïncide avec ce qu’on pourrait appeler un tournant visuel et digital qui parcourt aussi bien les disciplines artistiques que les sciences sociales. Dans le contexte italien, on est face à un foisonnement de productions visuelles critiques, souvent participatives, mêlant collectivement activistes, journalistes, artistes, migrant.e .s et chercheur.e.s. Parmi ceux qui ont été mentionnés ou présentés lors du colloque, les travaux de Heidrun Friese, de Zalab, de l’Archivio Memorie Migranti contribuent à enrichir nos façons d’appréhender les trajectoires et expériences migratoires. La multiplication des visualisations et des rendus possibles accroit aussi l’espace de liberté des chercheur.e .s et artistes. Elle rend possible l’épanouissement de l’imaginaire socio-géographique autour d’une approche véritablement complexe, kaléidoscopique des frontières, qui hybride parfois fiction et réalité.

L’apport des positions post-structuralistes est ici central: alors que le réseau présenté dans Stones and Nodes par Cédric Parizot, Mathieu Coulon, Guillaume Stagnaro et Antoine Vion  évoquait l’acteur-réseau de Latour, c’est le cyborg et les multiple voices de Donna Haraway que m’évoque Samira de Nicola Mai. Les visualisations qui nous ont été présentées montrent que la frontière peut être contestée comme nous y engage le film Io sto con la sposa ou encore les travaux de cartographie critique et participative du groupe Migreurop Close the camps! présentés par Isabelle Arvers. C’est alors la dimension performative des frontières qui s’impose, permettant non seulement d’interroger les frontières mais de les retourner ; de ne pas montrer seulement comment elles agissent et se constituent, mais de les percer selon l’expression d’Antonio Augugliaro. Charles Heller et Lorenzo Pezzani subvertissent ainsi les dispositifs de surveillance des frontières en les utilisant pour produire de la preuve de leur caractère assassin, dans le documentaire Liquid Traces.

La frontière fédère des systèmes informels et informels, des réseaux technologiques et humains, elle fait dispositif. Les chercheur.e.s et les artistes mettent en œuvre de nombreuses tactiques d’appréhension des multiples situations qu’elle agrège. Une autre version du territoire et de la frontière s’impose alors, une frontière mobile, encorporée, rhizomatique, à l’image de la frontière-réseau décrite par Cédric Parizot, Mathieu Coulon, Guillaume Stagnaro et Antoine Vion. C’est aussi à une réflexion de fonds sur les rouages du pouvoir que nous ont conviés les intervenants, ouvrant la boîte noire de l’Etat pour en mettre en évidence ses multiples ressorts et acteurs, à l’instar du travail de Federica Infantino qui décortique les mécanismes de l’examen et du traitement par les consulats des demandes de visas.

Du point de vue de la géographie des frontières, ce ne sont plus des lignes que nous observons, mais bien des « lieux de fixation », qu’ils s’agissent de mers, de murs, de corps ou encore d’îles ; « lieux de fixation » technologiques, pour reprendre l’expression de Steve Wright ; mais également lieux de tous les imaginaires et transformations culturelles, comme nous l’ont rappelé Chiara Brambilla et Elena dell’Agnese, dans leur travaux menés à Lampedusa et à la frontière américano-mexicaine, autour de la notion de borderscape. Le positionnement, la subjectivité des chercheur.e.s et des artistes sont au cœur de la production de ces borderscapes, tout comme les dynamiques d’intersubjectivité qui se créent entre chercheur.e.s, artistes et migrant.e.s. Cédric Parizot est au cœur du réseau qu’il explore et Nicola Mai tient ainsi tout autant la vedette que Samira dans son ethnofiction.

Action de l’Etat et des institutions in the making, subjectivités des artistes et des chercheur-e-s, ce sont également les subjectivités encorporées des migrant-e-s qui sont au cœur de la réflexion, pour produire des subjectivités contre-hégémoniques de la frontière, pour reprendre l’expression de Chiara Brambilla, dans la lignée d’une approche phénoménologique. Le documentaire Les messagers d’Hélène Crouzillat et Laetitia Turall restitue ainsi les témoignages de migrants ayant traversé la frontière des migrant.e.s du Sahara à Melilla et leur intense côtoiement avec la mort de leurs proches et compagnons de route. Ces migrants mettent au cœur de leurs récits le sentiment de déshumanisation progressive qui préside à ces trajectoires.

Il est d’autant plus urgent de restituer ces expériences et individualités migrantes que nous sommes actuellement assaillis par les représentations médiatiques de la horde ou de la masse migratoire, y compris lorsque celles-ci s’articulent à un discours empathique et compassionnel. Cette focalisation sur les subjectivités migrantes permet également de tenter de comprendre ce qu’il reste aux migrant.e.s une fois que toutes les explications structurelles sur la migration sont épuisées. En d’autres termes, c’est l’autonomie migrante qui est ainsi mise au centre de la réflexion, une autonomie qui persiste parfois coûte que coûte, au péril de sa propre vie.

A plusieurs reprises durant ce colloque, le caractère critique du moment actuel dans le sud de l’Europe nous a été rappelé, à l’instar du témoignage de Virginie Baby Collin sur la situation migratoire espagnole. L’Europe et la Méditerranée traversent aujourd’hui une triple crise : économique (qui a conditionné la reprise des flux de départs en provenance d’Europe du Sud et les retours de migrants au pays) ; politique (crise des souverainetés nationales, montée de la xénophobie et des nationalismes en Europe, et dans certains contextes explosion des violences envers les étrangers et renforcement des frontières); politique encore, au sens de l’explosion des guerres civiles et du développement des révoltes à la suite des printemps arabes.

Il est probable par ailleurs que la perception du fossé existant entre l’immobilisation de certains et la connexion croissante des autres (connexions humaines, informationnelles) accentue le sentiment de crise et d’injustice parmi les indésirables, comme nous l’a rappelé Corrado Bonifazi. On sait également, suite aux travaux de Michel Agier,  à quel point les notions de crise et d’urgence peuvent elle-même être fonctionnelles à la production des frontières.

Du point de vue de l’Italie, ce colloque-exposition a certainement décloisonné les débats en élargissant la perspective vers le Sud de la Méditerranée et l’Est de l’Europe. Il a questionné la centralité de la situation italienne, notamment face à ce qui est perçu comme la menace d’une immigration massive de demandeurs d’asile.

Concernant la possibilité pour le moment actuel de se transformer en crise créative, plusieurs scénarios nous ont été proposés : des plus optimistes, pariant sur la capacité des activistes en réseau à s’approprier les dispositifs et à contrer la frontière-réseau ; aux plus sombres et dramatiques concernant les développements technologiques récents et la sophistication technologique extrême des formes de contrôle.  Ce qui est certain est que le colloque a permis de renouveler la définition des possibles, à réfléchir aux types de refus que nous souhaitons opposer à la frontiérisation, aux discours et alliances possibles, avec la certitude, renforcée à l’issue de ce colloque, que la focalisation sur une seule vision/version de la frontière est une stratégie vouée à l’échec.

Atelier 9 : De l’économie de la frontière à l’industrie de la migration

11 octobre 2013
Musée des Tapisseries, Aix en Provence

Comité d’organisation: Olivier Grojean (CERIC, CNRS-AMU), Cédric Parizot (IMéRA, IREMAM, CNRS-AMU), Antoine Vion (LEST, AMU)

Cédric Parizot (IMéRA, IREMAM, CNRS, AMU) et Olivier Grojean (CERIC, AMU)
Introduction

Gabriel Popescu (IMéRA, AMU; Indiana University South Bend, USA)
Privatiser la prise en charge de la frontière/ Privatising Border Making

Ruben Hernandez-Leon (UCLA, USA)
L’industrie de la migration : une institution « batarde »/The industry of migration: a « Bastard institution »

Discutant : Antoine Vion (LEST, AMU)

Résumés/Abstract

Gabriel Popescu (IMéRA, AMU; Indiana University South Bend, USA)
Privatiser la prise en charge de la frontière

S’efforçant d’atteindre une perméabilité sélective pour les personnes et les biens, de nombreux aspects de la prise en charge des frontières sont en cours de privatisation. La privatisation soulève la question de la souveraineté sur les frontières et de la nature des acteurs impliqués dans la prise en charge. En tant que limites du territoire étatique, les frontières modernes ont été historiquement régulées par les institutions publiques. Plus récemment, de nombreux gouvernements ont délégué une partie de la gestion des frontières à un éventail de groupes privés et des institutions semi-publiques, voir même aux particuliers. Le résultat a été un brouillage des frontières entre acteurs publics et privés rendant plus difficile l’attribution de la responsabilité aux uns et aux autres.

Les coûts de la « sécuritisation » des frontières sont également énormes. Le contrôle des frontières au XXIe siècle est un marché estimé à plusieurs milliards de dollars. L’investissement de cet argent public intervient à une période de réductions massives des dépenses liées à l’enseignement public, la santé et d’autres programmes sociaux. Une telle logique soulève plusieurs questions: Quels sont les avantages de ces investissements pour la société? Est-ce que la richesse créée par les investissements publics dans la sécurité des frontières justifie le désinvestissement public dans les programmes sociaux ? Est-ce que ces milliards investis dans le contrôle ne pourraient pas générer de meilleurs rendements s’ils étaient investis au sein des sociétés concernées ?

Privatizing border making

Striving to achieve selective permeability for people and goods, numerous aspects of border making are being privatized. Privatization raises the issue of authority over borders and involves changes in the nature of the actors engaged in border making. In their capacity as territorial limits of the public institution of the state, modern state borders have been historically regulated through public institutions. More recently, numerous governments have delegated certain border management responsibilities to an array of private groups and quasi-public institutions, and even to private citizens. The result has been a blurring of the lines between private and public border-making actors that make it more difficult to establish where accountability for border management lies.

Another privatization-related aspect is that the costs of border securitization are enormous. Border making in the twenty-first century is a worldwide multi-billion-dollar business that are public money invested in border security at a time of massive spending cuts in public education, health care, and other social programs. Such logic begs several questions: What are the benefits of these investments for society? Is the wealth created by public investments in border security worth the losses created by public disinvestment in social programs when it comes to the well-being of societies? Can these billions bring better security returns if strategically invested in the sending societies?

Ruben Hernandez-Leon (UCLA, USA)
L’industrie de la migration : une institution « bâtarde »

Cette présentation s’efforcera d’envisager l’industrie de la migration comme une institution sociale « bâtarde ». Inventé par le sociologue américain Everett Hughes (1984), le concept d’institution « bâtarde » se réfère aux «écarts chroniques des institutions établies ». Les institutions « bâtardes » représentent des canaux alternatifs à ceux mis en place pour la distribution de biens et de services. Elles n’interviennent pas seuls, mais uniquement en relation et en interaction avec les institutions sociales considérées comme légitimes. Le recours à ce concept n’a pas pour objectif de qualifier cette industrie de déviante, mais davantage de réintroduire dans l’horizon analytique des phénomènes sociaux et économiques qui ont été marginalisés et exclus des études sociologiques.

The Migration Industry as a Bastard Institution

In this presentation, I advance the conceptualization of the migration industry as a bastard institution.  Coined by sociologist Everett Hughes, bastard institutions are chronic deviations from established institutions, which provide alternative distribution channels of goods and services.  The migration industry can be conceptualized as a bastard institution in that such industry, its actors and infrastructures provide alternatives to state sanctioned mobility across international borders.  Often deemed illegal by states, the migration industry as bastard institution enjoys varying degrees of legitimacy and support from migrants, employers, migration entrepreneurs and other actors of the social field of international migration.     

Partenariat

LabexMed (AMU), IMéRA (Aix-Marseille Université), Ecole supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, Laboratoire PACTE (Université de Grenoble), Isabelle Arvers (Marseille), La compagnie (Marseille), IREMAM (CNRS- AMU), LEST (CNRS-AMU)

Photographie : Claude Chuzel, 2006

Atelier 3 : Frontières et technologies

19-20 avril 2012
Maison des Astronomes, IMéRA,
2 place Le Verrier
13004 Marseille

Organisation: Cédric Parizot (IMéRA/CNRS-IREMAM), Amaël Cattaruzza (CREC, Saint Cyr-Coëtquidan), Nicola Maï (London Metropolitan University, IMéRA), Gabriel Popescu (Indiana University, South Bend)

L’utilisation de technologies de plus en plus perfectionnées pour contrôler les flux de personnes et de marchandises traversant les frontières est un phénomène largement répandu. Il suffit ainsi de mentionner le lancement du projet Frontières intelligentes ou Barrière virtuelle aux Etats Unis, la centralisation des systèmes de renseignement dans l’espace Schengen, les patrouilles de robots et les barrières de « high-tech » en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, les robots sentinelles tueurs en Corée du Sud et, enfin, l’adoption internationale des standards du passeport électronique pour avoir quelques exemples du phénomène. Sa mise en place repose sur l’idée largement partagée que ces techniques fournissent des outils plus efficaces pour identifier et stopper les personnes indésirables et suspectes au sein des flux globaux. Le déploiement de ces technologies soulève des questions fondamentales dans la mesure où il contribue aux transformations de la nature et des formes des frontières, des espaces, et des territorialités.

« Frontières intelligentes”: état de l’art

Amaël Cattaruzza (géographe, maître de conférences, École Saint Cyr Coëtquidan)
Contrôle des frontières : la tentation technologique

Mariya Polner (political scientist, research analyst, WCO Research and Strategies Unit)
Technologies de contrôle aux frontières: tendances et formes de développement

Philippe Bonditti (politologue, professeur assistant, IRI/PUC-Rio, Rio de Janeiro, Brésil et chercheur associé au CERI-Sciences Po Paris, France)
Flux et frontières, « Technologisation » des contrôles et traçabilité

Robots and border control / Robots et contrôle frontalier

Sylviane Pascal (Security & Europe Defence Business Development Manager ONERA – The French Aerospace Lab)
Le programme Talos : enjeux et perspective de l’usage de robots terrestres aux frontières

Noel Sharkey (artificial intelligence and robotics, professor, University of Sheffield)
À la limite du ridicule: contrôler nos mouvements à partir du ciel

When things bite back / Quand les choses mordent

Daniel Kopecky (lieutenant-colonel, chef du département relations internationales aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan)
Technologies aux frontières : les limites du système. Retour d’expérience de mission d’expertise en Asie du sud-est

Thomas Cantens (administrateur à l’Unité Recherche et Stratégies de l’OMD et membre du Centre Norbert Elias EHESS-Marseille)
Apprivoiser ou s’approprier : l’effet des transformations des techniques de contrôle douaniers sur le fonctionnement des administrations et la nature des frontières

Contrôle « sans fil » : mise en œuvre, effets et réappropriation

Gabriel Popescu (geographer, assistant professor, Indiana University South Bend, USA)
Technologies de contrôle à distance et production d’espaces frontaliers topologiques

Dana Diminescu (sociologue, EC Telecom Paristech, directeur scientifique du programme TIC Migrations FMSH Paris)
Migrants connectés: « K29? » dans la sociologie des migrations

Christophe Bruno (artiste, commissaire d’exposition) & Samuel Tronçon (philosophe, Résurgences, Marseille)
ArtWar(e) – vers une application Facebook pour détecter les formes artistiques

Résumés

Amaël Cattaruzza (géographe, maître de conférences, École Saint Cyr Coëtquidan)
Contrôle des frontières : la tentation technologique

En octobre 2006 était votée au Congrès américain la Secure Fence Act qui prévoyait la construction d’une barrière d’environ 1 100 km pour séparer les Etats-Unis du Mexique. Son but était de lutter contre l’immigration clandestine, le trafic de drogue et le terrorisme, en mettant en place une « surveillance systématique des frontières internationales terrestres et maritimes des Etats-Unis par l’usage plus efficace des personnels et de technologies, telles que les drones, senseurs sismiques, satellites, radars et caméras » (Secure Fence Act, Section 2). L’usage de technologies de surveillance apparaît donc ici comme l’un des éléments clefs du dispositif sécuritaire, car il permettrait une surveillance systématique et totale de la zone concernée, et semblerait donc apporter une réponse adaptée à l’incertitude et à l’imprévisibilité des flux illégaux. Quelques années auparavant la mise en place de smart borders avait permis l’adoption de technologies d’identifications des marchandises (usage de puces électroniques) et des personnes (contrôle biométriques, usage de cartes à puce contenant des données personnelles, etc.). L’exemple américain est loin d’être exceptionnel et l’usage des nouvelles technologies dans le domaine de la surveillance et du contrôle des flux aux frontières se généralise de nos jours. De tels procédés se retrouvent entre autres aux frontières de l’Espace Schengen. Cette intervention propose donc de dresser un état des lieux de l’usage des technologies pour le contrôle des frontières et de s’interroger sur la manière dont cet usage modifie la nature du phénomène frontalier. A travers l’outil technologique, ne voyons nous pas apparaître cet « ubiquituous border », frontière omniprésente, que décrit Stephen Graham, pour lequel le territoire urbain devient en lui-même un des multiples lieu de contrôle de la frontière ?

Mariya Polner (political scientist, research analyst, WCO Research and Strategies Unit)
Technologies de contrôle aux frontières: tendances et formes de développement

In a globalised world where interconnectedness and integration are key dynamics influencing economic growth and social development, policymakers are increasingly realizing the need for accelerated border management regulatory reform to reduce unnecessary barriers and burdens on trade. However, the fruits of globalization are used not only by legal businesses, but also by illegal traders. Therefore, border agencies face a serious challenge of balancing security and trade facilitation. The World Customs Organization (WCO) has developed a set of instruments in order to assist Customs Administrations in promoting the balance between the two, and technology plays a pivotal role striving for this objective. Deployment of technology, however, has never been and will never be a “silver bullet” to solve all public policy objectives.  This presentation will start with discussing the changing environment in which border agencies operate, with a focus on the notion of ‘border’ and its changing meaning over time. After the overview of WCO instruments we will look into different kinds of technologies that are currently in use, as well as those that are now being developed. We will also discuss issues pertaining to the operationalisation of technologies, as they become vital for any agency that considers using them. Finally, we will discuss critical aspects of technology development which would allow it to remain an indispensable tool in the hands of Customs.

Philippe Bonditti (politologue, professeur assistant, IRI/PUC-Rio, Rio de Janeiro, Brésil et chercheur associé au CERI-Sciences Po Paris, France)
Flux et frontières, « Technologisation » des contrôles et traçabilité

Voilà près de 20 ans que la lutte contre le « terrorisme » et autres phénomènes transnationaux a replacé la sécurité des frontières au cœur des problématiques dites de sécurité et de défense. Un peu partout dans le monde, les programmes de développement de smart borders se multiplient. Pourtant, loin de renforcer les frontières, leur technologisation contribue à brouiller l’image du monde géopolitique, nous rappelant que le renforcement du contrôle aux frontières ne vise pas tant les frontières en elles-mêmes que les flux susceptibles de les traverser. Ces contrôles – que l’on dit communément « aux frontières » – sont  en fait réalisés en des points bien spécifiques (checkpoints) qui ne correspondent que très rarement à ceux qui forment ces lignes aux moyens desquelles nous représentons la frontière sur les cartes du monde géopolitique. Ils sont en outre réalisés bien en amont de « l’entrée en mobilité » au moyen d’un régime déterritorialisé de contrôle des flux que nous nous proposons d’explorer plus avant dans cette présentation en nous appuyant plus spécifiquement sur le cas des Etats-Unis, et plus marginalement de l’Europe. Il s’agira de mettre en évidence la logique de mise en réseau des appareils de sécurité, la manière dont elle influe sur les pratiques contemporaines de frontiérisation, et l’avènement de la traçabilité comme technique majeure de la gouvernementalité contemporaine.

Sylviane Pascal (Security & Europe Defence Business Development Manager ONERA – The French Aerospace Lab)
Le programme Talos : enjeux et perspective de l’usage de robots terrestres aux frontières

Le projet TALOS (Transportable and Autonomous Land bOrder Surveillance system – www.talos-border.eu) est un projet financé par la Commission européenne (7ème Programme Cadre, thème Sécurité 2008 – 2012) dont l’objectif est de valider le concept d’un système de surveillance des frontières terrestres européennes qui fait largement appel à des équipements robotisés (robots terrestres, drones et tours d’observation) contrôlés depuis un centre de commandement transportable. TALOS doit permettre de traiter le problème de la surveillance de vastes zones frontalières, reconnu par la Commission Européenne comme étant un point crucial de la mission de sécurité des frontières. Le but de TALOS est d’aider à la détection, la poursuite et l’appréhension des personnes essayant de traverser la frontière hors des points de passage autorisés. Pour répondre aux besoins variés liés à la grande diversité des zones frontalières de l’Union européenne, le système de surveillance doit être adaptable à la configuration de terrain, transportable et d’un coût acceptable.

Noel Sharkey (artificial intelligence and robotics, professor, University of Sheffield)
À la limite du ridicule: contrôler nos mouvements à partir du ciel

Plans to automate killing by robot have been a prominent feature of most US forces’ roadmaps since 2004. The idea is to have a staged move from man-in-the-loop to man-on-the-loop to full autonomy. While this may create considerable military advantages it raises ethical concerns with regard to potential breaches of International Humanitarian Law. Moreover, we are already seeing these new technologies being deployed at borders in countries such as US, Latin, America, South Korea and Israel. Drone technology alone has proliferated to more than 51 countries and police forces are beginning to use it routinely. The talk will discuss the development of the technology into the near future as it becomes more autonomous and explore the ethical dimensions.

Daniel Kopecky (lieutenant-colonel, chef du département relations internationales aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan)
Technologies aux frontières : les limites du système. Retour d’expérience de mission d’expertise en Asie du sud-est

Fondé sur un retour d’expérience de mission d’expertise auprès de l’Armée Royale Thaïe et de dossiers techniques d’étude réalisés au profit d’industriels français, l’intervenant concentrera son exposé sur deux zones spécifiques en Asie du sud-est : la frontière nord de la Thaïlande (Birmanie) et la frontière sud de la Malaisie (île de Bornéo). Après un descriptif des enjeux spécifiques de la zone, l’exposé présentera ensuite les divers systèmes et moyens techniques envisagés pour assurer la sécurité frontalière des pays concernés par le développement des capacités technologiques en soulignant les contraintes et les enjeux notamment humains.

Thomas Cantens (administrateur à l’Unité Recherche et Stratégies de l’OMD et membre du Centre Norbert Elias EHESS-Marseille)
Apprivoiser ou s’approprier : l’effet des transformations des techniques de contrôle douaniers sur le fonctionnement des administrations et la nature des frontières

A partir de quelques exemples de technologies introduites dans les douanes en Afrique sub-saharienne et d’une enquête ethnographique menée dans une douane africaine en réforme pendant plus de 4 années, la communication développera trois idées principales. Tout d’abord, terrains de réforme influencées par l’extérieur, les administrations douanières africaines utilisent des technologies aussi avancées, parfois plus innovants que les douanes d’autres continents. Ensuite, ces technologies sont « apprivoisées » : bousculant les ordres elles génèrent de nouveaux rapports d’autorité et de pouvoir dans les administrations et les professions dites partenaires. Enfin, ces technologies sont des vecteurs politiques qui transforment les rapports entre Etats sans toujours avoir les effets attendus.

Gabriel Popescu (geographer, assistant professor, Indiana University South Bend, USA)
Technologies de contrôle à distance et production d’espaces frontaliers topologiques

Mobility imperatives under globalization are profoundly altering borders’ relationship to space. Risk management strategies associated with the quest to securitize transnational mobility have triggered a technological race to embed borders into all kinds of flows in order for the border to be able to travel with the flow and be ready to be performed whenever circumstances require. With the help of technologies such as Radio Frequency Identification (RFID) borders are disembedded from their local contexts, projected at distance, and then re-embedded anywhere in the state territory. Such articulation of borders changes the way movement through space is organized and how people and places come into contact. This “portal-like” logic of border geography brings people and places together by connecting them directly across space, unlike modern border territoriality that connects them via contiguous state territories. This situation opens up the entire space of the globe to bordering processes, thus accelerating the proliferation of borders and multiplying the actors involved in their establishment. The implications for society of such novel border spatiality are paramount. It is vital to understand how is democratic participation to be spatially reorganized to assure border governance remains in the public domain.

Dana Diminescu (sociologue, EC Telecom Paristech, directeur scientifique du programme TIC Migrations FMSH Paris)
Migrants connectés: « K29? » dans la sociologie des migrations

According to the Algerian sociologist Abdelmalek Sayad, the process of migration is marked by a double absence, as migrants are uprooted from their ‘home’ societies and they fail to ‘integrate’ in their countries of emigration. In this perspective, the migrant experience is characterized by a permanent break with the places that link the individual with his or her native environment as well as by the confrontation with a world that thinks and lives differently. Current understandings of the experience of migration, whether they refer to issues of cultural identity of integration, refer to and focus on a series of breaks and oppositions. These are constructed as inherent to migrants’ fate and are constantly used in theoretical reflections on populations on the move. For instance, migrants are described according to binary oppositions such as: mobile/immobile, neither there nor here, absent/present, central/peripheral, and so forth. This understanding of people’s movements is an historical and sociological simplification and does account for the way the world was transformed by the onset of generalized mobility and by the spread unprecedentedly complex means of communication. Today, the definition of the migrant based on different forms of rupture considered to be fundamental and radical is in trouble. Alternative organizing principles emerge, as mobility and connectivity mark the experiences of contemporary migrants. In this talk, my aim is to analyse the different and interlinked forms of rootedness, displacement and connectedness that are experienced by contemporary migrants. Contemporary sociological studies of migration must focus on issues of connectedness and of presence. These days it is increasingly rare to see migration as a movement between two distinct communities, belonging to separated places that are characterized by independent  systems of social relations. On the contrary, it is more and more common for migrants to maintain distant relations that are similar to relations of proximity and to be able to activate them remotely on adaily basis. This mediated bond — via telephone, email, or Skype- — makes it easier than before to stay close to one’s family, to others,  to what is happening at home or elsewhere. The development of communication practices —from simple ‘conversational’ methods where communication compensates for absence, to ‘connected’ modes where the services maintain a form of continuous presence in spite of the distance — has produced the most important change in migrants’ lives. Migratory practices (in particular the activation of networks, remote organization, and the monitoring of movements), the way  mobility is experienced and implicitly the construction of new  “home  territories” have been thoroughly transformed.

Christophe Bruno (artiste, commissaire d’exposition) & Samuel Tronçon (philosophe, Résurgences, Marseille)
ArtWar(e) – vers une application Facebook pour détecter les formes artistiques

ArtWar(e) est une plate-forme de «gestion des risques artistiques » et de « curating assisté par ordinateur ». Un de ses principaux objectifs est de visualiser dans les réseaux sociaux, des vagues d’émergence, d’obsolescence, et des phénomènes d’import-export de concepts artistiques, comme de repérer des formats. Contrairement à l’histoire de l’art qui nomme les formes une fois qu’elles sont devenues identifiables et formatées, ArtWar(e) cherche à détecter ces tendances au moment de leur émergence, alors qu’elles n’ont encore aucun nom et qu’elles n’ont pas reçu le label d’art. Il s’agit ici à la fois de construire, mais également de mettre en question un dispositif quelque peu kafkaïen. En effet, ArtWar(e) utilise les outils de surveillance les plus puissants jamais développés, comme Facebook, afin de détecter d’infimes soubresauts de la vie sociale des formes. Nous présenterons la méthodologie ainsi que les principes de l’application Facebook en cours de développement.

Partenariats

IMéRA (Aix-Marseille Université), Ecole supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, Laboratoire PACTE (Université de Grenoble), Institut de Recherche et d’Etudes sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM, CNRS-AMU), Laboratoire Méditerranéen de Sociologie (LAMES, CNRS-AMU), Aix-Marseille Université, Réseau Français des Instituts d’Etudes Avancées (RFIEA), Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, CNRS