Le pire n’est pas (toujours) certain

Le pire n’est pas (toujours) certain

Cela se passe dans un futur proche. Les dystopies sécuritaires entrevues dans plus sombres cauchemars sont devenues réalité. Pourtant des femmes et des hommes continuent de tenter de traverser les frontières désormais toutes hérissées de murs qui quadrillent l’Europe. À l’intérieur des barricades que chaque nouvelle mesure institutionnelle vient épaissir, sans suspense aucun, pourtant, l’espoir demeure en la personne d’un réseau d’activistes dont la lutte contre le système passe par l’aide au passage des frontières.

La pièce imaginée par C. Boskowitz fait le pari de s’immiscer au cœur des doutes que nous vivons au présent à travers un double détour : le décalage fictionnel dans le futur et le fait de faire reposer l’intrigue sur un chien qui s’avère être le personnage principal de la pièce. Cet « actant non-humain » révèle cependant plus d’humanisme que nos congénères, dans ce labyrinthe organisé des politiques migratoires dont l’absurde n’est jamais absent. Le chien est le personnage central, il décentre l’humain tout en le ramenant à ses fondamentaux : chaleur, partage. Seul dernier compagnon de l’homme dans la déroute . Chiens de rue, chiens de migrants, chiennes de frontières ! Son propos est mis en dialogue avec celui de l’Europe, grosse vache aux mamelles débordantes qui éructe ses certitudes malgré le bruit des avions qui tonnent la proximité de la guerre.

Le pari de cette pièce c’est de ne pas parler de l’autre. À travers une mise en textes et en scène selon un dispositif complexe, C. Boskowitz fait preuve d’une capacité démiurgique, celle de mettre en tension des fragments. De nous parler à la fois de ce qui se passe sur les rives de la Méditerranée, dans les Balkans, à Calais et à Bobigny, ou encore au cœur des huis clos de la Commisssion Européenne, mais aussi de nos contradictions intérieures. Elle nous raconte nous-mêmes, sans prendre le prétexte ambitieux de raconter ces « autres » que nous avons tendance à enfermer dans le qualificatif de migrants. Tissée autour d’une composition textuelle inédite et du dialogue de textes préexistants (P. Chamoiseau, H. Arendt, P. Claudel, A. Gatti et A. Tabucchi), l’œuvre est portée par un groupe de comédiens, musicien, scénographe et ingénieur lumières qui se connaissent et aiment rechercher ensemble l’avènement d’une performance collective. Des personnes dans l’exil récent ont travaillé avec eux à différentes étapes du projet et sur scène, leur masques témoignent de l’importance de leur présence.

Une géographe invitée au théâtre

La proposition de travailler avec une chercheuse et enseignante, géographe, est venue d’une rencontre, lors de la première résidence de la troupe réunie autour du projet, en juillet 2018. Le texte venait juste d’être écrit et commençait à être porté au théâtre. La collaboration ne portait pas sur la composition initiale et A.L. Amilhat Szary n’a jamais eu de rôle pré-déterminé tout au long de sa présence qui s’est prolongée durant tout le processus de création de la pièce. À quoi cela sert donc d’ouvrir le plateau à une spécialiste de migrations et de l’intégrer dans un projet qui n’a pas pour but de représenter la réalité ?

Ce que nous partagions tous lors de la création de « Le pire n’est pas (toujours) certain », c’est la nécessité de dire, de transmettre, de faire sentir et comprendre un fait politique. Celui du rejet de l’autre, bouc émissaire d’une crise sociale et économique profonde. Sans dénoncer de façon binaire, sans s’exclure des responsabilités. Tâche incommensurable que toute la production de connaissance et toute la créativité du monde ne peuvent embrasser…

Collaborer, co-construire, mettre ses forces ensemble, certes, mais comment ? Géographier c’est comprendre le rôle du placement dans l’espace, déchiffrer et pouvoir organiser les mondes. Je me suis donc transformée en apprentie aux côtés de celles et ceux qui organisaient le plateau. J’ai été aussi un tiers médian des échanges depuis mon point de vue esthétique, fourni quelques points documentaires et un air de musique orientale quand il s’en faisait besoin. Aucune nécessité de ma présence, et pourtant, au fil du temps long de nos rencontres, il m’a semblé avoir trouvé une place et un rôle dans l’émergence ce que le site du théâtre qui a produit cette œuvre, la MC93 de Bobigny, qualifie fort justement d’« utopie très documentée ». Anne-Laure Amilhat Szary

« L’écriture de cette pièce a été librement inspirée par l’essai de Patrick Chamoiseau « Frères Migrants » (éditions du Seuil).​ Les écrits d’Hannah Arendt, notamment sur ce que pour elle signifie « penser », m’ont accompagnée pendant toute l’élaboration du spectacle. Le théâtre d’Armand Gatti (Les 7 possibilités du train 713 en partance d’Auschwitz, éditions Verdier), de Paul Claudel (Le soulier de Satin, éditions Gallimard), et une nouvelle d’Antonio Tabucchi (Passé composé, éditions Gallimard), dont certains passages sont cités à l’intérieur de la pièce, m’ont permis de rêver avec leurs auteurs. Les demandeurs d’asile du Foyer Oryema à Bobigny ainsi que les réfugiés rencontrés en Grèce et à travers toute l’Europe, certains devenus mes amis, m’ont aidée à imaginer cette histoire qui leur est dédiée. » Catherine Boskowitz

Texte et mise en scène Catherine Boskowitz

Acteurs Marcel Mankita, Nanténé Traoré, Frédéric Fachéna, Estelle Lesage, Andreya Ouamba et Catherine Boskowitz

Musique Jean-Marc Foussat
Lumières Laurent Vergnaud
Scénographie Jean-Christophe Lanquetin
Costumes Zouzou Leyens
Dessin Catherine Boskowitz
Assistanat à la mise en scène Laura Baquela
Régisseur plateau Paulin Ouedraogo
Assistants scénographie Anton Grandcoin et Jacques Caudrelier
Stagiaires technique plateau Kosta Tashkov, Khalid Adam et Aboubakar Elnour

Avec l’accompagnement amical de Anne-laure Amilhat Szary, géographe, professeure à l’Université Grenoble-Alpes et à Pacte, Laboratoire de Sciences Sociales.

Remerciements pour leur aide et leurs conseils artistiques à Maria Zachenska (clown), à Myriam Krivine (chanteuse lyrique) et à Matisse Wessels (marionnettiste).

Représentations

MC93, Bobigny, 11-21 décembre 2019. Le 19 décembre à 17h – En entrée libre Hall de la MC93 Rencontre En présence de chercheurs de l’antiAtlas des Frontières, de l’Institut des Migrations, de chercheurs en études théâtrales, de la Cimade et des partenaires associatifs de la résidence de Catherine Boskowitz, nous évoquerons comment le théâtre peut aujourd’hui être un outil politique pour parler des enjeux des migrations.

Collectif 12, Mantes-la-Jolie, 28, 29, 30 novembre 2019

Autres publications ou expérimentations en lien avec participants de ce projet

– « Revendiquer le potentiel critique des expérimentations arts-sciences sociales ? Portrait du chercheur en artiste », paru le 13 avril 2016, antiAtlas Journal #1 | 2016, en ligne
Crossing Maps, cartographies transverses, 2013

Image principale: Bruce Milpied- Hans Lucas

Call for Papers: Managing International Migration? Visa Policies, Politics, and Practice [EN]

Workshop, 28 September 2015
We invite abstracts on the theme of Managing International Migration?, Visa Policies, Politics, and Practice for a cross-regional, one-day workshop to be held on or around 28 September 2015 at the University of Oxford, UK.

Please send a 200-word abstract to franck.duvell@compas.ox.ac.uk by 17 July 2015. Final papers will be expected by mid September.

States are increasingly attempting to externalize migration controls beyond their borders. Visa policies, politics and practices are a primary form of this extraterritorial bordering. Visa policies are informed by diverse considerations from international relations to economic policy, migration management and security. They define and distinguish between un/desired and il/legitimate visitors and migrants, creating a global hierarchy of mobility by differentiating countries and their citizens into those who do and do not require visas.

Despite their broad reach, the implementation of visa policies is not straightforward. Visa policies have negative effects on bilateral trade, travel and foreign direct investment, and may conflict with foreign policy goals. Moreover, visa policies are interpreted by street-level bureaucrats, manipulated by immigration advice agencies, confronted with individual aspirations, and undermined by unlawful activities.

We are interested in a variety of methodologies, disciplinary perspectives, and comparative approaches. Some of the research questions that have animated this call for papers include the following:

– How to conceptualize and theorize of visa policies and politics?
– How are visa policies constructed and what are the trade-offs and goals behind these policies? How do national identities or state security interests affect visa policies?
– How do organisational cultures and bureaucrats’ practices shape policy implementation?
– What is the influence of non-state actors (lobby groups, advice agencies, visa processing centres) on policy design, policy outcomes and policy diffusion?
– How do visa policies in the ‘global north’ compare to those in the ‘global south and east’?
– How has EU visa liberalization evolved? Relation between national and supranational policies?
– How do visa policies regulating different types of mobility compare (e.g. exit and entry visa; tourist, family, labour and study visas)?
– How do visa requirements shape the perceptions, behaviour and strategies of would-be travellers/migrants?
– What are the determinants of visa overstaying?
– What are the research gaps in the literature on visa policies?

We envisage a minimum of three panels with three papers each, hence a total of at least nine papers and ample time for discussion. We are planning for a mix of existing, recent and ongoing research papers. We aim to publish a collection of (previously unpublished) papers from this and a parallel workshop in Canada. We have limited funding to contribute towards travel and accommodation costs.

Franck Düvell, University of Oxford
Federica Infantino, University of Oxford
Ċetta Mainwaring, University of Waterloo

Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui? Paris: PUF, 2015 par Anne Laure Amilhat Szary

Anne Laure Amilhat-Szary, Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui? Paris: PUF, 2015

Les frontières représentent aujourd’hui un enjeu complexe dans la vie des personnes. Elles relient et divisent, elles se font mobiles, s’individualisent aussi, laissant circuler librement certains et retenant d’autres. Qu’elles s’ouvrent ou se ferment, elles sont à la fois l’objet de politiques publiques spécifiques et une importante ressource pour les intérêts privés. Technique de gouvernement des Etats, elles constituent un levier privilégié du capitalisme marchand. Elles sont le lieu d’exacerbation des processus politiques, sociaux, économiques actuels, un laboratoire de notre époque.

Pour l’heure, les frontières internationales restent les supports d’une citoyenneté qui elle-même fonde la démocratie… Mais la façon dont nos limites vacillent met en évidence le devenir incertain de nos systèmes politiques. Comprendre ce qu’est une frontière aujourd’hui, c’est ainsi interroger l’avenir de nos sociétés et reformuler notre relation au monde.

164 pages, 14 euros

Géographe, Anne-Laure Amilhat Szary est professeure à Grenoble. Membre de l’IUF, elle travaille sur les dynamiques frontalières et anime au sein du laboratoire CNRS PACTE, le groupe de recherche « Frontières, altérité, marges, mondialisation, expérimentation ». Elle est aussi membre fondateur du collectif « antiAtlas des frontières ».

Antonio Augugliaro, Gabriele Del Grande, Khaled Soliman, Al Nassir – On the bride’s side

Antonio Augugliaro, Gabriele Del Grande, Khaled Soliman Al Nassiry
On the bride’s side
Documentaire
Voir le projet

A Milan, un poète Palestinien et un journaliste italien rencontrent cinq Palestiniens et Syriens entrés en Europe via l’île italienne de Lampedusa après avoir fui la guerre en Syrie.

Ils décident de les aider à terminer leur voyage vers la Suède, avec l’espoir de ne pas se faire arrêter en tant que passeurs, en simulant un mariage. Avec une amie palestinienne habillée en mariée et une douzaine d’amis italiens et syriens en tant qu’invités, ils traversent la moitié de l’Europe en un voyage de trois mille kilomètres en quatre jours.

Non seulement ce voyage sensible font rejaillir les histoires, espoirs et rêves des cinq Palestiniens et Syriens, mais aussi révèlent un côté inconnu de l’Europe, une Europe transnationale et irrévérente qui ridiculise les lois et restriction des la Foreteresse, en filmant directement ce qui se passe réellement sur la route de Milan à Stockholm du 14 au 18 novembre 2013.

Voir le projet sur Indiegogo

Lire l’article et interview des auteurs par Marco Mancuso sur Digicult

Philippe Rekacewicz – Et l’Europe se fond dans l’Asie en une immense étreinte

Autant les limites occidentales de l’Europe sont facile à déterminer, autant trouver les lieux réels de ses limites orientales relève du défi. « Ceux qui se disent européens trouvent que l’Europe des patries, ce n’est pas assez, et que l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, c’est trop. Et vous, vous sentez-vous européen ? », demande le journaliste Michel Droit à Charles de Gaulle en décembre 1965… « Alors, répond le président, on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités : bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant “l’Europe ! l’Europe ! l’Europe !” Mais ça ne signifie rien ! » De Gaulle affirmait que l’Europe allait « de l’Atlantique à l’Oural ». Cette définition mythique ne reposait en effet sur rien d’autre que sa propre vision européenne : la « belle et bonne alliance » avec Moscou contre l’Allemagne. Les limites de l’Europe sont multiples : avec ou sans la Turquie, avec ou sans Israël, avec ou sans l’Arménie… Il y a ceux qui attendent derrière les portes de Schengen, comme la Roumanie ; ceux qui en rêvent la nuit, comme la Géorgie ; ceux qui, comme les Grecs, s’interrogent sur une Europe qui les a trahis. Puis, il y a nos lointains voisins d’Asie centrale, membres d’institutions européennes. De tous ceux-là, qui sont les plus européens ? Et si, simplement, l’Europe à l’est était sans fin. Et si l’Europe venait juste se fondre dans l’Asie en une immense étreinte ?

Philippe Rekacewicz, né en novembre 1960 à Paris, est géographe, cartographe et journaliste. Après avoir achevé ses études de géographie à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) en 1988, il devient un collaborateur permanent du mensuel français le Monde diplomatique. De 1996 à 2007, il a dirigé le département de cartographie d’une unité (délocalisée en Norvège) du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE-GRID-Arendal). Spécialisé en géopolitique, il s’intéresse à toutes les nouvelles formes de représentation du monde, aux relations qui unissent la cartographie avec l’art, la science et la politique, et enfin l’utilisation de la carte comme objet de propagande et de manipulation. Depuis 2007, tout en continuant d’assurer ses activités au Monde diplomatique, il participe à divers projets carto-artistiques un peu partout en Europe et expose dans de nombreux musées.