Recherche ethnographique, création artistique et technologie vidéo-ludique
Intitulé A Crossing Industry, ce jeu porte sur le fonctionnement du régime de séparation israélien en Cisjordanie dans les années suivant la fin de la seconde Intifada (2007-2010). Son élaboration, toujours en cours, est effectuée par une équipe transdisciplinaire composée d’un anthropologue (Cédric Parizot), d’un artiste (Douglas Edric Stanley), d’un philosophe (Jean Cristofol) et de onze étudiants et anciens étudiants de l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence. Cette expérimentation essaie d’envisager comment la technologie vidéo ludique permet d’articuler une démarche documentaire dont l’objectif est de modéliser une analyse ethnographique, avec une démarche artistique animée par ses propres enjeux esthétiques et poétiques.
Les premières réflexions autour du contenu et de la forme du jeu ont commencé début 2013. Elles ont été menées au sein de l’École d’Art d’Aix-en-Provence. Nous avions pris l’habitude de nous retrouver chaque semaine dans l’Atelier Hypermédia de Douglas, dans lequel il expérimente avec ses étudiants la programmation dans leur pratique artistique.
En octobre 2013, le projet a adopté un langage graphique intégrant des objets 3D simplifiés (low-poly), un fond uni en nuances de gris — plutôt vide et sans sol visible —, et des couleurs primaires pour représenter les différents types de lieux (zones sous contrôle israélien, zones palestiniennes, etc.) et les différents statuts des personnes (Palestiniens, Palestiniens de citoyenneté israélienne, Juifs israéliens, soldats, garde-frontières, etc.). En distribuant ces objets sur une carte inspirée de celle que Cédric Parizot leur avais dessinée, l’équipe a pu élaborer la première ébauche de l’espace de navigation.
Cependant, cette première ébauche nous a fait prendre conscience de la dimension irréconciliable des écarts prévalant entre la proposition scientifique de Cédric et celles, artistiques, élaborées par Douglas et les étudiants. C’est à partir de là que nous avons pris conscience du fait que nous devions repenser nos positions respectives. Cédric ne pouvait plus se cantonner dans le rôle d’un passeur de savoir, tandis que les artistes tenteraient de l’objectiver à travers le codage du langage graphique, du texte et des règles d’interactions. Nous devions nous investir dans une réflexion plus profonde pour comprendre comment nous pourrions composer avec ces écarts.
Un documentaire artistique et critique
En septembre 2014, nous avons alors exploré de nouvelles pistes d’articulation, ainsi qu’un nouveau scénario. De son côté, Cédric s’est efforcé de s’approprier le langage graphique réalisé à partir de Unity et les logiciels d’écriture du scénario. Les réflexions suscitées par ces tentatives lui ont permis d’opérer un retour critique sur le caractère hégémonique qu’avaient pris certains régimes de visibilité, comme la cartographie, dans sa réflexion. Ces échanges ont également permis d’appréhender la nature contingente et intersubjective du processus de construction d’une argumentation à travers un jeu vidéo. Enfin, ils ont contribué à repenser les formes d’intervention que nous offrait A Crossing Industry. C’est en ce sens que ce jeu a joué pleinement son rôle de documentaire critique: non pas tant dans sa capacité de documenter une situation sur le terrain mais en nous conduisant à réfléchir à nos modes d’accès et de construction du réel.
Cédric Parizot, Douglas Edric Stanley – A Crossing Industry 2014 from antiAtlas Journal on Vimeo.
Cette seconde ébauche devait pouvoir mettre en scène l’histoire d’un jeune Palestinien revenant vivre dans son village d’origine au lendemain de la seconde Intifada (2000-2004). Après quelques années d’absence à l’étranger, il découvre non seulement que celui-ci se trouve enclavé entre des colonies israéliennes et le mur de séparation, mais également que les restrictions de mouvement autour de celui-ci ont été drastiquement renforcées. Mais les Israéliens ne sont pas les seuls à règlementer les déplacements des personnes et des marchandises. Reprenant progressivement ses repères, il découvre toute une économie informelle de l’intermédiation et du passage impliquant des Palestiniens, des Israéliens, et parfois même des internationaux.
Pour plus d’éléments sur ces premières étapes du processus d’élaboration du jeu voir: Parizot, Cedric, Stanley, Douglas Edric, « Recherche, art et jeu vidéo, Ethnographie d’une exploration extra-disciplinaire », antiAtlas Journal, 01 | 2016, [En ligne], publié le 13 avril 2016
Un autre format d’écriture et d’enseignement
En 2016, compte tenu des écarts persistants entre les propositions graphiques et le scénario et de la difficulté de progresser, nous avons choisi de repartir à zéro. Cédric Parizot à alors changé de medium pour penser le cadre du scénario. De l’écrit, il est passé au dessin d’une dizaine de scènes. Sur cette base, l’histoire a été complètement repensée, de même que l’interface graphique. Ce nouveau projet implique dorénavant Cédric Parizot, Douglas Edric Stanley et Robin Moretti.
Le nouveau scénario s’articule autour d’un jeune anthropologue français qui quitte une ville israélienne dans le désert du Néguev pour se rendre de l’autre côté du mur, dans un village palestinien. Il doit y rencontrer un dernier interloculteur pour finaliser son enquête sur les réseaux de passeurs qui facilitent le passage des ouvriers Palestiniens en Israël. Cependant, il ne rencontrera jamais cette personne. Faute d’informateur, il doit improviser et chercher de nouveau contacts auprès de ses proches et de ses relations. Ce faisant, il réalise qu’Israéliens et Palestiniens sont bien plus interconnectés que ne le laisse entendre le projet de séparation israélien.
Partant de cette histoire, l’objectif est de produire un documentaire ludique à partir d’une approche artistique et critique sur le fonctionnement du régime de séparation israélien imposé aux Palestiniens des Territoires occupés. L’enjeu est également d’expérimenter et de développer des pratiques inédites d’écriture qui associe recherche, art et technologie vidéo-ludique pour :
– construire et mettre en forme une connaissance issue d’une recherche
ethnographique
– créer des supports de formation à l’attention des jeunes artistes et des
jeunes chercheurs en sciences humaines
– développement de nouveaux outils d’écriture et de narration non-linéaire à
destination des chercheurs et des artistes indépendants.
Partenariat
Institut de recheche et d’études sur le monde arabe et musulmans (UMR7310, Aix Marseille Université, CNRS)
Ecole supérieure d’art d’Aix en Provence
Institut d’études avancées d’Aix Marseille Unuversité (IMéRA)
Ministère de la Culture