antiAtlas Journal 04, Cartographies alternatives, 2020

Sous la direction de Jean Cristofol et Anna Guilló

Le numéro 4 de antiAtlas Journal s’intéresse aux cartes considérées comme des dispositifs qui participent à des démarches artistiques, militantes ou scientifiques. Elles ne sont plus les représentations immobiles d’une réalité objective, mais plutôt des moments constitutifs de démarches productives et réalisatrices, prises dans les enjeux d’une réalité en mouvement. Pour la première fois, ce numéro est multilingue, comprenant des articles seulement en français ou en anglais.

Sommaire

– Jean Cristofol et Anna Guilló, Éditorial antiAtlas journal #4 : cartographies alternatives [FR + EN]
– Françoise Bahoken et Nicolas Lambert, Méfiez-vous des cartes, pas des migrants ! [FR]
– Sarah Bédard-Goulet, Itinéraires échenoziens : dispositifs cartographiques et roman contemporain [FR]
– Flore Grassiot et Leïla Hida, Les Faux Guides [FR]
– Karen O’Rourke, Remapping the Neighborhood [EN]
– Tara Plath, From Threat to Promise: Mapping Disappearance and the Production of Deterrence in the Sonora-Arizona Borderland [EN]

Image: Anna Guillo

Rercherche, arts et pratiques numériques #31: Territoires et médiums

Mercredi 25 mars 2020
10h à 13h
Aix-Marseille Université,
Campus Schuman

Images en transit. Territoires et médiums

Tania Ruiz, artiste et maître de conférences, Université Paris 8

Calle Utopia

Intéressée par les modalités d’appropriation et de transformation des ensembles d’habitation hérités du modernisme architectural, j’ai voulu filmer à Las 3000 Viviendas de Sevilla en particulier la Calle Utopia. Pour différentes raisons que j’aurais l’occasion de détailler, filmer sur place paraissait impossible. Je commence actuellement une reproduction 3D du quartier effectuée avec les relevés disponibles en ligne, augmentés d’une sorte d’ « espace médiatique ». C’est au sein de cette reproduction qui aura lieu le tournage….

Paul-Emmanuel Odin, artiste, auteur, chercheur, directeur artistique de La compagnie, lieu de création à Marseille et enseignant à l’école supérieure d’art d’Aix-en-Provence.
Du monde à l’envers du carnaval au temps inversé du cinéma

Le carnaval zigzague dans les multiples dimensions d’un monde à l’envers. Imageries populaires, films de science-fiction ou performances contemporaines. Ceci nous subjugue et tisse un monde de communautés d’actions. Cela a constitué aussi l’un des plus beaux moments de la contre-histoire du sida : danser = vivre. Comment sommes-nous faits de ce temps inversé du carnaval, qui mugit derrière des apparences et des mouvements redistribués ? Quelques alliances hybrides et régressives s’inventent sur un chaos vivant. Comment hommes, femmes ou animaux, échangeons-nous ou entremêlons-nous nos places ?

Comité d’organisation:

Cédric Parizot (IREMAM, CNRS/AMU), Jean Cristofol (ESAAix, PRISM AMU/CNRS), Jean-Paul Fourmentraux (Centre Norbert Elias, CNRS/AMU/EHESS), Anna Guillo (LESA, AMU/CNRS), Manoël Penicaud (IDEMEC, CNRS/AMU)
Recherche, art et pratiques numériques est un séminaire transdisciplinaire qui s’intéresse aux
perturbations productives que génèrent les collaborations entre les chercheurs en sciences humaines et les artistes dans le domaine du numérique. Il s’inscrit dans la suite des réflexions et des expérimentations que nous avons menées à l’IMéRA dans le programme antiAtlas des frontières depuis 2011 tout en élargissant notre questionnement au-delà de la seule question des frontières.
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Image principale: Google maps

Recherche, art et pratiques numériques #13 : de la cartographie alternative à la cybergraphie

Mercredi 22 novembre 2017
10h00-13h00
IMéRA, maison des astronomes
2 place Le Verrier
13004 Marseille

Comité d’organisation : Jean Cristofol (Ecole Supérieure d’Art d’Aix en Provence), Jean-Paul Fourmentraux (LESA, AMU, Centre Norbert Elias, EHESS), Cédric Parizot (IREMAM, CNRS/AMU), Manoël Penicaud (IDEMEC, CNRS/AMU)

Recherche, art et pratiques numériques est une séminaire transdisciplinaire qui s’intéresse aux perturbations productives que génèrent les collaborations entre les chercheurs en sciences humaines et les artistes dans le domaine du numérique. Il s’inscrit dans la suite des réflexions et des expérimentations que nous avons menées à l’IMéRA dans le programme antiAtlas des frontières depuis 2011 tout en élargissant notre questionnement au-delà de la seule question des frontières. (Lire la suite)

De la cartographie alternative à la cybergraphie

Anna Guillo, arts plastiques et sciences de l’art, Laboratoire d’Etudes en Sciences des Arts (LESA), Aix Marseille Université
Cartographie alternative et géographie expérimentale : propositions artistiques

La cartographie alternative et la géographie expérimentale sont nées par l’action conjuguée d’artistes et de chercheurs universitaires dans un contexte propice à l’apparition d’une géohistoire de l’altérité et comme conséquence de l’invention de la géocritique liée aux héritages des études féministes et post-coloniales. Dans le prolongement de cette histoire, et en prenant appui sur des exemples précis puisés dans le champ artistique contemporain, il s’agira de montrer comment la cartographie alternative peut être aujourd’hui envisagée comme un outil de décolonisation des savoirs.

Thierry Joliveau, géographe, Centre de Recherches sur l’Environnement et l’Aménagement (CRENAM), Université de Saint Etienne
De la géomatique à la cybergraphie. Expérimenter l’imaginaire des techniques géonumériques

Une recherche en cours dans le cadre du Labo des Usages de l’AADN (Association pour les Arts et Cultures Numériques) rassemble artistes et chercheurs en sciences humaines. Un groupe d’artistes rassemblé autour de Pierre Amoudruz développe des interventions artistiques en espace public de type « infusion-diffusion » qui mobilisent des habitants sur un territoire avant de présenter un spectacle à mi-chemin entre théâtre et performance numérique. Dans le cadre d’un précédent spectacle « Avatar’s Riot » (2015), les artistes ont inventé de toutes pièces avec l’ethnographe Jeanne Drouet, la Cybergraphie, une nouvelle discipline scientifique, qui sert de ressort fictionnel aux interventions. Définie par ses inventeurs sur Wikipedia (« Cybergraphie » 2017) comme un « ensemble d’approches, de méthodes et de techniques d’enquête relatives à l’étude du cyberespace et de sa « population » (principalement les internautes) », elle permettait de « traquer les traces du monde virtuel dans le monde réel ». La création de la nouvelle intervention de l’AADN « Là-Haut le Cloud, Ici le Soleil » est l’occasion d’un projet de recherche combinant géographie et art pour explorer les articulations entre espaces numériques et espaces concrets. Mélanie Mondo, étudiante en master de géomatique et spécialiste des techniques de géographie informatique, a été intégrée dans la préparation du spectacle comme cybergraphe officielle de l’équipe. Elle était chargée de nourrir les artistes en techniques susceptibles d’enrichir la fiction tout en interrogeant l’imaginaire associé aux usages de ces techniques par les artistes, les habitants et le public. C’est cette expérience toujours en cours qui sera présentée et discutée lors du séminaire.

Télécharger la présentation de Thierry Joliveau

« Frontières et migrations » à Genève : chercheurs, praticiens et artistes croisent leurs regards

Du 16 au 24 septembre 2014
Conférences, expositions, film et théâtre

Plus d’informations sur l’événement sur le site de l’Université de Genève

lire le compte-rendu des événements par Daniel Meier (CNRS-Pacte/Euroborderscapes – Grenoble)

Expositions :

Photographies et cartes, avec notamment Cartographies traverses, présenté lors de la première exposition de l’antiAtlas au Musée des Tapisseries

Cartographies traverses est un dispositif à la croisée des sciences humaines et de l’art, issu d’un atelier de cartographie expérimental et participatif. Cet atelier a réuni à Grenoble, entre mai et juin 2013, douze voyageurs, alors demandeurs d’asile ou réfugiés, trois artistes, Fabien Fischer, Lauriane Houbey et Marie Moreau, association ex.C.es, deux chercheuses en géographie, Sarah Mekdjian et Anne-Laure Amilhat-Szary (Laboratoire PACTE-Projet EUborderscapes), Coralie Guillemin à l’organisation et Mabeye Deme à la photographie.

Voyageurs, artistes et chercheurs abordent la cartographie comme une technique créative de relevés d’expériences. Les cartes produites avec et par les voyageurs évoquent des souvenirs de parcours et d’épopées migratoires. Cartographies traverses est à la fois un atelier, un terrain de recherche, une installation.

Théâtre :

con t(r)atto, cie Autonyme | installation photographique vivante

con t(r)atto est un projet artistique multidisciplinaire né des recherches de la géographe Cristina Del Biaggio et du reportage photographique « Beyond Evros Wall » réalisé en parallèle par Alberto Campi. Tous deux ont parcouru la route suivie par les migrants de Istanbul à Patras, en passant par Athènes, et en s’arrêtant dans la région de l’Evros, là où les autorités helléniques ont construit un mur, espérant arrêter le flux de migrants. À partir des images, des notes et des sons récoltés sur le terrain, les comédiens et metteurs en scène Stefano Beghi et Maika Bruni ont créé une performance, con t(r)atto. Le public est convié à un voyage à travers l’exposition photographique. Le jeu masqué et la performance des acteurs interrogent le public sur les différentes facettes de la notion de frontière. Ainsi, con t(r)atto rappelle que le vécu des migrants est un sujet universel, quelles que soient les latitudes.

Plus d’information sur galpon.ch

Recherche, arts et pratiques numériques #2: Recherche et jeux vidéo

Mercredi 3 février 2016,
IMéRA,
2 place Le verrier,
13004 Marseille

Comité d’organisation : Cédric Parizot (IREMAM, CNRS/AMU), Jean Cristofol (Ecole Supérieure d’Art d’Aix en Provence), Benoit Fliche (IDEMEC, CNRS/AMU), Jean-Paul Fourmentraux (LESA, AMU, Centre Norbert Elias, EHESS)

Recherche, art et pratiques numériques est une séminaire transdisciplinaire qui s’intéresse aux perturbations productives que génèrent les collaborations entre les chercheurs en sciences humaines et les artistes dans le domaine du numérique. Il s’inscrit dans la suite des réflexions et des expérimentations que nous avons menées à l’IMéRA dans le programme antiAtlas des frontières depuis 2011 tout en élargissant notre questionnement au-delà de la seule question des frontières. (Lire la suite)

Recherche et jeux vidéo

Cédric Parizot, anthropologue, IREMAM, CNRS/AMU et Douglas Edric Stanley, artiste et enseignant, Ecole supérieure d’art d’Aix-en-Provence)

A Crossing Industry

A Crossing Industry est un jeu vidéo qui confronte le joueur avec les mécanismes de contrôle déployés par les Israéliens en Cisjordanie depuis le début des années 2000 afin de réguler les circulations des Palestiniens. Son élaboration, toujours en cours, a été amorcée au début de l’année 2013 par une équipe transdisciplinaire articulée autour d’un anthropologue (Cédric Parizot), d’un artiste (Douglas Edric Stanley), d’un philosophe (Jean Cristofol), avec la participation de dix étudiants de l’Ecole supérieure d’art d’Aix-en-Provence (1). En revenant sur ce processus et sur les premières ébauches de l’interface, cet article s’interroge sur la capacité de la technologie vidéo ludique à générer de nouvelles formes de modélisation de la recherche et de création artistique.

(1) Yohan Dumas, Benoit Espinola, Tristan Fraipont, Emilie Gervais, Théo Goedert, Mathieu Gonella, Martin Greffe, Bastien Hudé, Thomas Molles, Milena Walter

Image: Douglas Edric Stanley, 2014

Résurgences ou éloge de la désexcellence, par Anna Guilló

Carton HDR

Vous êtes cordialement invités à l’exposition et à la soutenance d’habilitation à diriger des recherches en Arts plastiques et sciences de l’art d’Anna Guilló, Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, UFR 04

Résurgences – Éloge de la désexcellence

Le vendredi 15 janvier à 14h – Galerie Michel Journiac
47 rue de Bergers 75015 Paris

Composition du jury – Mesdames et Messieurs les Professeurs :
Christine Buignet, Université Toulouse – Jean Jaurès
Miguel Egaña, Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
Pierre-Damien Huyghe (garant), Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
Karen O’Rourke, Université Jean Monnet – St Étienne
Daniel Payot, Université Marc Bloch – Strasbourg

La soutenance sera suivie d’un pot au Bal du Pirate, juste en face.

Camille Schmoll – Compte rendu du colloque: The Art of Bordering

Camille Schmoll
Université Paris VII Denis Diderot, France
décembre 2014

Les artistes, chercheur.e.s et activistes réunis au Maxxi (Rome) du 24 au 26 octobre dernier ont contribué à bousculer les approches fixistes du territoire et de la géographie politique en nous proposant de nouveaux récits et imaginaires des frontières. Par leurs approches circulantes, multi-vocales et multi-situées, les travaux présentés ont montré qu’il n’y a en aucun cas une seule cartographie possible des frontières, mais bien de multiples visions et vécus. Ces visions ont souvent pour base un travail d’ethnographie, mais elles s’en émancipent, en prenant diverses voies de traverses pour nous restituer la diversité des pratiques et expériences des frontières. Elles insistent également sur le caractère évolutif et la relocalisation constante de ces frontières, à l’instar de la vidéo de de Simona Koch intitulée Borders, qui condense en quelques minutes l’évolution multi-séculaire des frontières européennes.

Du point de vue des études migratoires, les travaux qui ont été présentés lors de ce colloque-exposition témoignent d’un retournement critique du champ, dans la lignée des critical border studies. Lié au renforcement croissant des frontières et dispositifs de contrôle dans l’espace européen et en ses marges, ce renouveau critique se nourrit d’un certain nombre de catégories – humanitarisme  et raison humanitaire, encampement etc… – et d’auteurs, notamment Didier Fassin et Michel Agier.  Ces travaux mettent en scène des frontières certes parfois diluées et multilocalisées, mais également catégorisantes et hiérarchisantes, comme l’ont souligné tour à tour les travaux de Nick Mai autour de l’humanitarisme sexuel ou ceux de Barbara Sorgoni sur les « régimes de vérité » qui régissent la validation/invalidation des témoignages des demandeurs d’asile. On est probablement là face au plus criant paradoxe de la mondialisation néolibérale qui, tout en favorisant la circulation des objets et des capitaux, classe et contraint celles des individus, comme cela a été souligné à plusieurs reprises durant le colloque.

Ce qui est intéressant dans ce moment critique des études migratoires est qu’il coïncide avec ce qu’on pourrait appeler un tournant visuel et digital qui parcourt aussi bien les disciplines artistiques que les sciences sociales. Dans le contexte italien, on est face à un foisonnement de productions visuelles critiques, souvent participatives, mêlant collectivement activistes, journalistes, artistes, migrant.e .s et chercheur.e.s. Parmi ceux qui ont été mentionnés ou présentés lors du colloque, les travaux de Heidrun Friese, de Zalab, de l’Archivio Memorie Migranti contribuent à enrichir nos façons d’appréhender les trajectoires et expériences migratoires. La multiplication des visualisations et des rendus possibles accroit aussi l’espace de liberté des chercheur.e .s et artistes. Elle rend possible l’épanouissement de l’imaginaire socio-géographique autour d’une approche véritablement complexe, kaléidoscopique des frontières, qui hybride parfois fiction et réalité.

L’apport des positions post-structuralistes est ici central: alors que le réseau présenté dans Stones and Nodes par Cédric Parizot, Mathieu Coulon, Guillaume Stagnaro et Antoine Vion  évoquait l’acteur-réseau de Latour, c’est le cyborg et les multiple voices de Donna Haraway que m’évoque Samira de Nicola Mai. Les visualisations qui nous ont été présentées montrent que la frontière peut être contestée comme nous y engage le film Io sto con la sposa ou encore les travaux de cartographie critique et participative du groupe Migreurop Close the camps! présentés par Isabelle Arvers. C’est alors la dimension performative des frontières qui s’impose, permettant non seulement d’interroger les frontières mais de les retourner ; de ne pas montrer seulement comment elles agissent et se constituent, mais de les percer selon l’expression d’Antonio Augugliaro. Charles Heller et Lorenzo Pezzani subvertissent ainsi les dispositifs de surveillance des frontières en les utilisant pour produire de la preuve de leur caractère assassin, dans le documentaire Liquid Traces.

La frontière fédère des systèmes informels et informels, des réseaux technologiques et humains, elle fait dispositif. Les chercheur.e.s et les artistes mettent en œuvre de nombreuses tactiques d’appréhension des multiples situations qu’elle agrège. Une autre version du territoire et de la frontière s’impose alors, une frontière mobile, encorporée, rhizomatique, à l’image de la frontière-réseau décrite par Cédric Parizot, Mathieu Coulon, Guillaume Stagnaro et Antoine Vion. C’est aussi à une réflexion de fonds sur les rouages du pouvoir que nous ont conviés les intervenants, ouvrant la boîte noire de l’Etat pour en mettre en évidence ses multiples ressorts et acteurs, à l’instar du travail de Federica Infantino qui décortique les mécanismes de l’examen et du traitement par les consulats des demandes de visas.

Du point de vue de la géographie des frontières, ce ne sont plus des lignes que nous observons, mais bien des « lieux de fixation », qu’ils s’agissent de mers, de murs, de corps ou encore d’îles ; « lieux de fixation » technologiques, pour reprendre l’expression de Steve Wright ; mais également lieux de tous les imaginaires et transformations culturelles, comme nous l’ont rappelé Chiara Brambilla et Elena dell’Agnese, dans leur travaux menés à Lampedusa et à la frontière américano-mexicaine, autour de la notion de borderscape. Le positionnement, la subjectivité des chercheur.e.s et des artistes sont au cœur de la production de ces borderscapes, tout comme les dynamiques d’intersubjectivité qui se créent entre chercheur.e.s, artistes et migrant.e.s. Cédric Parizot est au cœur du réseau qu’il explore et Nicola Mai tient ainsi tout autant la vedette que Samira dans son ethnofiction.

Action de l’Etat et des institutions in the making, subjectivités des artistes et des chercheur-e-s, ce sont également les subjectivités encorporées des migrant-e-s qui sont au cœur de la réflexion, pour produire des subjectivités contre-hégémoniques de la frontière, pour reprendre l’expression de Chiara Brambilla, dans la lignée d’une approche phénoménologique. Le documentaire Les messagers d’Hélène Crouzillat et Laetitia Turall restitue ainsi les témoignages de migrants ayant traversé la frontière des migrant.e.s du Sahara à Melilla et leur intense côtoiement avec la mort de leurs proches et compagnons de route. Ces migrants mettent au cœur de leurs récits le sentiment de déshumanisation progressive qui préside à ces trajectoires.

Il est d’autant plus urgent de restituer ces expériences et individualités migrantes que nous sommes actuellement assaillis par les représentations médiatiques de la horde ou de la masse migratoire, y compris lorsque celles-ci s’articulent à un discours empathique et compassionnel. Cette focalisation sur les subjectivités migrantes permet également de tenter de comprendre ce qu’il reste aux migrant.e.s une fois que toutes les explications structurelles sur la migration sont épuisées. En d’autres termes, c’est l’autonomie migrante qui est ainsi mise au centre de la réflexion, une autonomie qui persiste parfois coûte que coûte, au péril de sa propre vie.

A plusieurs reprises durant ce colloque, le caractère critique du moment actuel dans le sud de l’Europe nous a été rappelé, à l’instar du témoignage de Virginie Baby Collin sur la situation migratoire espagnole. L’Europe et la Méditerranée traversent aujourd’hui une triple crise : économique (qui a conditionné la reprise des flux de départs en provenance d’Europe du Sud et les retours de migrants au pays) ; politique (crise des souverainetés nationales, montée de la xénophobie et des nationalismes en Europe, et dans certains contextes explosion des violences envers les étrangers et renforcement des frontières); politique encore, au sens de l’explosion des guerres civiles et du développement des révoltes à la suite des printemps arabes.

Il est probable par ailleurs que la perception du fossé existant entre l’immobilisation de certains et la connexion croissante des autres (connexions humaines, informationnelles) accentue le sentiment de crise et d’injustice parmi les indésirables, comme nous l’a rappelé Corrado Bonifazi. On sait également, suite aux travaux de Michel Agier,  à quel point les notions de crise et d’urgence peuvent elle-même être fonctionnelles à la production des frontières.

Du point de vue de l’Italie, ce colloque-exposition a certainement décloisonné les débats en élargissant la perspective vers le Sud de la Méditerranée et l’Est de l’Europe. Il a questionné la centralité de la situation italienne, notamment face à ce qui est perçu comme la menace d’une immigration massive de demandeurs d’asile.

Concernant la possibilité pour le moment actuel de se transformer en crise créative, plusieurs scénarios nous ont été proposés : des plus optimistes, pariant sur la capacité des activistes en réseau à s’approprier les dispositifs et à contrer la frontière-réseau ; aux plus sombres et dramatiques concernant les développements technologiques récents et la sophistication technologique extrême des formes de contrôle.  Ce qui est certain est que le colloque a permis de renouveler la définition des possibles, à réfléchir aux types de refus que nous souhaitons opposer à la frontiérisation, aux discours et alliances possibles, avec la certitude, renforcée à l’issue de ce colloque, que la focalisation sur une seule vision/version de la frontière est une stratégie vouée à l’échec.

Till Roeskens – Videomappings : Aida, Palestine

Till Roeskens
Videomappings: Aida, Palestine
2009

Till Roeskens a demandé aux habitants du camp Aïda à Bethléem d’esquisser des cartes de ce qui les entoure. Les dessins en train de se faire ont été enregistrés en vidéo, de même que les récits qui animent ces géographies subjectives. À travers six chapitres qui forment autant de courts-métrages potentiellement indépendants, les visiteurs découvrirent pas à pas le camp de réfugiés et ses environs, suivent les trajets de quelques personnes et leurs tentatives de composer avec l’état de siège sous lequel ils vivent. Un hommage à ce qu’il appelle la résistance par contournement, à l’heure où la possibilité même de cette résistance semble disparaître. Grand Prix de la Compétition Française, Festival International du Documentaire FID Marseille 2009.

Amateur de géographie appliquée, Till Roeskens appartient à la famille des artistes-explorateurs. Son travail se développe dans la rencontre avec un territoire donné et ceux qui tentent d’y tracer leurs chemins. Ce qu’il ramène de ses errances, que ce soit sous la forme d’un livre, d’un film vidéo, d’une conférence-diaporama ou autres formes légères, se propose comme un questionnement permanent sur ce qu’il est possible de saisir de l’infinie complexité du monde.

Philippe Rekacewicz – Et l’Europe se fond dans l’Asie en une immense étreinte

Autant les limites occidentales de l’Europe sont facile à déterminer, autant trouver les lieux réels de ses limites orientales relève du défi. « Ceux qui se disent européens trouvent que l’Europe des patries, ce n’est pas assez, et que l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, c’est trop. Et vous, vous sentez-vous européen ? », demande le journaliste Michel Droit à Charles de Gaulle en décembre 1965… « Alors, répond le président, on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités : bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant “l’Europe ! l’Europe ! l’Europe !” Mais ça ne signifie rien ! » De Gaulle affirmait que l’Europe allait « de l’Atlantique à l’Oural ». Cette définition mythique ne reposait en effet sur rien d’autre que sa propre vision européenne : la « belle et bonne alliance » avec Moscou contre l’Allemagne. Les limites de l’Europe sont multiples : avec ou sans la Turquie, avec ou sans Israël, avec ou sans l’Arménie… Il y a ceux qui attendent derrière les portes de Schengen, comme la Roumanie ; ceux qui en rêvent la nuit, comme la Géorgie ; ceux qui, comme les Grecs, s’interrogent sur une Europe qui les a trahis. Puis, il y a nos lointains voisins d’Asie centrale, membres d’institutions européennes. De tous ceux-là, qui sont les plus européens ? Et si, simplement, l’Europe à l’est était sans fin. Et si l’Europe venait juste se fondre dans l’Asie en une immense étreinte ?

Philippe Rekacewicz, né en novembre 1960 à Paris, est géographe, cartographe et journaliste. Après avoir achevé ses études de géographie à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) en 1988, il devient un collaborateur permanent du mensuel français le Monde diplomatique. De 1996 à 2007, il a dirigé le département de cartographie d’une unité (délocalisée en Norvège) du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE-GRID-Arendal). Spécialisé en géopolitique, il s’intéresse à toutes les nouvelles formes de représentation du monde, aux relations qui unissent la cartographie avec l’art, la science et la politique, et enfin l’utilisation de la carte comme objet de propagande et de manipulation. Depuis 2007, tout en continuant d’assurer ses activités au Monde diplomatique, il participe à divers projets carto-artistiques un peu partout en Europe et expose dans de nombreux musées.

Stéphane Rosière – Planisphère des frontières fermées

Stéphane Rosière
Planisphère des frontières fermées
Cartographie, 2012

Cette carte présente une esquisse globale des frontières fermées dans le monde à l’aube du 21e siècle. Elle donne ainsi une vision générale du processus de « blindage» des frontières linéaires à l’heure de la globalisation. Trois catégories de fermeture sont prises en compte: les « barrières » frontalières formées le plus souvent de clôtures (renforcées par différents dispositifs) ou plus rarement de murs en béton, qui sont dotés de check points pour filtrer les entrées ; les lignes de front, gardés par des armées, plus classiques et généralement infranchissables (parfois aucun de point de passage) ; enfin, les détroits fermés sont des bras de mer placés sous forte surveillance pour empêcher l’immigration illégale, ces détroits deviennent des zones de forte létalité. Publié une première fois en 2009, ce planisphère sera réactualisé à l’occasion de l’exposition.

Stéphane Rosière est géographe et spécialiste de géographie politique et géopolitique. Il est professeur des universités depuis 2006 au département de Géographie de l’université de Reims Champagne-Ardenne. Depuis 2010, il est aussi professeur à la faculté de Relations internationales et sciences politiques de l’Université Matej Bel (Banska Bystrica, Slovaquie). Il dirige la revue en ligne L’Espace Politique, revue de géographie politique et géopolitique référencée par l’AERES. Membre du conseil du Comité national français de géographie, il représente la France dans le cadre de la Commission de géographie politique de l’Union géographique internationale.

Hackitectura – Cartographie Critique de Gibraltar

Hackitectura
Cartographie Critique de Gibraltar
2004

En 2004, une équipe de collaborateurs a développé le projet d’une cartographie des territoires géopolitiques du détroit de Gibraltar. Deux cartes papier présentent des lectures alternatives de ce territoire unique. Parallèlement aux flux migratoires passant les frontières, Hackitectura propose une cartographie des réseaux qui se déploient dans le détroit: ceux liés au complexe militaro-industriel, les réseaux financiers, de communication et de surveillance.

Hackitectura (2001 – 2012) est un groupe d’architectes, de programmeurs, d’artistes et d’activistes qui se consacrent à l’étude théorique et pratique des corps en mouvement et des flux électroniques, dans les territoires émergents qui incluent un espace physique. Se déplaçant en douceur entre l’espace numérique et physique, utilisant des logiciels libres, et explorant de nouvelles formes de grille de production, le noyau se compose de Pablo Soto, Sergio Moreno et Jose Perez de Lama, alias osfa. Ces derniers travaillent régulièrement avec des personnes de réseaux différents et à géométrie variable, locale et globale. Parmi les projets auxquels ils ont collaboré, on retrouve le GISS (Stream Global Support indépendant, 2005-2007), Indymedia Détroit (2003-2007), Fadaiat (Tarifa – Tanger, 2004-2005), Emerging Géographies TCS2, Estrémadure (2007) ou Libertés Plaza, Sevilla (2005-2007).

Crossing Maps, cartographies transverses

Cette cartographie alternative se situe à la croisée des sciences humaines et de l’art. Elle est issue d’un atelier de cartographie expérimental et participatif, qui a engagé des voyageurs, des artistes et des chercheurs. La cartographie est abordée comme une technique créative de relevés d’expériences. Les cartes produites avec et par les voyageurs évoquent des souvenirs de parcours et d’épopées migratoires.

Débuté en 2013 à Grenoble, en France, ce projet a réuni deux chercheuses en géographie, trois artistes, et douze habitant·e·s grenoblois·e·s, en situation présente ou passée de demande d’asile. Alors que les administrations exigent des récits de vie « vérifiables » pour délivrer ou non le droit d’asile, le projet de recherche-création Cartographies traverses/Crossing Maps ne répond à aucune injonction de vérité, ni de référentialité.

Depuis le champ de l’art et depuis le champ de la science, nous avons travaillé à mettre en crise la notion de « vérité » narrative, utilisée par les administrations pour juger les récits migratoires des personnes demandant l’asile, en co-produisant des cartes d’expériences migratoires, ni vraies, ni fausses, autant référentielles qu’imaginaires. Nous avons donc invité des personnes en situation de demande d’asile à travailler à des formes d’expression, qui tentent de ne pas reconduire la violence générée par les interactions avec les administrations. Dans les dispositifs de mise en relation que nous avons proposés, nous n’avons posé aucune question. Plutôt que de proposer de « raconter leur histoire », nous avons invité les participant∙e∙s à dessiner des cartes à main levée, sur papier et sur tissu, à partir des thèmes du déplacement, du voyage, de la vie à Grenoble. Point de fond de carte référencé, ni vrai, ni faux. Principe d’Équivalence : bien fait = mal fait = pas fait (Filliou, 1968). Ce travail pose également les enjeux d’une co-production élaborée entre des personnes aux statuts très différents et inégaux (« artiste », « chercheuse », « demandeur∙se d’asile ») : nous relevons des asymétries, des impensés, des complémentarités, et des tentatives de subversion.

Pour plus d’éléments sur ce projet voir l’article de Mekdjian Sarah et Moreau Marie, « Redessiner l’expérience : Art, sciences et conditions migratoires », antiAtlas Journal, 01 | 2016, En ligne, publié le 13 avril 2016.