Entre, une hétérographie circassienne

De la création à la recherche

Entre est un projet de création artistique à mi-chemin entre le cirque, le théâtre et l’anthropologie met en place un dispositif art-science dont le but est d’explorer les formes alternatives d’écriture que peut offrir le spectacle vivant, et notamment le cirque, à la recherche en sciences sociales.

Ce projet a été initié par Vincent Berhault, jongleur, auteur et metteur en scène de la compagnie Les singuliers, il s’appuie sur une écriture collaborative qui associe étroitement les interprètes (Barthélémy Goutet, Benjamin Colin, Grégory Kamoun, Toma Roche et Xavier Kim) au niveau de l’écriture au plateau.

Un autre format d’écriture

Hétérographie circassienne, Entre propose ainsi une autre forme d’écriture, au croisement d’une démarche de création et de recherche. Les langages du corps et du mouvement s’associent à la communication verbale, non pas pour tenter de transmettre un message ou une analyse à propos de l’expérience ou du contrôle aux frontières, mais davantage pour amener les spectateurs à s’interroger sur les cadres et les images à travers lesquels ils envisagent et construisent ces phénomènes.

La démarche consiste à rechercher des résonnances entre les sources nourrissant l’écriture et des images évidentes sur le plateau. Sans didactisme, la performance circassienne se fait écho d’une idée, d’un concept ou d’une théorie. Le travail de recherche au plateau est ainsi stimulé et la dimension circassienne de l’écriture apparait particulièrement dans la mise à l’épreuve des corps, de tous les objets (scénographiques ou accessoires) ainsi que dans le questionnement permanent de la relation acteurs – objets – spectateurs.

Grâce au détournement des objets la question des échappatoires dont dispose l’homme face à un grand système de surveillance et de contrôle est aussi abordée. En réinventant l’usage de ce qui les entoure, parfois de manière absurde, les interprètes renvoient autant aux dysfonctionnements des systèmes de contrôle qu’aux multiples façons dont ils sont réappropriés, instrumentalisés et détournés par les entrepreneurs formels et informels qui se saisissent des opportunités générées par les fermetures des frontières aux mobilités humaines.

Photo, Cédric Parizot. Filage, Théâtre d’Arles, novembre 2017

De la mise en scène de la frontière à la déshumanisation des migrants

Entre est une pièce bouleversante, perturbante qui vient remettre en jeu notre rapport aux migrants et aux frontières. A une époque où nos responsables politiques instrumentalisent, à des fins électoralistes, l’arrivée de migrants qui fuient la misère et les guerres, et appellent à la surenchère sécuritaire, cette pièce est d’une grande actualité.

Elle démarre avec une certaine pesanteur, autour d’un récit tragique, celui d’un homme, Merhan Karimi Nasseri, cet Iranien qui resté 16 ans enfermé dans le Terminal 1 de Roissy en attendant de voir dans l’attente d’un règlement de sa situation administrative. D’emblée, la lenteur de ses mouvements et de son rythme d’élocution tranchent avec le rythme effréné avec lequel se déplace quelques passagers en transit. Ce sentiment de déphasage ne cesse de croître, au fur et à mesure que la pièce superpose et mêle, aux prises de paroles de cet homme, enfermé dans la circulation, des scènes qui mettent successivement en jeu le contrôle des flux de passagers, le personnel chargé du nettoyage, la formation de futurs contrôleurs, des humanitaires interviewant des migrants, un chercheur en conférence, etc. La multiplication de ces fragments, l’accélération progressive du rythme du jeu viennent noyer le récit et la vie de cet homme pour leur donner un caractère presque anecdotiques. Et c’est là une des forces de Entre, celle d’insister sur la déshumanisation des migrants qu’entraine toute la dramaturgie autour des frontières contemporaines.

Mais la pièce va beaucoup plus loin. Oscillant entre nouveau cirque et théâtre, alternant entre tragique et burlesque, Entre mobilise une écriture et une mise en scène qui ne laissent jamais au spectateur le temps de s’installer confortablement dans un registre qu’il maîtrise. Entre nous interroge donc doublement : tout d’abord, sur le regard et l’attitude que nous devons adopter à l’égard de ces migrants et du contrôle aux frontières ; et ensuite, sur la légitimité des formes artistiques et scientifiques à travers lesquelles nous pouvons évoquer, penser et aborder les phénomènes qui touchent nos sociétés.

Photo, Cédric Parizot. Filage, Théâtre d’Arles, novembre 2017

Presse

Anaïs Heluin, « La frontière au risque de l’art« , Sceneweb.fr, 18 octobre 2018
Sarah Franck, « Entre. Une parabole sur les notions de frontière et de migration. Entre les mondes, entre les arts.« , Arts-chipels.fr, 19 octobre 2018
Mathieu Dochtermann, « ‘Entre’ Les frontières, ou les limbres du monde globalisé« , Toutelaculture.com, 17 octobre 2018
Valérie de Saint-Do, « De l’air!« , Débords, Media Part, 19 octobre 2018

Création

Auteur et metteur en scène: Vincent Berhault

Une partie de l’écriture du spectacle résulte d’une recherche au plateau, les interprètes sont donc tous également inscrits comme auteurs au répertoire.

Avec: Barthélémy Goutet, Benjamin Colin, Grégory Kamoun, Toma Roche et Xavier Kim.

Composition musicale: Benjamin Colin

Contribution à l’écriture : Cédric Parizot – Anthropologue du politque

Costumes: Barthélémy Goutet

Création lumière: Benoit Aubry

Construction décor : Plug In Circus

PARTENARIATS

Co-productions et accueil en résidence :

Théâtre d’Arles, scène conventionnée art et création – nouvelles écritures
Cie 36 du mois – Cirque 360
Pôle National des Arts du Cirque de la Verrerie, Alès
L’Espace Périphérique de la Villette, Paris

Accueils en résidence de recherche/labos :

L’échangeur à Bagnolet du 20 au 22 juillet 2015
2R2C Paris – laboratoire de recherche du 12 au 15 octobre 2015.
Centre des arts et du Mouvement (CIAM) Aix-en-Provence – laboratoire de recherche du 24 et 25 février 2016.
Le Point HauT, lieu du pOlau à St pierre des Corps – recherches scientifiques et typographiques du 4 et 11 mars 2016.
Le vent se lève Pantin – laboratoire de recherche du 7 au 8 mai 2016.
Atelier du plateau Paris – étape de recherche avec les interprètes du 30 mai au 4 juin 2016.

Accueils en résidence de création :

Académie Fratellini Saint-Denis – du 27 juin au 2 juillet 2016.
l’Espace Périphérique de la Villette Paris – du 20 au 24 février 2017.
Théâtre Sylvia Monfort Paris –du 27 février au 3 mars 2017.
Cie 36 du mois – Cirque 360 – du 10 au 21 avril 2017.
PNAC de la Verrerie Alès – du 22 mai au 2 juin 2017.
Ville du Plessis-Paté – du 15 au 22 septembre 2017
Théâtre d’Arles – du 23 octobre au 6 novembre 2017.

Soutiens et Subventions :

aide à la production dramatique de la DRAC Ile-de-France
aide à la création pour les Arts du Cirque de la DGCA
soutien de la SACD / Processus Cirque
aide au projet de la Région Ile-de-France
Institut de Recherche et d’Etude sur le Monde Arabe et Musulman (UMR7310, Aix Marseille Université, CNRS)
Institut d’Etudes Avancées (IMéRA) d’Aix Marseille Université
aides à la création de l’ADAMI et de la SPEDIDAM

Représentations antérieures

Théâtre d’Arles, 7 et 8 novembre 2017
La verrerie d’Alès, 10 novembre 2017
Théâtre Le Monfort, Paris, 15-18 mars 2018, Festival des illusions
Théâtre de l’Echangeur, 16-20 octobre 2018

« Frontières et migrations » à Genève : chercheurs, praticiens et artistes croisent leurs regards

Du 16 au 24 septembre 2014
Conférences, expositions, film et théâtre

Plus d’informations sur l’événement sur le site de l’Université de Genève

lire le compte-rendu des événements par Daniel Meier (CNRS-Pacte/Euroborderscapes – Grenoble)

Expositions :

Photographies et cartes, avec notamment Cartographies traverses, présenté lors de la première exposition de l’antiAtlas au Musée des Tapisseries

Cartographies traverses est un dispositif à la croisée des sciences humaines et de l’art, issu d’un atelier de cartographie expérimental et participatif. Cet atelier a réuni à Grenoble, entre mai et juin 2013, douze voyageurs, alors demandeurs d’asile ou réfugiés, trois artistes, Fabien Fischer, Lauriane Houbey et Marie Moreau, association ex.C.es, deux chercheuses en géographie, Sarah Mekdjian et Anne-Laure Amilhat-Szary (Laboratoire PACTE-Projet EUborderscapes), Coralie Guillemin à l’organisation et Mabeye Deme à la photographie.

Voyageurs, artistes et chercheurs abordent la cartographie comme une technique créative de relevés d’expériences. Les cartes produites avec et par les voyageurs évoquent des souvenirs de parcours et d’épopées migratoires. Cartographies traverses est à la fois un atelier, un terrain de recherche, une installation.

Théâtre :

con t(r)atto, cie Autonyme | installation photographique vivante

con t(r)atto est un projet artistique multidisciplinaire né des recherches de la géographe Cristina Del Biaggio et du reportage photographique « Beyond Evros Wall » réalisé en parallèle par Alberto Campi. Tous deux ont parcouru la route suivie par les migrants de Istanbul à Patras, en passant par Athènes, et en s’arrêtant dans la région de l’Evros, là où les autorités helléniques ont construit un mur, espérant arrêter le flux de migrants. À partir des images, des notes et des sons récoltés sur le terrain, les comédiens et metteurs en scène Stefano Beghi et Maika Bruni ont créé une performance, con t(r)atto. Le public est convié à un voyage à travers l’exposition photographique. Le jeu masqué et la performance des acteurs interrogent le public sur les différentes facettes de la notion de frontière. Ainsi, con t(r)atto rappelle que le vécu des migrants est un sujet universel, quelles que soient les latitudes.

Plus d’information sur galpon.ch

Nouvelle étape de « Moving Beyond Borders » à Arcueil (94)

Moving Beyond Borders
Photo (c) Pauline Duclos

Une exposition itinérante de Migreurop et mise en scène par la compagnie Étrange Miroir. A Anis Gras – le Lieu de l’Autre, Arcueil, du 21 janvier au 6 février 2016

Interactive, multimédia et accessible à tou.te.s, l’exposition vise à lutter contre les préjugés et les idées reçues sur les migrant.e.s ainsi qu’à dénoncer les politiques de mise à l’écart des exilé.e.s jugé.e.s indésirables sur le territoire européen.

Cette exposition, mise en scène par la compagnie Etrange Miroir, s’intéresse aux parcours des migrant.e.s et pointe les dispositifs responsables de leur périlleuse traversée, dans le Sahara, en mer Méditerranée et/ou aux frontières orientales de l’Union européenne.
Dans la continuité des campagnes Open Access Now/Close the Camps et Frontexit de Migreurop, « Moving Beyond Borders » (MBB) est un outil de sensibilisation « tout public » inscrit dans une perspective à la fois militante et artistique. Elle vise à partager dix ans d’observations et de recherches sur les entraves, les injustices et les violations des droits des personnes migrantes. Elle entend aussi promouvoir une autre vision du monde, où la liberté de circulation serait garantie pour toutes et tous, et à ce titre constituer un vecteur de changement social au profit d’une société plus juste et plus équitable.

L’exposition itinérante MBB propose une approche multimédia des réalités migratoires. Des cartes, pour saisir les parcours des personnes et la façon dont les contrôles aux frontières se déplacent et s’externalisent. Des photographies, pour illustrer les conséquences d’une gestion sécuritaire de la question migratoire, telle qu’elle s’observe en Europe et au-delà. Des paysages sonores, pour accompagner et mettre en relief les supports visuels. L’exposition est constituée de cinq modules interactifs, les trois premiers touchant des réalités contemporaines, les derniers imaginant deux scenarios opposés quant aux possibles évolutions futures des politiques migratoires européennes.

Etrange Miroir, le réseau Migreurop et Anis Gras vous invitent à découvrir l’exposition « Moving Beyond Borders » (MBB) et à participer à la rencontre « La cartographie à l’épreuve de la représentation des flux migratoires » qui aura lieu le 21 janvier.

La représentation cartographique des mouvements migratoires concentre des enjeux de formes (flux, stocks) et de fonds (cohérence et disponibilité des données). La position d’un cartographe n’étant jamais neutre, les messages proposés par les cartes relatives aux migrations de populations sont aussi le reflet d’un positionnement faisant écho à l’actualité.

La rencontre sera animée par Olivier Clochard (géographe, Migrinter, Migreurop) et Philippe Rekacewicz (cartographe, Visions Carto) – auteurs d’une partie des cartes animées qui composent MBB – ainsi que par Françoise Bahoken (cartographe, Inrets) et Elsa Tyszler (sociologue, Migreurop). Elle se tiendra de 16 h 00 à 18 h 00.

ANIS GRAS – le lieu de l’autre du jeudi 21 janvier au samedi 6 février 2016
55, avenue Laplace – 94110 Arcueil
Accès RER B station Laplace-Maison des Examens
Entrée libre

Horaires d’ouverture :
L’équipe d’Anis Gras vous accueille 1h avant les soirs de représentation (voir programmation) et tous les vendredis de 12h à 18h.

Sites web :
Migreurop | Etrange Miroir | Anis Gras

Pages FB :
Moving Beyond Borders – Paris / Arcueil 2016 | Migreurop | Etrange Miroir | Anis Gras

Regarder le teaser en ligne :
https://vimeo.com/146229544

Pour plus d’informations :
Pour Migreurop : contact@migreurop.org
Pour Anis Gras : communication@lelieudelautre.fr

source : Migreurop

David Lagarde – Le centre d’accueil temporaire d’Eleonas à Athènes : un camp d’étrangers au statut hybride sur la route de l’Europe occidentale

David Lagarde
Le centre d’accueil temporaire d’Eleonas à Athènes : un camp d’étrangers au statut hybride sur la route de l’Europe occidentale
décembre 2015

Face à l’augmentation du nombre d’arrivées en Grèce au cours de l’année 2015, le gouvernement a décidé d’ouvrir plusieurs centres d’accueil temporaire pour loger les exilés de passage à Athènes. Des terrains municipaux et des gymnases inutilisés ont ainsi été réquisitionnés par les autorités pour y installer des camps au statut et au mode de fonctionnement hybrides, placés sous le contrôle de l’État, mais gérés essentiellement grâce à l’intervention de bénévoles. Depuis quelques semaines, les parcours individuels et les statuts juridiques des individus qui s’y croisent témoignent de la nouvelle politique de tri appliquée à la frontière gréco-macédonienne entre migrants et réfugiés.

Image ci-dessus : porte 1 du port du Pirée. C’est ici qu’arrivaient les réfugiés et les migrants en provenance des îles jusqu’il y a quelques semaines à bord de ferries spécialement affrétés par les autorités grecques. Avec la baisse du nombre d’arrivée depuis le début du mois de novembre, les arrivées se font désormais à bord de lignes régulières dont les ferries arrivent à quelques centaines de mètres de la station de métro qui relie le Pirée au centre ville d’Athènes.

Le centre ville d’Athènes, première étape sur le continent européen pour une majorité d’exilés arrivés en Grèce depuis la Turquie

Entre le 1er janvier et le 1er décembre 2015, selon les estimations conjointes du HCR et des autorités locales, plus de 750 000 personnes seraient entrées irrégulièrement en Grèce depuis la Turquie, principalement par voie maritime via les îles de Lesvos, Leros, Kos, Chios, Samos ou bien encore de Rhodes. De là, elles sont enregistrées et une autorisation de séjourner dans le pays de six mois pour les Syriens et trente jours pour les autres nationalités leur ait délivrée. Mais pour ces individus fuyant les combats et la misère économique qui frappent leurs pays d’origine, l’objectif n’est pas de rester en Grèce mais de se rendre en Allemagne, un pays devenu pour eux synonyme d’espoir qu’ils cherchent à rejoindre le plus rapidement possible. Pour cela, ils doivent commencer par se rendre sur le continent, soit par voie aérienne directement jusqu’à Thessalonique, soit à bord des ferries qui relient quotidiennement les îles de la mer Égée au port du Pirée pour l’écrasante majorité d’entre eux.

Une fois arrivés au Pirée, les exilés en transit rejoignent ensuite le centre d’Athènes en métro. Si certains repartent directement vers le nord du pays, d’autres préfèrent séjourner quelques jours dans la capitale, le temps d’organiser la suite de leur voyage. C’est le cas en particulier des Afghans et d’autres migrants et demandeurs d’asiles originaires d’Asie centrale, du Maghreb ou d’Afrique sub-saharienne. A la différence des Syriens et des Irakiens qui n’en sont qu’au début de leur parcours lorsqu’ils arrivent en Grèce, les exilés originaires de territoires plus lointains profitent généralement de leur passage dans la capitale pour se faire envoyer de l’argent par leurs proches restés au pays ou les ayant précédé dans l’exil afin de financer la suite de leur périple. L’absence de résolution du conflit en Syrie et en Irak, ainsi que la baisse du prix des passages clandestins suite à l’accroissement de la demande depuis le début de l’année a entraîné une augmentation considérable du nombre d’arrivées dans la capitale au cours de l’été 2015. Les individus ne disposant pas de suffisamment d’économies pour se loger dans les hôtels à bas prix du quartier d’Omonia se sont installés dans le square Victoria et le parc Pedión tou Áeros. Ces deux lieux situés dans le centre d’Athènes se sont ainsi rapidement transformés en d’immenses dortoirs à ciel ouvert pour des centaines de migrants et de réfugiés en transit dans la capitale.

L’ouverture de camps comme réponse à l’augmentation du nombre d’étrangers en transit dans la capitale

Face au mécontentement grandissant d’une partie des riverains incommodés par les conditions de vie insalubres dans lesquelles étaient contraintes de vivre ces personnes, les autorités grecques ont pris la décision de créer plusieurs centres d’accueil dans différents quartiers de la capitale. Le camp d’Eleonas est le premier à avoir vu le jour, le 16 août 2015, dans la zone industrielle du faubourg de Votanikos. Dans les semaines suivantes, des installations sportives construites pour les jeux olympiques de 2004 et rarement utilisées depuis ont également été réquisitionnées par le gouvernement. C’est ainsi que le stade de Tae Kwon Do de Faliro, le gymnase de Galatsi ou bien encore le complexe olympique d’Helliniko ont été reconvertis en structures d’accueil temporaire. Actuellement, le gymnase de Galatsi n’est plus utilisé pour l’accueil des étrangers. Toutefois des rumeurs lassaient entendre ces derniers jours qu’il pourrait bientôt rouvrir afin de répondre à l’arrivée de migrants qui rebroussent chemin d’Athènes après avoir été victimes du système de tri destiné à ne laisser passer en Macédoine que les ressortissants originaires de pays en guerre (Afghans, Irakiens et Syriens).

Zone industrielle du quartier de Votanikos. Le camp d’Eleonas se trouve à quelques centaines de mètres d’ici, le long de cette route bordée d’entrepôts de stockage de matériaux de construction et d’entreprises de transport.

La structure qui semble aujourd’hui être la plus susceptible de se pérenniser est le camp d’Eleonas. Après avoir pris contact avec les gestionnaires de ce centre afin d’obtenir des informations sur les conditions légales d’accès au lieu, on m’indique qu’aucune autorisation particulière n’est exigée pour s’y rendre. Contrairement à la plupart des lieux de mise à l’écart des étrangers généralement éloignés des centres urbains, le camp d’Eleonas est situé à deux stations de Monastiraki, l’un des centres historiques d’Athènes. Mais le paysage au milieu duquel il a été installé contraste radicalement avec les vestiges archéologiques du centre ville. Situé au milieu d’une zone industrielle où règne une intense circulation de poids lourds charriant derrière eux d’épais nuages de poussière grise, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un lieu particulièrement adapté à l’accueil d’êtres humains.

Un groupe d’exilés arrive au camp d’Eleonas où ils séjourneront de quelques jours à plusieurs semaines selon leur nationalité et les opportunités de départ qui s’offriront à eux.

Pourtant, quelques jeunes concentrés sur la lecture d’une carte affichée sur l’écran de leurs smartphones et chargés de sacs à dos desquels dépassent des couvertures frappées du logo du HCR laissent présager de la proximité immédiate du centre d’accueil. Établi à environ 500 mètres de la station de métro du même nom, le camp d’Eleonas borde une route qui dessert des entreprises de transport et des entrepôts de stockage de matériaux de construction. Un petit mur d’enceinte au dessus duquel on entraperçoit les toits en tôle des bungalows où sont logés les habitants du lieu sépare le camp du reste de la zone industrielle. Une voiture de police est stationnée au niveau de l’entrée marquée par un grand portail coulissant. Un bungalow situé à l’extérieur de l’enceinte semble quant à lui servir de réception. Mais en cette heure matinale du mois de décembre, personne ne se trouve à l’intérieur. Un groupe de Marocains de retour dans la capitale après avoir été refoulés à la frontière macédonienne patiente devant l’entrée. Quelques secondes après que je les ai rejoint, le portail s’ouvre devant nous. J’en profite pour leur emboîter le pas et nous pénétrons ensemble à l’intérieur du camp.

 Entrée du camp d’Eleonas. Si les personnes qui y résident sont libres d’entrer et de sortir des lieux comme elles le souhaitent au cours de la journée, un gardien surveille en permanence l’entrée des lieux afin d’assurer la sécurité des résidants.

Entre centre de transit pour réfugiés et centre d’accueil pour refoulés. Eleonas, un camp au mode de gestion et au statut hybrides

Un homme en civil nous accueille de l’autre côté du portail. Il commence par se renseigner sur l’objet de ma visite, puis me demande de patienter quelques instants le temps qu’il aille informer le responsable du site de ma présence. Un homme à la carrure imposante sort quelques secondes plus tard d’un bungalow installé sur la gauche de l’entrée et devant lequel sont posées quelques vieilles bobines de câbles électriques faisant office de tables basses. Il commence par se présenter comme étant un employé du ministère de l’immigration, également gestionnaire du lieu, puis me signale que je ne pourrais pas accéder au reste de l’enceinte ni m’adresser à ses habitants en l’absence d’autorisation spéciale émanant du ministère de l’intérieur. Je lui indique avoir fait part de ma venue à ses collègues quelques jours plus tôt et lui rappelle qu’ils m’avaient affirmé qu’aucune autorisation particulière n’était exigée pour accéder au camp. Il campe malgré tout sur ses positions, mais accepte de m’accorder quelques minutes de son temps pour répondre à mes questions.

Aussi brève fut elle, ma conversation avec le responsable du camp s’est révélée particulièrement intéressante dans la mesure où son discours illustre parfaitement le caractère hétéroclite de ce type de lieu. Ouvert par le gouvernement grec et placé sous le contrôle conjoint des ministères des migrations, de la santé et du travail, ce centre peut accueillir jusqu’à 720 personnes. Quatre vingt dix bungalows achetés par les autorités grecques pour reloger les sans-abris victimes du violent séisme de 1999 et inutilisés depuis ont été installés sur ce terrain vague appartenant à la mairie d’Athènes. Chaque bungalow peut accueillir 8 personnes et dispose d’un bloc sanitaire commun. Une immense tente sert par ailleurs d’espace d’activité pour les enfants, tandis qu’une autre abrite un centre de soin. Depuis son ouverture en août dernier, environ 10 000 personnes – en majorité des Afghans – auraient transité par ce camp. La plupart n’y séjourne que pour trois ou quatre jours avant de reprendre la route en direction de la Macédoine. Très peu de Syriens et d’Irakiens sont passés par le camp d’Eleonas depuis son ouverture. D’après le responsable du site, les rares ressortissants venus de Syrie ou d’Irak y à avoir séjourné sont des familles avec des femmes étant sur le point d’accoucher. Lorsqu’une personne a été portée disparue lors de la traversée entre la Turquie et la Grèce, il arrive également que ses compagnons de voyage séjournent à Eleonas le temps de retrouver sa trace, démarche qui dans la majorité des cas n’abouti malheureusement pas.

Si le camp a été ouvert par les autorités, il fonctionne en revanche grâce à la solidarité de volontaires grecs touchés par la situation des exilés de passage dans la capitale. Depuis le début de la crise économique qui touche le pays, le nombre de collectifs de solidarité et de soutien aux étrangers et aux Grecs les plus démunis s’est multiplié. Basé sur un mode de fonctionnement en réseau à la structure horizontale, ce genre d’initiatives portées par différents groupes de volontaires locaux assure désormais une partie des prérogatives de l’État en portant assistance aux personnes dans le besoin. Ainsi, à chacune des étapes qui marquent le parcours des exilés au sein de la capitale, que ce soit sur les docks du port du Pirée, les places et les parcs du centre ville au cours de l’été et désormais au sein des camps ouverts par le gouvernement, des volontaires se relaient pour fournir des repas, des vêtements ou bien encore assurer des services de traductions pour les étrangers. Cet activisme politique s’affiche aussi sur de nombreux murs des quartiers populaires du centre ville d’Athènes, en particulier du côté d’Exarchia ou de Metaxourghio, où fleurissent de nombreux tags en soutien aux étrangers.

Intérieur du camp d’Eleonas. Les bungalows dans lesquels vivent désormais les habitants du camp ont été acheté à l’origine par le gouvernement grec afin de loger les déplacés athéniens victimes du violent tremblement de terre qui a frappé la capitale et sa région en 1999.

Environ 600 personnes résident actuellement dans le camp d’Eleonas, mais avec la décision prise le 19 novembre dernier par la Serbie et la Macédoine d’autoriser le passage sur leur territoire aux seules personnes fuyant les zones de guerre, le nombre de refoulés en provenance de la frontière nord augmente chaque jour considérablement. Pour éviter de laisser ces personnes à la rue et se retrouver confronté aux problèmes rencontrés au cours de l’été, le gouvernement grec envisage de réquisitionner des parcelles de terrain attenantes au camp d’Eleonas afin d’agrandir le centre et augmenter sa capacité d’accueil de 500 places. Ainsi, dans le contexte actuel, le statut de ces « camps de réfugiés » est en train de changer. En effet, s’ils ont été ouverts pour servir de centres de transit, ils se transforment progressivement en centre d’accueil pour refoulés. Face à cette situation, les exilés qui arrivent en Grèce et qui ne sont pas Afghans, Irakiens ou Syriens font tout pour dissimuler leur véritable nationalité. Le discours du responsable du camp à ce sujet dénote considérablement de l’élan de solidarité dont font preuve les volontaires qui se relaient à Eleonas afin d’améliorer les conditions de vie de ses habitants.

« Tu vois ce mec (le responsable du camp me désigne un jeune qui patiente à deux mètres à peine de la table où nous sommes installés) ? Il est arrivé dans le centre il y a trois jours en affirmant qu’il était Syrien. Mais il n’a pas cessé de nous répéter qu’il avait perdu ses papiers avant d’arriver au centre. Donc je lui ai dit que sans ses papiers, on ne pouvait pas l’aider. Et ce matin, il vient nous voir la tête basse en me disant qu’il a finalement retrouvé son passeport. Et il s’avère que non seulement il n’est pas Syrien mais Libanais, mais en plus, il n’arrive pas des îles mais de la frontière nord où il a été empêché de franchir la frontière pour entrer en Macédoine. Ces enfoirés (sic) sont tous pareil, tu ne peux pas leur faire confiance, ils mentent tous autant qu’ils sont. T’essaie de les aider et ils te mentent. Ils me rendent fou ! C’est comme à longueur de journées. Je n’en peux plus de ces enfoirés ! C’est comme les Marocains, ils sont de plus en plus nombreux à arriver parce qu’ils n’arrivent pas à entrer en Macédoine. Mais ils devraient réfléchir à deux fois avant de quitter leur pays. Pourquoi est-ce qu’ils sont venus jusqu’ici ? En vérité, ils ne le savent même pas eux mêmes. Et pourquoi est-ce qu’ils viennent jusqu’en Turquie pour aller en Allemagne alors qu’il pourrait passer directement par l’Espagne ? Mais au lieu de ça, maintenant qu’ils ne peuvent plus passer en Macédoine, ils échouent ici et c’est à nous de trouver une solution pour les tirer de cette situation. »

La Grèce, nouvelle impasse migratoire aux confins du territoire européen ?

Avec le tri actuellement effectué à la frontière par les autorités macédonienne, la Grèce semble se transformer progressivement en impasse migratoire pour un nombre croissant de migrants économiques et de demandeurs d’asile originaires d’Asie centrale en particulier, et dans une moindre mesure du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne. Les victimes de cette politique de fermeture de la frontière gréco-macédonienne se retrouvent dans l’incapacité de continuer leur route vers l’Europe de l’ouest et sont contraintes de faire marche arrière pour revenir vers Athènes afin de trouver des solutions d’hébergement. L’éventail des nationalités présentes dans le camp d’Eleonas devient ainsi de plus en plus large. Si les Afghans et quelques Syriens et Irakiens continuent de transiter pour de courtes périodes par ce centre, de plus en plus d’Iraniens, de Marocains, d’Algériens et de Pakistanais – entre autres – se retrouvent contraint d’y séjourner pour une période indéterminée et sans réelle perspective de départ. Face à cette situation, la durée moyenne des séjours dans le camp  augmente considérablement. Si elle n’était que de trois ou quatre jours avant le début des blocages observés à Idomeni, lors de mon passage, certaines personnes étaient actuellement bloquées à Eleonas depuis plus de deux semaines. Si le gouvernement grec envisage de financer des vols de « retours volontaires » à destination du Maroc, pour les demandeurs d’asile, un retour vers leur pays d’origine est totalement inenvisageable. Dans ce contexte, il en revient aux autorités grecques, voir peut-être plus encore aux volontaires athéniens de gérer la présence d’une population prise en étau entre un territoire qu’elle cherche à quitter et un autre qu’elle ne peut actuellement rejoindre. Bloquées en Grèce sans opportunités d’emploi et donc d’installation durable, ces personnes se retrouvent contraintes de patienter dans ce pays pour une durée indéterminée, dans une situation qui témoigne une nouvelle fois de ces parcours migratoire par étape devenus le lot d’une majorité d’exilés en quête de meilleures conditions de vie.

Intérieur du camp d’Eleonas. De plus en plus de personnes refoulées à la frontière macédonienne reviennent vers Athènes et se retrouvent bloquées dans l’un des trois camps de la capitale, ouverts à l’origine pour servir de centres d’accueil temporaire.

David Lagarde est doctorant en géographie au sein du LISST (Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires) à l’Université de Toulouse. Ses recherches visent à identifier les réseaux de lieux et les réseaux de personnes autour desquels s’articulent les mobilités des réfugiés syriens à différentes échelles de l’espace euro-méditerranéen (locale, régionale, transnationale). La cartographie, occupe une place importante dans ses recherches et lui permet de mieux appréhender la complexité et la diversité des dynamiques socio-spatiales qui résultent de la mise en mobilité des Syriens depuis 2011.

David Lagarde is a Phd candidate in geography at the LISST (Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires) in Toulouse University. His researches question the links between social and spatial networks in Syrian refugees’ journeys, focusing mainly on the conditions of movement at different scales of the Euro-Mediterranean space (local, regional and transnational). On the other hand, his work pays a particular attention to the question of cartography and visualization in order to represent the complexity and diversity of these spatial and social dynamics.

David Lagarde – Donner à voir le monde des camps

David Lagarde
Donner à voir le monde des camps

Lorsque Michel Agier et Olivier Clochard m’ont proposé au printemps 2013 de réaliser une « carte globale des camps » dans le cadre du projet de recherche Mobglob, j’ai trouvé leur sollicitation aussi séduisante que périlleuse. En tant que cartographe, il ne me semblait pas exister de meilleur moyen pour alerter l’opinion publique sur la banalisation du phénomène d’enfermement des populations migrantes. Mais au vue du temps et de l’énergie consacrée par les membres du réseau Migreurop à la réalisation de la carte des camps en Europe se lancer dans le recensement de l’ensemble des lieux d’enfermement d’étrangers de la planète me semblait être un projet extraordinairement ambitieux. En effet, on dénombrait à l’époque environ 500 camps de réfugiés, 1 500 camps de déplacés internes et 1 000 centres de rétention administrative, sans compter les camps de travailleurs et les campements auto-installés par les migrants et les réfugiés à proximité des frontières. En partant de ce constat, la première question que nous nous sommes posée était de savoir comment cartographier ce paysage global de camps de la manière la plus précise et objective qui soit.

Des données qui ne donnent à voir qu’une image très réduite de l’encampement du monde

Nos objectifs de rigueur scientifique et d’harmonisation des données nous ont contraint de procéder par élimination. Nous avons donc choisi de laisser de côté un certain nombre de camps « éphémères » ou au statut informel particulièrement difficiles à identifier et donc à recenser avec précision. Pour cette raison, les camps de déplacés internes, les camps de travailleurs ou bien encore les « squats » et les campements de migrants aux frontières n’ont pas été pris en compte dans cette étude. Quitte à donner une vision « à minima » de la réalité de ce phénomène, le message nous paraissait plus fort en ne faisant apparaître sur la carte que des camps dont nous étions certains de l’existence et de leur caractère pérenne.

Ce dernier critère nous a également amené à faire des choix dans notre travail de recensement des camps de réfugiés. En ce qui concerne cette catégorie, seuls les lieux ayant une reconnaissance institutionnelle ont été répertoriés. Parmi eux, l’écrasante majorité est constituée de camps gérés par le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR). Viennent ensuite les camps administrés par les autorités du pays où ils sont installés. C’est le cas notamment en Inde où 101 camps de réfugiés tamouls sont gérés par le gouvernement indien dans le sud du pays et au sein desquels le HCR n’intervient pas. Parmi les autres formes de camps de réfugiés que nous avons laissés de côté, on trouve les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (installés essentiellement dans les pays occidentaux), les centres de transits (localisés à proximité des frontières et dans lesquels les réfugiés sont maintenus pour une durée limitée en attendant d’être transférés dans des camps), ou bien encore les campements auto-établis par les réfugiés (qui sont de loin les plus nombreux et aussi les plus précaires).

En ce qui concerne les centres de rétention administrative, seuls les lieux utilisés de manière régulière et d’où les migrants ne peuvent absolument pas sortir ont été pris en compte. Dans le but d’harmoniser les données dont nous disposions à l’échelle mondiale, nous n’avons recensé que les centres à la capacité connue et supérieure à 50 places. Si nous disposions d’informations précises sur les « petits » lieux d’enfermement en Europe grâce au travail du réseau Migreurop, à l’échelle mondiale, il est plus difficile d’identifier ce type de structures. Pourtant, elles ont tendance à se multiplier, en particulier dans les pays du sud et au sein des États fédéraux qui réservent souvent quelques dizaines de places dans des prisons de droits communs pour y enfermer des étrangers en situation irrégulière. Dans le cas de l’Allemagne, de la Suisse, du Canada ou bien encore des États-Unis, même si nous disposions d’informations sur ce type de lieux, ils n’apparaissent toutefois pas sur la carte.

Une division nord-sud du monde visible à travers la localisation des différents types de camps

Une fois cette liste de critères établie, l’essentiel du travail a été de se procurer des informations sur ces lieux d’enfermement et d’identifier précisément leur localisation. Un travail de fourmi qui a nécessité plus d’un mois de recherches. Je me suis pour cela essentiellement basé sur des rapports publiés par des organisations internationales, des ONG et des associations de défense des Droits humains. Les informations concernant les centres de rétention en Europe et sur le pourtour méditerranéen proviennent intégralement du site Close the camps. Si dans ce cas précis les données sont assez exhaustives, ce n’est pas le cas pour toutes les régions du monde. En l’absence d’informations en ligne sur les centres de rétention de plusieurs pays d’Asie du sud-est, j’ai réussi à contourner cette limite en établissant des contacts directs avec des organisations ayant accès à ces lieux et qui ont accepté de partager leurs données avec nous. Toutefois, il faut souligner l’existence d’importantes zones d’ombres sur la carte. C’est le cas en particulier pour l’Amérique du sud, la Russie et les autres États d’Asie centrale où, même s’il existe très probablement des lieux d’enfermement d’étrangers, je n’ai pas réussi à les identifier tant l’opacité règne autour de ces structures de mise à l’écart.

Au total, plus de 400 camps de réfugiés ont été cartographiés. Au niveau de leur localisation, ils sont majoritairement implantés dans les pays du sud, plus particulièrement en Asie et en Afrique où résident aujourd’hui 85% des réfugiés de la planète. Notons que sur le continent africain, la majorité des camps sont auto-installés par les réfugiés et ne figurent donc pas sur cette carte. C’est le cas également au Liban où le HCR répertoriait à l’époque près de 350 campements informels de réfugiés syriens. Sur le millier de centres de rétention estimé à l’échelle planétaire, seuls 315 ont été cartographiés. Le nombre de lieux représentés est donc très en dessous de la réalité du phénomène, puisqu’à l’échelle du continent européen et du pourtour méditerranéen, plus de 411 centres ont été identifiés en 2012. Ainsi, même si cette carte ne représente qu’une vision réduite du phénomène d’encampement du monde, on voit qu’un paysage global de camps se dessine à l’échelle de la planète. Comme le faisait remarquer Nicolas Demorand sur France Inter au moment de la sortie du livre Un monde de camps dans lequel figure une ancienne version de cette carte, la division du globe qu’elle donne à voir entre centres de rétention au nord et camps de réfugiés au sud « en est presque caricaturale ».

Entre ces deux mondes, on distingue l’émergence de zones tampons où se multiplient les campements de migrants en transit vers l’Occident. A l’image des camps de réfugiés et des centres de rétention, ces lieux d’attente tendent eux-aussi à s’inscrire durablement dans l’espace et dans le temps. Ils constituent ainsi des étapes qui structurent les parcours migratoires et les biographies de dizaines de milliers d’individus qui y séjournent de quelques jours à plusieurs années. Situés dans les interstices des villes ou à proximité des frontières, il est toutefois difficile de les localiser avec précisions. C’est pourquoi nous avons décidé de réaliser une deuxième version de la carte originale – qui accompagne ce texte – à l’occasion du colloque Un paysage global de camps. Avec l’aide de Tristan Bruslé, cette seconde édition nous a permis de représenter les principales zones d’implantations de campements de migrants et de camps de travailleurs. Ce projet est donc à considérer comme le point de départ d’un travail collectif à poursuivre et à enrichir afin d’obtenir une vision exhaustive de cette réalité du monde contemporain qui fait des camps l’expression physique d’une politique constante de mise à l’écart des indésirables.

Biographie

David Lagarde est doctorant en géographie au sein du LISST (Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires) à l’Université de Toulouse. Ses recherches visent à identifier les réseaux de lieux et les réseaux de personnes autour desquels s’articulent les mobilités des réfugiés syriens à différentes échelles de l’espace euro-méditerranéen (locale, régionale, transnationale). La cartographie, occupe une place importante dans ses recherches et lui permet de mieux appréhender la complexité et la diversité des dynamiques socio-spatiales qui résultent de la mise en mobilité des Syriens depuis 2011.

David Lagarde is a Phd candidate in geography at the LISST (Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires) in Toulouse University. His researches question the links between social and spatial networks in Syrian refugees’ journeys, focusing mainly on the conditions of movement at different scales of the Euro-Mediterranean space (local, regional and transnational). On the other hand, his work pays a particular attention to the question of cartography and visualization in order to represent the complexity and diversity of these spatial and social dynamics.

Charles Heller et Lorenzo Pezzani – Liquid Traces – The Left-to-Die Boat Case

Charles Heller et Lorenzo Pezzani
Liquid Traces – The Left-to-Die Boat Case
Vidéo, 2014
Voir le projet

Liquide Traces offre une reconstruction synthétique des événements connus sous le nom du cas « left-to-die boat », durant lequel 72 passagers d’un petit zodiac en provenance de la côte lybienne et en direction de l’île de Lampedusa ont été laissé à la dérive durant 14 jours dans la zone de surveillance maritime de l’OTAN, malgré plusieurs signaux de détresse pointant leur emplacement et plusieurs interactions avec notamment un hélicoptère et un bateau militaires. Finalement, seulement 9 personnes ont survécu.

Voir l’intervention de Charles Heller au colloque international antiAtlas Octobre 2013

Soirée antiAtlas des frontières 2

27 février 2014
Rencontre-discussion autour du numéro « Frontières » de la revue Hommes & Migration
La Compagnie, Marseille, France

A l’occasion de la parution prochaine d’un dossier consacré aux frontières, Marie Poinsot, rédactrice en chef de la revue Hommes & Migration, invite Catherine Wihtol de Wenden, politologue, directrice de recherches au CERI à Paris et spécialiste des migrations internationales et Virginie Baby-Collin, géographe, Maître de conférences à Aix-Marseille Université et spécialiste des migrations dans le golfe du Mexique.

Avec la mondialisation, une nouvelle cartographie des frontières et des migrations ? Depuis le début des années 2000, la mondialisation a non seulement accéléré les mouvements migratoires, mais elle a aussi reconfiguré les circulations qui contournent désormais les frontières les plus contrôlées. De nouveaux profils de migrants apparaissent, motivés par des considérations plus aptes à développer des stratégies multiples malgré les obstacles et les errances de la clandestinité ? Comment se redessine la cartographie des frontières les plus fréquentées par les migrations internationales ? Peut-on comparer les frontières de l’Europe de Schengen et celles qui séparent le Mexique des Etats-Unis ? Les systèmes de surveillance et de contrôle sont–ils similaires ? Peut-on parler d’une militarisation croissante des frontières ? Quelles sont les incidences concrètes sur les migrants, en terme de tactique de passage, de situation dans le pays d’accueil et de relations avec son pays d’origine ?

Dans le cadre de cette rencontre, l’antiAtlas des frontières a proposé à l’artiste Dalila Madjhoub de présenter le projet artistique qu’elle a réalisé avec Martine Derain en 1998-1999 : En Palestine, il n’y a pas de petites résistances.

Ruben Hernandez Leon – L’industrie de la migration: recenser les relations entre passeurs, acteurs du contrôle et du secours dans les migrations internationales

Ruben Hernandez Leon – University of California, Los Angeles, USA
Dans cette présentation, je montrerai que l’industrie de la migration joue un rôle plus important dans la structuration de la mobilité humaine à travers les frontières que cela n’a été envisagé par la plupart des théories sur les migrations internationales. J’identifie trois premières formes d’industrie de la migration: les animateurs classiques de la migration, l’industrie florissante du contrôle et de l’industrie du soi-disant sauvetage. J’utilise ensuite le cadre théorique défini par Zolberg dans “Strange Bedfellows of American Immigration Politics” qui explique les alliances inhabituelles que nouent ces différents acteurs en place dans le domaine de l’immigration, pour mieux localiser et identifier les liens de ces acteurs avec l’industrie de la migration. Enfin, j’envisagerai les déplacements de ces acteurs à travers différentes ensembles ou groupes (profit/non-lucratif, facilitation/control, pro-immigration/anti-immigration). Je soulignerai ainsi que loin d’être opposés ces acteurs établissent des liaisons régulières au moyen de plusieurs ponts et d’infrastructures.

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Charles Heller – Les frontières maritimes de l’UE : strier la mer


Charles Heller, Centre for Research Architecture, Goldsmiths College – University of London/ Watch The Med project

Parce que toute trace sur l’eau semble être immédiatement dissoute par les courants, les mers ont longtemps été associées à un présent permanent, qui résiste à toute écriture de l’histoire. L’étendue de liquide infini a également représenté un défi pour la gouvernance: l’impossibilité de dresser des frontières stables dans des eaux en constante mouvement a conduit à considérer les mers comme un espace de liberté absolue et de circulation – les «mers libres». Dans cette présentation, je vais montrer qu’au contraire, les mers sont de plus en plus documentées et partagées, et ceci de manière inextricable. Un appareil de détection complexe est fondamental pour une forme de gouvernance qui associe la division des espaces maritimes et le contrôle du mouvement et qui instrumentalise le chevauchement partiel et la nature élastique des juridiction maritimes et des lois internationales. C’est dans ces conditions que les régimes de migration imposés par l’UE fonctionnent, ils étendent sélectivement les droits souverains par des patrouilles en haute mer, tout en rétractant parfois la responsabilité, comme dans les nombreux cas de non-assistance aux migrants en mer. A travers les politiques et les conditions de la gouvernance maritime organisées par l’UE, la mer se transforme en un liquide mortel – la cause directe de plus de 13.000 décès documentés au cours des 15 dernières années. Cependant, en utilisant des appareils de télédétection de la Méditerranée contre le grain et violations spatialisation des droits des migrants en mer, je vais démontrer qu’il est possible de ré-inscrire responsabilité dans une mer d’impunité.

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Steve Wright – Approches entreprenariales de la gestion militaire du changement climatique : du refuge à l’exclusion


Steve Wright, reader in Applied Global Ethics – Leeds Metropolitan University, UK

Si nous devons anticiper correctement et juger avec précision la trajectoire probable de futures réponses au changement climatique, l’hypothèse de travail doit être qu’il y a de fortes probabilités pour que les «solutions» proposées au cours des 50 prochaines années par les élites, les Etats et les entreprises seront nécessaires, mais pas suffisantes. Pour plusieurs pays, cela peut signifier la fin, d’autres seront confrontés à d’importantes migrations internes et d’autres à un exode massif vers des rivages étrangers, à mesure que les gens lutteront pour trouver la continuité. Cette présentation considère que les préparatifs pour répondre à ces défis seront tout à fait inadaptés. Les États prendront des mesures d’urgence dans la panique, incluant des entraves profondes à la liberté de mouvement. Les recherches passées ont traité de tels scénarios comme les catastrophes environnementales, mais cette présentation envisagent ces scénarios comme des options d’aménagements d’urgence qui ont déjà été structurés dans le cadre de planification d’Etat. Que pouvons-nous attendre lorsque la continuité des chaînes d’approvisionnement énergétique et alimentaire ne peut plus être garanti? Je présenterai ici des preuves que de nombreuses organisations militaires travaillent déjà sur les réponses au changement climatique du point de vue de la sécurité de l’Etat plutôt que dans une perspective de sécurité humaine.

Qu’est-ce que cela implique? Essentiellement, deux processus interdépendants font irruption: l’un fondé sur l’informatique, l’autre orienté sur les technologies d’exclusion physique systématique des citoyens non autorisées et basé sur une grande variété de systèmes coercitifs émergents. Les Etats disposent déjà de systèmes de contraignants aux frontières pour empêcher quiconque sans documentation de passer; et ceux-ci deviennent de plus en plus sophistiqués, avec différents moyens de reconnaissance, de surveillance et de suivi biométriques. La reconnaissance faciale et les systèmes de repérage de véhicules, conçus à l’origine en réponse à la “guerre contre le terrorisme”, peuvent être rapidement réorientés vers les réfugiés du changement climatique. Ces personnes ne seront pas officiellement désignées comme telles, car l’étiquette généralement péjorative d’immigrants illégaux facilitera une solution d’exclusion juridique, les réfugiés du changement climatique n’ont aucun statut juridique. Nous assistons déjà à un changement de paradigme en matière de sécurité entre les grandes puissances militaires pour reformuler le changement climatique en tant que menace majeure pour la sécurité. De même, l’armée, la police, les médias, le complexe sécuritaire universitaire sont déjà en train de renforcer leur capacité à définir de nouvelles mesures pour assurer la sécurité des frontières et de l’exclusion de cette zone. Ces nouvelles mesures et moyens incluent déjà des algorithmes non-humains ainsi que des éléments robotiques pour patrouiller les longues frontières. Une grande variété d’armes sublétales a également émergé. Elles peuventt être soit utilisées contre des foules par des humains ou exploitées par intelligence artificielle. Quelle est la probabilité de ces développements? Nous explorons ici la reconfiguration actuelle des principales manufactures de systèmes intelligents de clôtures, drones, sécurité robotique et les systèmes de patrouille ainsi que les technologies d’armes létales et subléthales ainsi que les doctrines qui répondent aux exigences de ces nouveaux marchés. La présentation se termine par une discussion sur certains dilemmes éthiques sur la façon de répondre à une telle fixation technique. Doit-on acquiescer (ce qui pourrait équivaloir à une collusion) , ou devrions-nous nous engager dans l’activisme de recherche pour révéler les conséquences sociales et politiques de systèmes de clôtures existantes comme celles récemment érigé au Bangladesh. Cette question éthique inconfortable sera au cœur de toute réponse politique intelligente aux migrations de masse induites par le climat. Devons-nous renforcer la résilience au sein des architectures modernes et des infrastructures ou faire une forteresse : un menu humain ou inhumain de solutions pour l’avenir ?

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Anne-Laure Amilhat Szary, Sarah Mekdjian & Gladeema Nasruddin – Un anti-atlas des frontières vécues. Partager la sensibilité des migrants cartographes


Anne-Laure Amilhat Szary (PACTE, UJF/CNRS, France), Sarah Mekdjian (PACTE, UPMF/ CNRS, France), Gladeema Nasruddin (migrant demandeur d’asile)

Cette communication rend compte du projet, mené conjointement par des chercheurs, des artistes et des migrants, de cartographier l’entre-deux migratoire de manière créative et critique. Cette expérience d’ateliers de cartographie participative, entre art et science, porte aussi sur l’entre-deux d’un point de vue méthodologique, c’est-à-dire sur les conditions de mises en relation des acteurs d’un projet de recherche et de création. Comment créer un cadre d’échanges entre les chercheurs, les artistes et les personnes invitées en raison de leurs parcours migratoires ? Sur de nombreuses cartes scientifiques, les espaces parcourus par les migrants pendant leurs voyages sont souvent survolés par des flèches, qui désignent des flux ou la direction de trajectoires. Les expériences de franchissements frontaliers sont pourtant des événements très significatifs dans les histoires migratoires individuelles. Pour les personnes qui n’ont pas de droit de séjour, la frontière parcourue s’étend jusque dans les espaces dits d’accueil. Ainsi, à Grenoble, mais cela pourrait être ailleurs dans de nombreuses villes européennes, des voyageurs voyagent encore… Quatre dispositifs cartographiques, entre art et science, ont été proposées à douze personnes en situation de demande d’asile ou ayant obtenu le statut de réfugié, avec pour objectif de présenter des frontières vécues « expansées ». Même produite à partir d’une méthodologie participative, la carte n’est jamais dégagée d’enjeux de pouvoir. L’interaction avec les artistes a permis de diversifier le pouvoir de cet outil de médiation dans les relations entre les différents acteurs des ateliers. Raconter des souvenirs de voyages par la cartographie a constitué un cadre original et créatif d’échanges, aujourd’hui transmissible dans le cadre d’une exposition. La réalisation de cartes, sur quatre supports différents, a permis de contourner le registre narratif dominant connu par les demandeurs d’asile, c’est-à-dire le récit de vie chronologique et linéaire exigé par les administrations. Au service d’une projet scientifique, artistique et politique, la carte a ainsi permis de produire des formes originales de constitution de savoirs « indisciplinaires ».

Plus d’informations : Cartographies traversées, détails sur le projet, « Cartographies traversées » exposées au musée des Tapisseries.

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Micha Cardenas – L’outil transfrontière pour le migrant, la science de l’opprimé


Micha Cardenas – University of Southern California, USA

La science de l’opprimé est un terme qui a d’abord été utilisé par la philosophe féministe de Monique Wittig et qui a été plus tard adopté par les collectifs « artivistes » groupe particules et Electronic Disturbance Theatre 2.0. Ils proposent une approche de la production de connaissances qui ne revendique pas une position objective ou une approche motivée par le profit, mais qui est informée par une expérience de l’oppression et vise à contribuer à la justice sociale. Dans cette présentation performative, je vais présenter le travail de création du Transborder imigration tools effectué en collaboration avec le Electronic Disturbance Theater 2.0. A la fois outil médiatique perturbateur et virus pour les médias, il est conçu pour pourvoir à la subsistance poétique et physique des personnes qui traversent la frontière Mexique / Etats-Unis. Mon travail sur ce projet m’a permis de développer des pratiques inédites de science de l’opprimé, notamment dans le cadre d’un projet intitulé Réseaux d’Autonomie Locale/Autonets. Le but de ce second projet était de faire construire aux communautés locales des réseaux à la fois numériques et post-numériques, pour prévenir la violence contre les femmes transgenres de couleur, les personnes handicapées et les travailleurs du sexe. Autonets étend la science de l’opprimé à Femme Science et Femme Disturbance, utilisant le développement de relations comme stratégie pour à construire un monde sans prisons.

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Janna Shadduck-Hernández – Transgresser la limite: actions et mobilisations politiques des jeunes sans papiers


Janna Shadduck-Hernández – University of California, Los Angeles, USA

Environ 65.000 lycéens sans-papiers terminent chaque année un cursus d’enseignement secondaire avec un diplôme, mais seulement 5-10 pour cent vont à l’université. La plupart des quelques 1,9 million de jeunes sans papiers (16-30 ans) résidant aux États-Unis se voient offrir très peu d’encouragements pour aller au bout de leur cursus secondaire, ce qui conduit à des taux élevés d’abandon, sans possibilité légale de travailler. Pendant le premier mandat du président Obama, un nombre sans précédent de jeunes sans papiers et leurs familles ont été arrêtés et expulsés. En réponse aux politiques d’immigration draconiennes des États-Unis qui séparent les parents de leurs enfants et refusent aux jeunes sans-papiers des possibilités éducatives et professionnelles, un mouvement de jeunesse national, communément appelé le Mouvement du Rêve, a questionné, contesté et résisté à la législation fédérale sur l’immigration et le contrôle aux frontières, grâce à une organisation politique, une action directe et une participation et une éducation civique.. Des centaines de manifestations et d’actions menées par des jeunes sans-papiers sont organisées dans tout le pays. Il s’agit notamment de bloquer l’accès aux bureaux d’immigration du gouvernement fédéral et des centres de détention; des sit-ins dans les bureaux des membres du Congrès, des actions de solidarité transfrontalières où les familles sans-papiers communiquent à travers les clôtures frontalières ou encore l’organisation de concerts bi-nationaux, la distribution publique de textes engagés écrits par des sans-papiers et leur diffusion dans les médias sociaux; ainsi que des auto-expulsions et les auto-arrestations très médiatisées, organisée par ces mêmes jeunes. Dans cet atelier, je vais discuter de ce que les décideurs politiques conservateurs ont appelé, « le franchissement de la ligne » par les jeunes – les expériences d’un nombre toujours croissant de jeunes immigrés sans-papier qui se dressent et contestent directement la politique frontalière du gouvernement américain et ses politiques d’immigration, malgré leur statut migratoire précaire et liminal.

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