Outsourcing Border Control

Federica INFANTINO, 2016, Outsourcing Border Control. Politics and Practice of Contracted Visa Policy in Morocco. Palgrave MacMillan US, Mobility and Politics Series.

This book explores the everyday practices of border control and implementation of mobility policy in the European Schengen area by analyzing consular visas services on the edges of the territory. Using an original case study, private contractors that implement EU visa policy on governments’ behalf, the author focuses on visa application centers located in Morocco and run by the two major contractors of European Member States, the transnational corporations VFSGlobal and TLSContact. The analysis builds on ethnographic research that encompasses the making of EU visa policy at the European, national and local levels. It aims at uncovering the reasons that have led to the adoption of outsourcing as a normal and legitimized mode to implement EU visa policy and the effects of that choice.

Dr. Federica Infantino is FNRS postdoctoral research fellow at the Group for Research on Ethnic Relations, Migration and Equality (GERME), Université Libre de Bruxelles. She holds a PhD in political and social sciences from Université Libre de Bruxelles and a PhD in political science, comparative political sociology, from Sciences Po Paris. Federica’s main research interest focus on the day-to-day implementation of migration and border control in comparative perspective.

Jean-Pierre Cassarino – L’expansion du système européen de la réadmission

Jean-Pierre Cassarino
L’expansion du système européen de la réadmission : Depuis les années 50 à aujourd’hui

La réadmission vise à renvoyer des étrangers qui n’ont pas ou plus le droit d’entrer et de séjourner sur le territoire d’un pays. Les pays d’immigration, de transit et d’origine peuvent coopérer en matière de réadmission sur la base d’un accord.

D’un point de vue historique juridique et politique, la réadmission ne constitue pas un thème nouveau dans les relations internationales. En revanche, les modalités de coopération en matière de réadmission, ainsi que leur pratique, sont tout à fait nouvelles, voire inédites. Aujourd’hui, elle constitue une question centrale dans les pourparlers bilatéraux et multilatéraux.

Pourquoi une approche duale ?

Les accords bilatéraux peuvent être formalisés, comme cela est souvent le cas, par la conclusion d’accords standard de réadmission basés sur des obligations réciproques. Toutefois, un inventaire limité aux accords standard de réadmission ne saurait donner une image précise des nombreux mécanismes qui ont été mis en place afin de faciliter l’expulsion des étrangers en situation irrégulière.

En effet, il arrive que des Etats acceptent de conclure un accord ou entente bilatérale sans nécessairement formaliser leur coopération en matière de réadmission. Ils peuvent choisir de l’inscrire dans un cadre plus large de coopération bilatérale (par exemple, par la conclusion d’accord en matière de coopération policière comportant une clause sur la réadmission, par des ententes administratives et des accords cadres de partenariat), ou de la traiter par d’autres canaux (à savoir, par des échanges de lettres et des memoranda d’entente). Ces naccords non standard visent à répondre à des contraintes diverses. Plusieurs Etats membres, ainsi que de nombreux autres pays à travers le monde, ont eu recours à ces accords bilatéraux non standard liés à la réadmission afin de gérer la délivrance des documents de voyage ou laissez-passer, nécessaires au renvoi des étrangers en situation irrégulière.

Cette approche duale explique les raisons pour lesquelles il est important de parler d’accords liés à la réadmission, car cette référence englobe des accords aussi bien standard que non standard. Dès son lancement en 2006, un inventaire des accords bilatéraux liés à la réadmission a été dressé sur la base de cette approche duale. Il vise, entre autres, à dévoiler l’ampleur du système européen de la réadmission, sur tous les continents.

Le système de la réadmission

L’inventaire ne vise pas seulement à informer. Il a aussi pour objectif de démontrer qu’un véritable système de la réadmission existe, mettant en relation plus de 125 pays d’immigration, de transit et d’origine. Que ces derniers soient riches ou pauvres, grands ou petits, en guerre ou en paix, démocratiques ou autoritaires. Il s’agit d’un système fortement inclusif.

Jean-Pierre Cassarino

Docteur en science politique, anciennement professeur au Centre Robert Schuman de l’Institut universitaire européen (Florence, Italie). Jean-Pierre Cassarino est actuellement chercheur associé à l’Institut de recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC, Tunisie). Son domaine de recherche porte sur les modes de coopération internationale en matière de « gestion » des migrations internationales et d’asile.

Publications : https://irmcmaghreb.academia.edu/JeanPierreCassarino

Courriel : cassarinojp AT gmail.com

David Lagarde – Le centre d’accueil temporaire d’Eleonas à Athènes : un camp d’étrangers au statut hybride sur la route de l’Europe occidentale

David Lagarde
Le centre d’accueil temporaire d’Eleonas à Athènes : un camp d’étrangers au statut hybride sur la route de l’Europe occidentale
décembre 2015

Face à l’augmentation du nombre d’arrivées en Grèce au cours de l’année 2015, le gouvernement a décidé d’ouvrir plusieurs centres d’accueil temporaire pour loger les exilés de passage à Athènes. Des terrains municipaux et des gymnases inutilisés ont ainsi été réquisitionnés par les autorités pour y installer des camps au statut et au mode de fonctionnement hybrides, placés sous le contrôle de l’État, mais gérés essentiellement grâce à l’intervention de bénévoles. Depuis quelques semaines, les parcours individuels et les statuts juridiques des individus qui s’y croisent témoignent de la nouvelle politique de tri appliquée à la frontière gréco-macédonienne entre migrants et réfugiés.

Image ci-dessus : porte 1 du port du Pirée. C’est ici qu’arrivaient les réfugiés et les migrants en provenance des îles jusqu’il y a quelques semaines à bord de ferries spécialement affrétés par les autorités grecques. Avec la baisse du nombre d’arrivée depuis le début du mois de novembre, les arrivées se font désormais à bord de lignes régulières dont les ferries arrivent à quelques centaines de mètres de la station de métro qui relie le Pirée au centre ville d’Athènes.

Le centre ville d’Athènes, première étape sur le continent européen pour une majorité d’exilés arrivés en Grèce depuis la Turquie

Entre le 1er janvier et le 1er décembre 2015, selon les estimations conjointes du HCR et des autorités locales, plus de 750 000 personnes seraient entrées irrégulièrement en Grèce depuis la Turquie, principalement par voie maritime via les îles de Lesvos, Leros, Kos, Chios, Samos ou bien encore de Rhodes. De là, elles sont enregistrées et une autorisation de séjourner dans le pays de six mois pour les Syriens et trente jours pour les autres nationalités leur ait délivrée. Mais pour ces individus fuyant les combats et la misère économique qui frappent leurs pays d’origine, l’objectif n’est pas de rester en Grèce mais de se rendre en Allemagne, un pays devenu pour eux synonyme d’espoir qu’ils cherchent à rejoindre le plus rapidement possible. Pour cela, ils doivent commencer par se rendre sur le continent, soit par voie aérienne directement jusqu’à Thessalonique, soit à bord des ferries qui relient quotidiennement les îles de la mer Égée au port du Pirée pour l’écrasante majorité d’entre eux.

Une fois arrivés au Pirée, les exilés en transit rejoignent ensuite le centre d’Athènes en métro. Si certains repartent directement vers le nord du pays, d’autres préfèrent séjourner quelques jours dans la capitale, le temps d’organiser la suite de leur voyage. C’est le cas en particulier des Afghans et d’autres migrants et demandeurs d’asiles originaires d’Asie centrale, du Maghreb ou d’Afrique sub-saharienne. A la différence des Syriens et des Irakiens qui n’en sont qu’au début de leur parcours lorsqu’ils arrivent en Grèce, les exilés originaires de territoires plus lointains profitent généralement de leur passage dans la capitale pour se faire envoyer de l’argent par leurs proches restés au pays ou les ayant précédé dans l’exil afin de financer la suite de leur périple. L’absence de résolution du conflit en Syrie et en Irak, ainsi que la baisse du prix des passages clandestins suite à l’accroissement de la demande depuis le début de l’année a entraîné une augmentation considérable du nombre d’arrivées dans la capitale au cours de l’été 2015. Les individus ne disposant pas de suffisamment d’économies pour se loger dans les hôtels à bas prix du quartier d’Omonia se sont installés dans le square Victoria et le parc Pedión tou Áeros. Ces deux lieux situés dans le centre d’Athènes se sont ainsi rapidement transformés en d’immenses dortoirs à ciel ouvert pour des centaines de migrants et de réfugiés en transit dans la capitale.

L’ouverture de camps comme réponse à l’augmentation du nombre d’étrangers en transit dans la capitale

Face au mécontentement grandissant d’une partie des riverains incommodés par les conditions de vie insalubres dans lesquelles étaient contraintes de vivre ces personnes, les autorités grecques ont pris la décision de créer plusieurs centres d’accueil dans différents quartiers de la capitale. Le camp d’Eleonas est le premier à avoir vu le jour, le 16 août 2015, dans la zone industrielle du faubourg de Votanikos. Dans les semaines suivantes, des installations sportives construites pour les jeux olympiques de 2004 et rarement utilisées depuis ont également été réquisitionnées par le gouvernement. C’est ainsi que le stade de Tae Kwon Do de Faliro, le gymnase de Galatsi ou bien encore le complexe olympique d’Helliniko ont été reconvertis en structures d’accueil temporaire. Actuellement, le gymnase de Galatsi n’est plus utilisé pour l’accueil des étrangers. Toutefois des rumeurs lassaient entendre ces derniers jours qu’il pourrait bientôt rouvrir afin de répondre à l’arrivée de migrants qui rebroussent chemin d’Athènes après avoir été victimes du système de tri destiné à ne laisser passer en Macédoine que les ressortissants originaires de pays en guerre (Afghans, Irakiens et Syriens).

Zone industrielle du quartier de Votanikos. Le camp d’Eleonas se trouve à quelques centaines de mètres d’ici, le long de cette route bordée d’entrepôts de stockage de matériaux de construction et d’entreprises de transport.

La structure qui semble aujourd’hui être la plus susceptible de se pérenniser est le camp d’Eleonas. Après avoir pris contact avec les gestionnaires de ce centre afin d’obtenir des informations sur les conditions légales d’accès au lieu, on m’indique qu’aucune autorisation particulière n’est exigée pour s’y rendre. Contrairement à la plupart des lieux de mise à l’écart des étrangers généralement éloignés des centres urbains, le camp d’Eleonas est situé à deux stations de Monastiraki, l’un des centres historiques d’Athènes. Mais le paysage au milieu duquel il a été installé contraste radicalement avec les vestiges archéologiques du centre ville. Situé au milieu d’une zone industrielle où règne une intense circulation de poids lourds charriant derrière eux d’épais nuages de poussière grise, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un lieu particulièrement adapté à l’accueil d’êtres humains.

Un groupe d’exilés arrive au camp d’Eleonas où ils séjourneront de quelques jours à plusieurs semaines selon leur nationalité et les opportunités de départ qui s’offriront à eux.

Pourtant, quelques jeunes concentrés sur la lecture d’une carte affichée sur l’écran de leurs smartphones et chargés de sacs à dos desquels dépassent des couvertures frappées du logo du HCR laissent présager de la proximité immédiate du centre d’accueil. Établi à environ 500 mètres de la station de métro du même nom, le camp d’Eleonas borde une route qui dessert des entreprises de transport et des entrepôts de stockage de matériaux de construction. Un petit mur d’enceinte au dessus duquel on entraperçoit les toits en tôle des bungalows où sont logés les habitants du lieu sépare le camp du reste de la zone industrielle. Une voiture de police est stationnée au niveau de l’entrée marquée par un grand portail coulissant. Un bungalow situé à l’extérieur de l’enceinte semble quant à lui servir de réception. Mais en cette heure matinale du mois de décembre, personne ne se trouve à l’intérieur. Un groupe de Marocains de retour dans la capitale après avoir été refoulés à la frontière macédonienne patiente devant l’entrée. Quelques secondes après que je les ai rejoint, le portail s’ouvre devant nous. J’en profite pour leur emboîter le pas et nous pénétrons ensemble à l’intérieur du camp.

 Entrée du camp d’Eleonas. Si les personnes qui y résident sont libres d’entrer et de sortir des lieux comme elles le souhaitent au cours de la journée, un gardien surveille en permanence l’entrée des lieux afin d’assurer la sécurité des résidants.

Entre centre de transit pour réfugiés et centre d’accueil pour refoulés. Eleonas, un camp au mode de gestion et au statut hybrides

Un homme en civil nous accueille de l’autre côté du portail. Il commence par se renseigner sur l’objet de ma visite, puis me demande de patienter quelques instants le temps qu’il aille informer le responsable du site de ma présence. Un homme à la carrure imposante sort quelques secondes plus tard d’un bungalow installé sur la gauche de l’entrée et devant lequel sont posées quelques vieilles bobines de câbles électriques faisant office de tables basses. Il commence par se présenter comme étant un employé du ministère de l’immigration, également gestionnaire du lieu, puis me signale que je ne pourrais pas accéder au reste de l’enceinte ni m’adresser à ses habitants en l’absence d’autorisation spéciale émanant du ministère de l’intérieur. Je lui indique avoir fait part de ma venue à ses collègues quelques jours plus tôt et lui rappelle qu’ils m’avaient affirmé qu’aucune autorisation particulière n’était exigée pour accéder au camp. Il campe malgré tout sur ses positions, mais accepte de m’accorder quelques minutes de son temps pour répondre à mes questions.

Aussi brève fut elle, ma conversation avec le responsable du camp s’est révélée particulièrement intéressante dans la mesure où son discours illustre parfaitement le caractère hétéroclite de ce type de lieu. Ouvert par le gouvernement grec et placé sous le contrôle conjoint des ministères des migrations, de la santé et du travail, ce centre peut accueillir jusqu’à 720 personnes. Quatre vingt dix bungalows achetés par les autorités grecques pour reloger les sans-abris victimes du violent séisme de 1999 et inutilisés depuis ont été installés sur ce terrain vague appartenant à la mairie d’Athènes. Chaque bungalow peut accueillir 8 personnes et dispose d’un bloc sanitaire commun. Une immense tente sert par ailleurs d’espace d’activité pour les enfants, tandis qu’une autre abrite un centre de soin. Depuis son ouverture en août dernier, environ 10 000 personnes – en majorité des Afghans – auraient transité par ce camp. La plupart n’y séjourne que pour trois ou quatre jours avant de reprendre la route en direction de la Macédoine. Très peu de Syriens et d’Irakiens sont passés par le camp d’Eleonas depuis son ouverture. D’après le responsable du site, les rares ressortissants venus de Syrie ou d’Irak y à avoir séjourné sont des familles avec des femmes étant sur le point d’accoucher. Lorsqu’une personne a été portée disparue lors de la traversée entre la Turquie et la Grèce, il arrive également que ses compagnons de voyage séjournent à Eleonas le temps de retrouver sa trace, démarche qui dans la majorité des cas n’abouti malheureusement pas.

Si le camp a été ouvert par les autorités, il fonctionne en revanche grâce à la solidarité de volontaires grecs touchés par la situation des exilés de passage dans la capitale. Depuis le début de la crise économique qui touche le pays, le nombre de collectifs de solidarité et de soutien aux étrangers et aux Grecs les plus démunis s’est multiplié. Basé sur un mode de fonctionnement en réseau à la structure horizontale, ce genre d’initiatives portées par différents groupes de volontaires locaux assure désormais une partie des prérogatives de l’État en portant assistance aux personnes dans le besoin. Ainsi, à chacune des étapes qui marquent le parcours des exilés au sein de la capitale, que ce soit sur les docks du port du Pirée, les places et les parcs du centre ville au cours de l’été et désormais au sein des camps ouverts par le gouvernement, des volontaires se relaient pour fournir des repas, des vêtements ou bien encore assurer des services de traductions pour les étrangers. Cet activisme politique s’affiche aussi sur de nombreux murs des quartiers populaires du centre ville d’Athènes, en particulier du côté d’Exarchia ou de Metaxourghio, où fleurissent de nombreux tags en soutien aux étrangers.

Intérieur du camp d’Eleonas. Les bungalows dans lesquels vivent désormais les habitants du camp ont été acheté à l’origine par le gouvernement grec afin de loger les déplacés athéniens victimes du violent tremblement de terre qui a frappé la capitale et sa région en 1999.

Environ 600 personnes résident actuellement dans le camp d’Eleonas, mais avec la décision prise le 19 novembre dernier par la Serbie et la Macédoine d’autoriser le passage sur leur territoire aux seules personnes fuyant les zones de guerre, le nombre de refoulés en provenance de la frontière nord augmente chaque jour considérablement. Pour éviter de laisser ces personnes à la rue et se retrouver confronté aux problèmes rencontrés au cours de l’été, le gouvernement grec envisage de réquisitionner des parcelles de terrain attenantes au camp d’Eleonas afin d’agrandir le centre et augmenter sa capacité d’accueil de 500 places. Ainsi, dans le contexte actuel, le statut de ces « camps de réfugiés » est en train de changer. En effet, s’ils ont été ouverts pour servir de centres de transit, ils se transforment progressivement en centre d’accueil pour refoulés. Face à cette situation, les exilés qui arrivent en Grèce et qui ne sont pas Afghans, Irakiens ou Syriens font tout pour dissimuler leur véritable nationalité. Le discours du responsable du camp à ce sujet dénote considérablement de l’élan de solidarité dont font preuve les volontaires qui se relaient à Eleonas afin d’améliorer les conditions de vie de ses habitants.

« Tu vois ce mec (le responsable du camp me désigne un jeune qui patiente à deux mètres à peine de la table où nous sommes installés) ? Il est arrivé dans le centre il y a trois jours en affirmant qu’il était Syrien. Mais il n’a pas cessé de nous répéter qu’il avait perdu ses papiers avant d’arriver au centre. Donc je lui ai dit que sans ses papiers, on ne pouvait pas l’aider. Et ce matin, il vient nous voir la tête basse en me disant qu’il a finalement retrouvé son passeport. Et il s’avère que non seulement il n’est pas Syrien mais Libanais, mais en plus, il n’arrive pas des îles mais de la frontière nord où il a été empêché de franchir la frontière pour entrer en Macédoine. Ces enfoirés (sic) sont tous pareil, tu ne peux pas leur faire confiance, ils mentent tous autant qu’ils sont. T’essaie de les aider et ils te mentent. Ils me rendent fou ! C’est comme à longueur de journées. Je n’en peux plus de ces enfoirés ! C’est comme les Marocains, ils sont de plus en plus nombreux à arriver parce qu’ils n’arrivent pas à entrer en Macédoine. Mais ils devraient réfléchir à deux fois avant de quitter leur pays. Pourquoi est-ce qu’ils sont venus jusqu’ici ? En vérité, ils ne le savent même pas eux mêmes. Et pourquoi est-ce qu’ils viennent jusqu’en Turquie pour aller en Allemagne alors qu’il pourrait passer directement par l’Espagne ? Mais au lieu de ça, maintenant qu’ils ne peuvent plus passer en Macédoine, ils échouent ici et c’est à nous de trouver une solution pour les tirer de cette situation. »

La Grèce, nouvelle impasse migratoire aux confins du territoire européen ?

Avec le tri actuellement effectué à la frontière par les autorités macédonienne, la Grèce semble se transformer progressivement en impasse migratoire pour un nombre croissant de migrants économiques et de demandeurs d’asile originaires d’Asie centrale en particulier, et dans une moindre mesure du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne. Les victimes de cette politique de fermeture de la frontière gréco-macédonienne se retrouvent dans l’incapacité de continuer leur route vers l’Europe de l’ouest et sont contraintes de faire marche arrière pour revenir vers Athènes afin de trouver des solutions d’hébergement. L’éventail des nationalités présentes dans le camp d’Eleonas devient ainsi de plus en plus large. Si les Afghans et quelques Syriens et Irakiens continuent de transiter pour de courtes périodes par ce centre, de plus en plus d’Iraniens, de Marocains, d’Algériens et de Pakistanais – entre autres – se retrouvent contraint d’y séjourner pour une période indéterminée et sans réelle perspective de départ. Face à cette situation, la durée moyenne des séjours dans le camp  augmente considérablement. Si elle n’était que de trois ou quatre jours avant le début des blocages observés à Idomeni, lors de mon passage, certaines personnes étaient actuellement bloquées à Eleonas depuis plus de deux semaines. Si le gouvernement grec envisage de financer des vols de « retours volontaires » à destination du Maroc, pour les demandeurs d’asile, un retour vers leur pays d’origine est totalement inenvisageable. Dans ce contexte, il en revient aux autorités grecques, voir peut-être plus encore aux volontaires athéniens de gérer la présence d’une population prise en étau entre un territoire qu’elle cherche à quitter et un autre qu’elle ne peut actuellement rejoindre. Bloquées en Grèce sans opportunités d’emploi et donc d’installation durable, ces personnes se retrouvent contraintes de patienter dans ce pays pour une durée indéterminée, dans une situation qui témoigne une nouvelle fois de ces parcours migratoire par étape devenus le lot d’une majorité d’exilés en quête de meilleures conditions de vie.

Intérieur du camp d’Eleonas. De plus en plus de personnes refoulées à la frontière macédonienne reviennent vers Athènes et se retrouvent bloquées dans l’un des trois camps de la capitale, ouverts à l’origine pour servir de centres d’accueil temporaire.

David Lagarde est doctorant en géographie au sein du LISST (Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires) à l’Université de Toulouse. Ses recherches visent à identifier les réseaux de lieux et les réseaux de personnes autour desquels s’articulent les mobilités des réfugiés syriens à différentes échelles de l’espace euro-méditerranéen (locale, régionale, transnationale). La cartographie, occupe une place importante dans ses recherches et lui permet de mieux appréhender la complexité et la diversité des dynamiques socio-spatiales qui résultent de la mise en mobilité des Syriens depuis 2011.

David Lagarde is a Phd candidate in geography at the LISST (Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires) in Toulouse University. His researches question the links between social and spatial networks in Syrian refugees’ journeys, focusing mainly on the conditions of movement at different scales of the Euro-Mediterranean space (local, regional and transnational). On the other hand, his work pays a particular attention to the question of cartography and visualization in order to represent the complexity and diversity of these spatial and social dynamics.

Bordering Europe Abroad: Schengen Visa Policy Implementation in Morocco and Transnational Policy-Making from Below

Soutenance de thèse de Federica Infantino

Institut de Sociologie, Avenue Jeanne 44, 1050 Bruxelles
Université Libre de Bruxelles, Salle Henri Janne, bâtiment S, 15ème niveau
Novembre 2014 à 10h00

The constitution of the European visa regime has deservingly received much scholarly attention. It has been analyzed as part of the policy toolkit that displaces migration control away from the edges of the territory of Europe. Nevertheless, the street-level implementation of this European policy in national consulates remains understudied. This dissertation sheds ethnographic light on Schengen visa policy implementation that is conceptualized as bordering policy. By delivering Schengen visas, state and nonstate organizations achieve the filtering work of borders; this dissertation therefore investigates the day-to-day bordering of Europe abroad and using a comparative approach and focusing on from the theoretical perspective of street-level policy implementation. The analysis builds on a comparative case study: it focuses on the visa sections of the consulates of two old immigration countries, Belgium and France, and one new immigration country, Italy, which implement visa policy in a same third country, i.e. Morocco. This study highlights cross-national differences of visa policy day-to-day implementation that are due to shifting historical backgrounds, national sense-making of visa policy, and distinct organizational conditions. However, the comparative research design and the inductive epistemological approach deployed have revealed processes of transfer at the implementation level, which result in transnational policy-making from below. Informal interactions between actors constitute a ‘community of practice’ based on the desire to share local and practical knowledge rather than expert knowledge in order to address problems linked to day-to-day implementation. The street-level view of visa policy implementation in a comparative perspective reveals that bureaucratic action is aimed at stemming undesired regular migration rather than irregular migration.

La construction d’un régime européen de visas représente un domaine de recherche important. Ceci a été analysé comme un des instruments politiques qui déplacent le contrôle migratoire au delà des limites du territoire européen. Cependant, la mise en œuvre dans les consulats nationaux reste très peu étudiée. Cette thèse analyse la mise en œuvre de la politique du visa Schengen conceptualisée comme politique des frontières. Par la délivrance du visa Schengen, organisations étatiques et non-étatiques réalisent le travail de filtrage des frontières. Cette thèse investigue la construction quotidienne de la frontière européenne à l’étranger en privilégiant la perspective théorique de la mise en œuvre des politiques publiques. L’analyse s’appuie sur un cas d’étude comparé. Elle se concentre sur les services visas des consulats de deux anciens pays d’immigration, la France et la Belgique, et un nouveau pays d’immigration, l’Italie, qui mettent en œuvre la politique du visa dans un même État tiers : le Maroc. Cette étude met en évidence des différences nationales importantes qui sont dues aux différents passés historiques, à l’attribution d’un sens national à la politique du visa, aux conditions organisationnelles distinctes. Toutefois, la méthodologie comparative et l’approche épistémologique inductive choisis ont permis de mettre en exergue des processus de transferts au niveau de la mise en œuvre qui constituent l’action publique transnationale par le bas. Les interactions informelles entre les acteurs constituent une ‘communauté de pratiques’ basé sur le désir de partager un savoir pratique et local qui sert à adresser des problèmes liés à la mise en œuvre au quotidien.