Philippe Rekacewicz – Et l’Europe se fond dans l’Asie en une immense étreinte

Autant les limites occidentales de l’Europe sont facile à déterminer, autant trouver les lieux réels de ses limites orientales relève du défi. « Ceux qui se disent européens trouvent que l’Europe des patries, ce n’est pas assez, et que l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, c’est trop. Et vous, vous sentez-vous européen ? », demande le journaliste Michel Droit à Charles de Gaulle en décembre 1965… « Alors, répond le président, on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités : bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant “l’Europe ! l’Europe ! l’Europe !” Mais ça ne signifie rien ! » De Gaulle affirmait que l’Europe allait « de l’Atlantique à l’Oural ». Cette définition mythique ne reposait en effet sur rien d’autre que sa propre vision européenne : la « belle et bonne alliance » avec Moscou contre l’Allemagne. Les limites de l’Europe sont multiples : avec ou sans la Turquie, avec ou sans Israël, avec ou sans l’Arménie… Il y a ceux qui attendent derrière les portes de Schengen, comme la Roumanie ; ceux qui en rêvent la nuit, comme la Géorgie ; ceux qui, comme les Grecs, s’interrogent sur une Europe qui les a trahis. Puis, il y a nos lointains voisins d’Asie centrale, membres d’institutions européennes. De tous ceux-là, qui sont les plus européens ? Et si, simplement, l’Europe à l’est était sans fin. Et si l’Europe venait juste se fondre dans l’Asie en une immense étreinte ?

Philippe Rekacewicz, né en novembre 1960 à Paris, est géographe, cartographe et journaliste. Après avoir achevé ses études de géographie à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) en 1988, il devient un collaborateur permanent du mensuel français le Monde diplomatique. De 1996 à 2007, il a dirigé le département de cartographie d’une unité (délocalisée en Norvège) du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE-GRID-Arendal). Spécialisé en géopolitique, il s’intéresse à toutes les nouvelles formes de représentation du monde, aux relations qui unissent la cartographie avec l’art, la science et la politique, et enfin l’utilisation de la carte comme objet de propagande et de manipulation. Depuis 2007, tout en continuant d’assurer ses activités au Monde diplomatique, il participe à divers projets carto-artistiques un peu partout en Europe et expose dans de nombreux musées.

Ian Howard – Chinese Border Fence

Ian Howard
Chinese Border Fence Lujiagou

L’œuvre présentée s’intéresse à la frontière entre la Chine et la Corée du Nord, délimitée par la rivière Yalu au Sud et la rivière Tumen à l’Est, toutes deux trouvant leur source sur le Mont Changbai. La frontière entre les deux pays est aussi diversifiée topographiquement qu’elle est contrôlée logistiquement et politiquement. De la mer Jaune au Sud jusqu’à la mer du Japon à l’Est, cette frontière est le théâtre de relations inter-personnelles nombreuses et variées: tueries aléatoires aux postes de frontières, journées officielles pour l’immigration, réunions familiales clandestines ou encore petits vols commis par des gardes-frontières nord coréens affamés… Ces relations dépendant nettement de la chaleur des relations entre Pyongyang, Seoul et Washington.

En Juillet 2012, Ian Howard dirige un groupe de recherche (composé d’artistes, d’un documentariste et de nombreux locaux) du delta de Yalu au nord du mont Changbai jusqu’à l’Est où la Chine et la Corée du Nord rencontrent la Russie à Fanchuan. Leur travail s’est concentré sur 10 sites, sélectionnés du fait de la nature « variable » de chaque site. La nature et le thème de ce travail est de chercher à comprendre comment les relations transfontalières sont conduites dans un environnement instable, dans un contexte physique, culturel et politique varié.

Ian Howard est actuellement Doyen du College of Fine Arts (COFA), University of New South Wales, Sydney, Australie et Président de l’Association australienne pour les Arts VIsuels (NAVA). Diplômé des universities de Sydney (Diploma of Art Education), Londres (Graduate Diploma of Advanced Studies, Film and Television) et Montreal (Master of Fine Arts), son travail est aujourd’hui présenté dans des expositions internationals. Il se présente comme un artiste praticien, travaillant sur la relation entre cultures civiles et militaires, à partir notamment des frontières politiques, des murs et barrières tout comme des véhicules blindés, tanks et avions.

Stéphane Rosière – Planisphère des frontières fermées

Stéphane Rosière
Planisphère des frontières fermées
Cartographie, 2012

Cette carte présente une esquisse globale des frontières fermées dans le monde à l’aube du 21e siècle. Elle donne ainsi une vision générale du processus de « blindage» des frontières linéaires à l’heure de la globalisation. Trois catégories de fermeture sont prises en compte: les « barrières » frontalières formées le plus souvent de clôtures (renforcées par différents dispositifs) ou plus rarement de murs en béton, qui sont dotés de check points pour filtrer les entrées ; les lignes de front, gardés par des armées, plus classiques et généralement infranchissables (parfois aucun de point de passage) ; enfin, les détroits fermés sont des bras de mer placés sous forte surveillance pour empêcher l’immigration illégale, ces détroits deviennent des zones de forte létalité. Publié une première fois en 2009, ce planisphère sera réactualisé à l’occasion de l’exposition.

Stéphane Rosière est géographe et spécialiste de géographie politique et géopolitique. Il est professeur des universités depuis 2006 au département de Géographie de l’université de Reims Champagne-Ardenne. Depuis 2010, il est aussi professeur à la faculté de Relations internationales et sciences politiques de l’Université Matej Bel (Banska Bystrica, Slovaquie). Il dirige la revue en ligne L’Espace Politique, revue de géographie politique et géopolitique référencée par l’AERES. Membre du conseil du Comité national français de géographie, il représente la France dans le cadre de la Commission de géographie politique de l’Union géographique internationale.

Claude Chuzel – X-ray

Claude Chuzel
X-Ray
2006

Dans X-ray, la peinture vient interroger l’image photographique et devient le signe même du regard. Une photo de passagers clandestins dans un camion de bananes destinée à la promotion d’un matériel sophistiqué de détection aux rayons X devient le canevas sur lequel vont s’inscrire des formes peintes, provoquant des intentions de regard, de la compassion à la mise à distance. Cette peinture sur photo interroge les frontières du visible, à travers l’utilisation des rayons X, le contexte de mondialisation économique et le champ artistique, par la confrontation des médiums.

Claude Chuzel artiste protéiforme, montre le monde du doigt, par la vidéo, la photo ou la peinture. Plasticienne, agrégée de lettres, elle vit et travaille à Paris. Ses travaux traversent la photo, l’écriture, la vidéo, la peinture comme un voilà des choses. Un mode de production par mutations. À travers différents états et traitements de l’image se produit un dérèglement des codes de la représentation, une effraction.

Hackitectura – Cartographie Critique de Gibraltar

Hackitectura
Cartographie Critique de Gibraltar
2004

En 2004, une équipe de collaborateurs a développé le projet d’une cartographie des territoires géopolitiques du détroit de Gibraltar. Deux cartes papier présentent des lectures alternatives de ce territoire unique. Parallèlement aux flux migratoires passant les frontières, Hackitectura propose une cartographie des réseaux qui se déploient dans le détroit: ceux liés au complexe militaro-industriel, les réseaux financiers, de communication et de surveillance.

Hackitectura (2001 – 2012) est un groupe d’architectes, de programmeurs, d’artistes et d’activistes qui se consacrent à l’étude théorique et pratique des corps en mouvement et des flux électroniques, dans les territoires émergents qui incluent un espace physique. Se déplaçant en douceur entre l’espace numérique et physique, utilisant des logiciels libres, et explorant de nouvelles formes de grille de production, le noyau se compose de Pablo Soto, Sergio Moreno et Jose Perez de Lama, alias osfa. Ces derniers travaillent régulièrement avec des personnes de réseaux différents et à géométrie variable, locale et globale. Parmi les projets auxquels ils ont collaboré, on retrouve le GISS (Stream Global Support indépendant, 2005-2007), Indymedia Détroit (2003-2007), Fadaiat (Tarifa – Tanger, 2004-2005), Emerging Géographies TCS2, Estrémadure (2007) ou Libertés Plaza, Sevilla (2005-2007).

Ken Rinaldo – Paparazzi Bots

Ken Rinaldo
Paparazzi Bots
Série de robots autonomes

Les Paparazzi Bots sont une série de cinq robots autonomes à taille humaine. Composés de plusieurs caméras, de capteurs et d’actionneurs robotiques sur une plate-forme à roulement, ils se déplacent à la vitesse de marche d’un être humain, en évitant les murs et les obstacles grâce à des capteurs infrarouges. Ils cherchent une seule chose, prendre des photos de personnes et rendre ces images publiques. Chaque robot prend de façon autonome la décision de photographier certaines personnes, tout en en ignorant d’autres. Les technologies de surveillance reposent sur un équilibre délicat dans notre culture contemporaine entre protection et intrusion, où nous sommes tous photographiés à notre insu par les téléphones cellulaires, les caméras cachées.

Ken Rinaldo est un artiste et théoricien qui crée des installations multimédias interactives qui brouillent les frontières entre l’organique et l’inorganique. Il a travaillé à l’intersection de l’art et de la biologie depuis plus de deux décennies en robotique interactive, art biologique, vie artificielle, communication inter espèces, imagerie numérique et prototypage rapide. Ses œuvres ont été commandées et exposées dans divers musées, galeries et festivals (Perth, Madrid, Linz, Kiasma, Sydney, Chicago, Séoul, Rotterdam, Los Angeles, San Francisco).

Amy Franceschini – Finger Print Maze

Amy Franceschini
Finger Print Maze

Fingerprint Maze est une installation artistique qui utilise le langage des jeux vidéo pour nous laisser errer dans un labyrinthe en 3D construit à partir de notre propre empreinte digitale scannée. En jouant un jour aux jeux vidéo avec des amis, Amy Franceschini a imaginé pénétrer à l’intérieur de sa propre empreinte et chercher son chemin à l’intérieur de gorges tortueuses comme on le ferait à l’intérieur d’un labyrinthe. Un scanner prend l’empreinte digitale d’un participant, la modélise en un labyrinthe virtuel en trois dimensions et l’image est ensuite projetée sur un mur. Le participant peut alors entrer dans le labyrinthe de son empreinte digitale comme s’il s’agissait d’un labyrinthe topiaire.

Amy Franceschini est une pionnière dans le domaine du net art, une forme d’art qui est créé, distribué et vécu au travers d’Internet. Elle est la fondatrice de Futurefarmers, un groupe collaboratif entre art et design consacré à l’expression des intérêts environnementaux et communautaires au travers des médias numériques. Amy Franceschini a également contribué en 1995 au démarrage d’Atlas, un magazine en ligne et a enseigné l’art et le design dans différentes écoles, ainsi qu’à l’université de Stanford. Elle a exposé au Yerba Buena Center for the Arts, au Cooper-Hewitt, au National Design Museum et à la Transmediale de Berlin. Elle a été invitée, avec Futurefarmers à participer à la Whitney Biennal 2000.

Cédric Parizot & Douglas Edric Stanley – A Crossing Industry

A Crossing Industry est un jeu vidéo en cours d’élaboration qui plonge le joueur dans le monde de l’industrie informelle du passage qui prospère au 21ème siècle le long des frontières séparant les pays pauvres des pays riches de la planète. Fondé sur la recherche de terrain d’un ethnographe (Cédric Parizot), en Israël/Palestine, il explore de nouvelles formes d’interaction entre la recherche et la création artistique. Sa réalisation implique les étudiants de l’Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, sous la direction de Douglas Edric Stanley, artiste et enseignant. Ensemble, ils s’emparent de la recherche et des réflexions de Cédric Parizot sur l’industrie de passage frontalier pour développer une démarche artistique avec ses propres enjeux esthétiques et narratifs.

Auteurs : Cédric Parizot – anthropologue, chargé de recherche au CNRS (Institut de Recherche et d’Etudes sur le Monde Arabe et Musulman (AMU, Aix en Provence) et Douglas Edric Stanley – artiste et enseignant (Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence)

Etudiants de l’Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence : Tristan Fraipont, Emilie Gervais, Matthieu Gonella, Martin Greffe, Bastien Hude

Iconographie : Matthieu Gonella

Pour plus d’éléments sur cette expérimentation, voir A Crossing Industry, un jeu vidéo documentaire et artistique