Jean Cristofol – L’art aux frontières

Jean Cristofol
L’art aux frontières

Ce texte est celui d’une conférence prononcée en novembre 2012 dans le cadre du BRIT (Borders Régions In Transition) à Fukuoka, Japon.

Le point de vue que je voudrais présenter ici tient à la place que j’occupe dans le groupe de recherche de l’antiAtlas des frontières. J’enseigne la philosophie et l’épistémologie dans une école d’art. Je ne suis donc pas un spécialiste des frontières, mais de la théorie de l’art et je m’intéresse plus particulièrement aux relations entre arts, sciences et technologies.

1 – Pour simplifier les choses, on peut considérer qu’il y a deux façons d’aborder la question des relations entre l’art et les technologies. La première consiste à penser que les technologies sont simplement de nouveaux moyens dont l’art peut se saisir. Selon ce point de vue, elles ne changent rien d’essentiel à l’art et à la façon dont on peut comprendre sa place dans la société. Elles s’ajoutent comme une couche supplémentaire, ou elles déplacent l’art vers les médias de masse.

La seconde consiste à penser que les technologies ne sont pas seulement une question de moyens. Elles supposent des transformations profondes des relations de l’art à la connaissance. Elle contribuent à modifier la place et le rôle de l’art dans la société. Ce faisant, elles transforment la notion même de l’art.

Dans la relation entre l’art et les sciences, l’art est souvent considéré comme l’illustration d’une réalité, ou comme son symptôme, ou bien comme le moyen de transmettre ou de vulgariser une connaissance. Ce n’est pas le cas ici. Nous considérons l’art comme une pratique à part entière qui, à la fois, interroge une réalité, l’explore, en dévoile des aspects, la propose à une expérience sensible et mentale.

En tant que pratique, l’art implique des connaissances, des savoir-faire, des formes de confrontation critique à la réalité, une façon de questionner la place du sujet de la pratique, c’est-à dire celle de l’artiste, dans son rapport au réel, et de proposer une relation construite et réfléchie à autrui dans une expérience partageable. La pratique artistique n’est donc pas une pratique scientifique. Par contre elle est une pratique constituée et productrice de formes, bien sûr sensibles mais aussi signifiantes, et une façon d’interroger la réalité, de la questionner, de la confronter à ses possibles.

L’un des effets fondamentaux des technologies est la façon dont elles modifient notre relation à l’espace et au temps. Or l’espace et le temps, la façon dont ils sont perçus et vécu, dont ils donnent un cadre à notre expérience sensible, sont au coeur des pratiques artistiques. C’est la première chose qui m’intéresse ici.

La seconde est le fait que les technologies, quand elles sont des technologies de l’information, modifient profondément les formes des relations des individus entre eux et à la collectivité, et en particulier les modalités de leur inscription dans l’espace.

Mais une autre conséquence des technologies est importante. C’est qu’elles transforment profondément le statut de ce qu’on appelle une représentation et d’abord le statut des images.

D’une certaine façon, on peut considérer que les relations de l’art avec une réalité sociale comme les frontières est significative de ces transformations, parce qu’elles en font jouer tous les éléments. Et depuis une trentaine d’années, la question de la frontière s’est placée au coeur des travaux de nombreux artistes. Ce n’est pas pour rien. Quelque chose s’est passé qui fait que la frontière est devenue un « objet » des pratiques artistiques ou un « champ » d’intervention artistique, et pas seulement un aspect du paysage, par exemple, ou un élément de décor pour une fiction. C’est directement à la frontière dans sa réalité que les artistes se sont confrontés.

2 – Les frontières viennent interroger des aspects en quelque sorte structurels de notre relation à l’espace et au temps. Elles témoignent de nos façons d’organiser l’espace, de circuler, de communiquer. Elles constituent des éléments majeurs de notre façon de nous représenter le monde dans lequel nous vivons et de nous représenter notre place et notre position dans ce monde.

L’espace concret et le temps vécu ne sont pas seulement des réalités objectives extérieures, ou des impressions subjectives et personnelles, ce sont d’abord des productions collectives. Et cette production engage à la fois des processus matériels et des processus mentaux ou culturels. Elle est à la fois technique et imaginaire. Autant dire qu’elle touche directement aux éléments mêmes que viennent travailler les artistes : l’espace et le temps, la perception, l’émotion et l’imaginaire.

Nous connaissons la figure classique de la frontière, telle qu’elle apparaît essentiellement sur les cartes géographiques : une ligne qui sépare des territoires par le dessin de leur périphérie. Bien sûr, cette représentation est réductrice et contestable, mais elle structure l’imaginaire collectif et elle garde une efficacité. En Europe, il a fallu parfois plusieurs siècles pour que la répartition des espaces passe de la désignation des villes et des villages, avec les terres qui leurs sont attachées, à l’inscription précise et continue d’une ligne abstraite qui vient redéfinir la réalité concrète des lieux et des paysages. Cette inscription suppose le développement des techniques de la représentation cartographique. C’est elle qui permet l’intervention des géomètres, des militaires, des représentants de l’autorité politiques et de tous ceux qui vont contribuer à rapporter au territoire ces tracés et à préciser en retour le dessin de la carte.

C’est là un premier élément essentiel quand on s’intéresse à la représentation de la frontière : la figure « moderne » de la frontière, considérée comme une ligne qui dessine un territoire en le séparant d’un autre territoire, implique déjà la projection active d’une représentation dans la réalité physique. Si la frontière produit du territoire et de la représentation du territoire, la représentation cartographique contribue à produire de la frontière. La frontière linéaire est déjà une représentation projetée sur l’espace concret que nous habitons et que nous transformons. D’une façon générale, nos représentations ne sont pas seulement des reflets du monde qui nous entoure, elles contribuent à l’organiser, à le structurer, à le constituer en objet d’expérience et de  connaissance. Elles contribuent à le produire réellement.

L’espace mondialisé dans lequel nous vivons n’est plus un espace homogène et continu comme celui que la frontière linéaire partageait. C’est un espace multidimensionnel dans lequel les flux de transport, d’échange et de communication génèrent des « sphères » spatio-temporelles profondément différentes. Ces « sphères » répondent à des organisations de l’espace et à des rythmes qui vont du plus large au plus étroit, du plus rapide et changeant au plus lent. Elles sont essentiellement constituées de réseaux.

Il ne s’agit donc pas seulement de penser à la fois le local et le global, comme s’il n’y avait fondamentalement que deux ordres et deux niveaux de réalité, mais toute une série de plans, largement entrecroisés, entre lesquels se distribuent nos activités, à l’échelle sociale comme à l’échelle individuelle. Nous sommes passés d’un espace homogène et continu à un espace informationnel, discontinu et constitué de plans à la fois spécifiques et interdépendants, dans et entre lesquels nos actions et nos stratégies dessinent des configurations complexes. Quand on oppose le local et le global on continue de jouer sur une logique de l’inclusion, du tout et de la partie, de l’élément et de l’ensemble. Ce n’est plus le cas d’un espace multidimensionnel, dont les plans ne sont plus homogènes et résistent à la mise en ordre d’un jeu d’emboitement.

La frontalière linéaire impliquait un effet de superposition des différentes dimensions, politique, économique, culturelle. Dans la complexité des flux, sa structure linéaire n’est plus qu’un élément stratégique dans un ensemble de sphères de circulations entre lesquelles ses fonctions se distribuent. Les échanges économiques, la circulation des capitaux, la circulation des informations et des biens culturels, les usages linguistiques, les différents niveaux d’intégration juridique, la circulation des personnes, tout cela se joue maintenant à des échelles relativement distinctes et engage des modalités de gestion et de contrôle différentes. Dans cet ensemble mouvant, la frontière est devenue un dispositif de contrôle des flux, et plus particulièrement des flux humains, un opérateur de filtrage, bien plus qu’une limite définissant des espaces homogènes ou proposés à une homogénéisation.

3 – C’est en partie parce que les marchandises et les capitaux transitent largement ailleurs et autrement, que les frontières linéaires physiques peuvent devenir des dispositifs complexes et hyper spécialisés de contrôle des populations. C’est ce qui permet qu’elles se soient souvent durcies dans des architectures militarisées, jalonnées de checkpoints. Ce sont des outils au service de stratégies politiques dans lesquelles les enjeux d’image et de communication sont déterminants. L’une de leurs caractéristiques est bien d’être visibles et tangibles, de pouvoir être photographiées et filmées, de produire et de théâtraliser la fixation des opérations de contrôle et des populations qui en font l’objet. L’une de leurs fonctions est de se prêter à la représentation et d’en jouer.

Inversement, les frontières ne sont pas que des murs aveugles, elles sont d’abord des dispositifs de détection, de captation, de repérage, de suivi, de saisie et d’analyse. Caméra de surveillance, camera infra rouge, capteurs de mouvement et de chaleur, rayons X, etc., les systèmes de contrôle sont largement des systèmes de vision et de captation des signaux. La frontière ne fait pas que se montrer, elle regarde, enregistre, elle produit de l’image et du signe, elle envoie et reçoit de l’information. Elle n’est pas seulement un objet de représentation mais aussi un élément structurant d’un système complexe de production des représentations. La question est alors de ce qui est, mais aussi de ce qu’on voit et de ce qu’on ne voit pas, de ce qui apparaît et de ce qui n’apparaît pas.

Du point de vue de la motivation des artistes, les raisons qui expliquent la présence du thème des frontières sont évidemment d’abord d’ordre moral et social, elles touchent à des valeurs et à des choix fondamentaux de vie et de société, des valeurs politiques au sens fort du terme. Mais il ne s’agit pas seulement d’engagement sur des valeurs humanistes générales.

Le cadre dans lequel s’est construit la citoyenneté à l’époque moderne est pour l’essentiel celui de l’Etat et de la nation. C’est aussi le cadre dans lequel les frontières telles que nous les connaissons se sont constituées. Les transformations des frontières accompagnent celles de l’Etat et par delà de la citoyenneté, elles impliquent donc une transformation des relations de l’individu à la société, et cela de façon très concrète.

Les systèmes de contrôle qui sont mis en place, et dont les frontières sont une expression spatiale, concernent aujourd’hui les individus dans leur existence singulière. Les individus sont en quelque sorte « tracés ». Ils sont identifiés dans des banques de données, suivis dans leurs mouvements et leurs activités, classés en groupe et en catégories suivant des critères propres aux systèmes de contrôle. Le franchissement de la frontière sera profondément différent selon qui on est, selon ses origines, sa nationalité, son genre et son sexe, son statut social, l’endroit d’où on vient, son groupe ethnique, etc… La frontière pose directement une question d’identité qui ne s’arrête pas seulement à l’espace géographique des Etats et à la nationalité, mais qui accompagne et détermine le statut des personnes dans toute leur existence comme individus. Les enjeux liés aux frontières posent de façon exemplaire la question de la place de l’individu dans la société, comme elle pose la question des libertés individuelles et publiques.

L’art est l’un des domaines où se joue la relation de l’individuel et du collectif, du subjectif et du social, du personnel et du général. Il interroge la relation de chacun au langage, aux formes, aux conditions culturelles de l’expérience sensible. Il met en jeu les formes de leur appropriation personnelle et leur possibilité d’être partagées.

Si l’on accepte que les frontières se pensent aujourd’hui dans leurs relations aux flux qui déterminent l’espace concret et aux enjeux de la représentation, on comprend mieux la place qu’occupent les artistes, le sens de ce qu’ils entreprennent. Ils ne figurent pas les frontières au sens où le ferait un paysage, ils renvoient le dispositif complexe dont elles sont un élément à son propre fonctionnement, ils font jouer les unes avec les autres les pièces d’un ensemble pour en manifester la logique et les effets. Ils montrent comment les individus traversent les frontières pour révéler comment les frontières traversent les individus. Il me semble que l’un des enjeux majeurs est justement de dépasser l’effet de fixation que porte la frontière pour faire apparaître ce qui circule et ce qui ne circule pas, pour repenser le mouvement et ce qu’il signifie, pour renvoyer l’une à l’autre la réalité et l’expérience de façon à en éclairer réciproquement le sens.

4 – La situation des artistes par rapport aux flux et aux réseaux ne peut plus alors être une simple relation d’extériorité. C’est là sans doute la première différence avec le modèle que nous donne la relation au paysage, celle qui pose un sujet sensible devant une réalité dont il est en quelque sorte le premier spectateur. Le paysage est un « objet » constitué, produit, de la représentation. Il met en oeuvre une relation particulière au monde qu’on perçoit, le monde naturel d’abord, puis par analogie le monde urbanisé, artificialisé, travaillé, transformé. Mais cette relation repose sur une forme d’extériorité et de distance : le paysage est devant moi et je ne peux le percevoir comme tel que par un effet de recul et d’extériorisation. C’est bien ce que manifeste le moindre belvédère; c’est aussi ce que suppose l’effet de cadrage, de composition ou bien de parcours et de balayage qui structurent le point de vue et commandent le regard.

Certains chercheurs, comme Anne Volvey, parlent d’un « tournant spatial » de l’art contemporain dans les années 60 (1). L’apparition du Land Art aux Etats-Unis en serait la première manifestation. Le Land Art donnerait à ce tournant sa matrice et son modèle sur le plan à la fois méthodologique, en introduisant des « pratiques de terrain » dans l’activité artistique, et politique, par l’engagement du « collectif social » dans des situations artistiques. Ce « tournant spatial » s’effectue dans un mouvement d’opposition et de contestation des institutions artistiques classiques, dont les lieux sont coupés du monde réel. Il conduit à rompre avec la relation d’extériorité entre le sujet de la contemplation et l’oeuvre d’art considérée comme un objet plus ou moins isolé et fétichisé.

Mais ce processus de rupture est aussi une remise en question de la fonction de représentation. Par exemple, on n’est plus dans une relation au paysage comme image, mais dans une investigation du territoire comme le champ d’une expérience esthétique et signifiante. Il ne s’agit donc pas de placer un objet d’art dans un lieu, ni d’esthétiser un espace, ce qui reviendrait à l’objectaliser, à le transformer en objet de contemplation, mais de le constituer artistiquement comme l’espace d’une expérience. Il s’agit de « produire du territoire » ou si l’on préfère, et si l’on accepte l’idée que le territoire est toujours « produit », de constituer cette activité de production comme la source d’une expérience consciente et sensible.

Il s’agit donc d’interroger notre relation à l’espace et au territoire, mais de la questionner et de la penser dans sa relation au possible, c’est à dire comme un processus ouvert et nous engageant dans des choix. C’est pourquoi les pratiques artistiques sont conduites à s’inscrire dans un contexte traversé de tensions, d’enjeux politiques et économiques, de contradictions sociales. La question est moins celle de la représentation des frontières que celle de leur exploration et de leur perturbation.

5 – Il faut toutefois souligner que les évolutions que dénotent le « tournant spatial » de l’art contemporain ne concernent pas que le Land Art, et qu’elles ne concernent pas que la relation à l’espace. Le développement des pratiques de la performance, de l’action, du Happening, témoignent à la fois du déplacement de la représentation vers le corps lui-même et vers la situation et la relation vivante aux autres, le déplacement de la pratique dans le champ social. Et un troisième terrain s’ouvre autour des médias et des systèmes de communication qui deviennent en tant que tels des champs d’expérimentation artistique. C’est par exemple le cas de Fred Forest qui, dès la fin des années 60, va utiliser le téléphone, le fax, le minitel, puis plus tard l’ordinateur, pour créer des environnements participatifs.

C’est donc d’une façon générale qu’il faut prendre en compte les déplacements des pratiques artistiques de l’objet de représentation vers la mise en oeuvre de situations, de formes interactives, d’interventions susceptibles de perturber un environnement ou d’en activer les potentialités poétiques, esthétiques ou politiques. En 1968 , le critique et théoricien de l’art américain Jack Burnham faisait déjà remarquer :

« The specific function of modern didactic art has been to show that art does not reside in material entities, but in relations between people, and between people and the components of their environment » (3).

Or les technologies numériques conduisent de nouveau à retravailler la place et la nature des représentations. Elles nous invitent aussi et autrement à mettre en question cette relation d’extériorité qui était celle de la représentation et de l’image au sens classique. La réalité même des images s’en est trouvé modifiée, et le régime des images n’est plus celui de l’imitation mais celui de la simulation. Cela signifie que ces images ne sont plus des image-objets, ou qu’elles ne le deviennent que secondairement, par le biais d’une opération d’incorporation provisoire sur un support solide. Elles sont d’abord de l’information et du traitement de l’information, de la circulation de données et de l’émulation d’interface. Avant d’être devant nous, les images sont d’abord des éléments des flux d’informations qui nous environnent, que nous transformons et que nous partageons.

Les formes d’organisation des technologies de l’information sont réticulaires. Elles décrivent bien ce qu’on pourrait appeler un espace, mais en soulignant immédiatement que cet espace n’est pas de l’ordre de l’étendue, mais de la circulation et du flux, de la boucle et de l’interaction. C’est l’espace virtuel. Cela pose évidemment la question des limites et des formes. L’espace territorial classique répondait à des étendues physiques bornées par des limites, les frontières. Dire que l’espace concret est maintenant déterminé par des flux et des réseaux, s’est bouleverser les logiques anciennes et ouvrir des potentialités nouvelles.

Elles se présentent, par exemple, comme la possibilité de reconsidérer profondément l’idée de communauté, ou de lien social, par l’ouverture d’espaces virtuels de partage du savoir, d’échange et de débat, de rencontre et de mobilisation. Or ces communautés ont maintenant des caractéristiques particulières : elles sont provisoires et mouvantes, elles reposent sur des choix et des formes de participation, elles ne tendent plus à englober la personne dans les différents aspects de sa vie mais elles sont partielles, multiples et entrecroisées. Surtout, ces communautés se s’ancrent plus seulement dans un espace physique circonscrit, mais dans des espaces virtuels dont la réalité est faite de flux et de réseaux.

Les formes réticulaires sont intéressantes parce qu’elles ne correspondent pas seulement à une autre façon d’organiser l’espace, mais à y distribuer des fonctions et des valeurs. Elles impliquent par exemple une redéfinition profonde de la distinction ancienne entre espace public et espace privé, entre l’ordre de l’individuel et du collectif. L’un des enjeux dominant est devenu celui des modalités de l’articulation entre le monde virtuel et le monde réel. C’est vrai sur le terrain économique et financier. C’est vrai aussi sur le terrain de la relation entre les gens. C’est vrai dans notre capacité à penser et à imaginer notre devenir collectif. C’est évidemment au coeur du geste artistique.

L’art consiste alors à intervenir dans un contexte, à s’inscrire dans le monde extérieur pour générer une situation particulière. Ce qui constitue le caractère artistique de cette situation n’est pas nécessairement le fait qu’elle soit essentiellement différente des situations du quotidien, ce n’est pas nécessairement sa « nature », c’est qu’elle soit proposée comme une expérience à vivre et à penser en tant que telle.

Il en résulte que l’art est surtout le champ où les représentations se trouvent mises en jeu de façon significative, complexe, inventive, peut-être contradictoire, en tout cas réfléchie et jusqu’à un certain point critique. Si l’art peut intéresser les chercheurs, au moins certains d’entre eux, c’est parce qu’il se présente comme une sorte de laboratoire d’idées, de situations et de formes.

Notes :

1 Anne Volvey, Land Arts, Les fabriques spatiales de l’art contemporain, Spatialités de l’art, Travaux de l’Institut de Géographie de Reims, n° 129-130, 2008.

2 Jack Burnham, Systems Esthetics, Artforum, septembre 1968.

Jean Cristofol

Jean Cristofol a fait parallèlement des études de droit et de philosophie. Il est professeur à l’Ecole Supérieure d’Art d’Aix en Provence où il enseigne la philosophie et l’épistémologie et il est chargé de cours à l’Université d’Aix-Marseille (master pro arts plastiques). Il travaille principalement sur la relation entre arts et technologies, ainsi que sur les formes de temporalité et de spatialité et sur leurs médiations. Ses recherches ont essentiellement porté ses dernières années sur les notions de temps réel, de flux et de fiction. Il est membre du comité scientifique et artistique de L’antiAtlas des frontières. (www.plotseme.net)

Magali Daniaux & Cédric Pigot – Cyclone Kingkrab & Piper Sigma

Magali Daniaux & Cédric Pigot
Cyclone Kingkrab & Piper Sigma
Live stream + Micro fictions

Nous étions à la recherche de lieux où le réchauffement climatique est considéré comme une opportunités de développement, quand nous avons été frappés par un article dans le Figaro, décrivant Kirkenes comme le futur Singapour ! Nous avons décidé d’aller à Kirkenes, au nord de la Norvège, à la frontière russe le long de la mer de Barents. Cette région est une zone importante : avec la fonte des glaces, un passage vers l’Asie s’est créé. Kirkenes, avec son port en mer profonde, va devenir une zone géostratégique comme Sigapour. Mais Kirkenes est également pleine de ressources (pétrole, gaz, bois, minerai). Son emplacement a également une importance géopolitique, la frontière avec la Russie est également la frontière avec l’espace Shengen.

Nous avons déployé une station vidéo permanente, pointée sur la ville et le port. Pendant notre séjour, nous avons écrit une série de 11 textes inspirés par les questions économiques et géostratégiques de la région de Barents, sous une forme calquée sur les événements Facebook. A la fin, les textes sont devenus 11 histoires audio, parlant d’argent, de pétrole, et de réchauffement global.

Depuis qu’ils se sont rencontrés il y a dix ans, le travail commun de Magali Daniaux et Cédric Pigot s’articule autour d’expérimentation et performance. Leurs pièces associent divers media et associent des éléments opposés, avec un goût particulier pour les relations entre la science-fiction et les formes documentaires, l’ingénierie de haute technologie et les contes fantastiques, les matériaux lourds et la sensation de flottement. Débutant avec des installations et des objets plastiques, leur travail s’est par la suite orienté vers des actions artistiques plus immatérielles. Videos, art sonore, musique, recherches olfactives, travaux virtuels frôlant les arts numériques, forment depuis les trois dernières années un cycle de travaux autour du changement climatique, de questions économiques, politiques et géostratégiques, du développement urbain et de gestion alimentaire.

Streaming : mms://88.84.190.77/cam11

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Magali Daniaux & Cédric Pigot – Arctic Tactic

Magali Daniaux & Cédric Pigot
Arctic Tactic
Documentaire radio : 46 min

Kirkenes, Nord de la Norvège, frontière russe, Festival Barents Spektakel, février 2011, -25°. La Reine, des ministres, ambassadeurs, politiciens, diplomates, architectes, artistes, journalistes et chercheurs étaient présents et nous ont donné le plan… Une immersion sonore dans les questions politiques, économiques, géostratégiques et urbaines de l’Arctique aujourd’hui.

Depuis qu’ils se sont rencontrés il y a dix ans, le travail commun de Magali Daniaux et Cédric Pigot s’articule autour d’expérimentation et performance. Leurs pièces associent divers media et associent des éléments opposés, avec un goût particulier pour les relations entre la science-fiction et les formes documentaires, l’ingénierie de haute technologie et les contes fantastiques, les matériaux lourds et la sensation de flottement. Débutant avec des installations et des objets plastiques, leur travail s’est par la suite orienté vers des actions artistiques plus immatérielles. Videos, art sonore, musique, recherches olfactives, travaux virtuels frôlant les arts numériques, forment depuis les trois dernières années un cycle de travaux autour du changement climatique, de questions économiques, politiques et géostratégiques, du développement urbain et de gestion alimentaire.

Atelier de Création Radiophonique, France Culture Radio. Chroniques des mondes possibles, Festival Seconde Nature, Aix en Provence 2013

Ken Rinaldo – Drone Eat Drone: American Scream

Ken Rinaldo
Drone Eat Drone: American Scream
Installation

Cette pièce se compose de deux drones Reaper entrant en collision, montés sur un aspirateur Roomba cracké et reprogrammé. Sur la base du robot s’élève une maison de campagne bucolique, avec des hommes et des vaches miniatures. La pièce évoque les problèmes de la diffusion de l’utilisation des drones, au départ utilisés comme des robots militaires autonomes et qui apparaissent aujourd’hui sur les marchés domestiques du le monde entier.

Comme le savent ceux qui étudient les technologies et les questions de frontières, les drones sont devenus une arme de premier choix pour traverser les frontières et mener des guerres non déclarées. Ces drones et la technologie qu’ils emploient jouent un rôle grandissant dans la politique mondiale et particulièrement dans l’industrie militaire aux Etats-Unis et dans le reste du monde.

Alors que les lobbyistes cherchent à financer davantage de robots militaires et que nous sommes proches de drones autonomes capables de décider par algorithme si une personne est un combattant ennemi ou non, ce travail critique les alliances commerciales telles que celle d’IRobot (producteur de robots militaires et de l’aspirateur domestique Roomba) et des frabricants de drones General Atomics. La pièce questionne et défie cet acte de guerre continue et ses effets sur les populations civiles, surtout dans les régions cibles comme le Pakistan, la Somalie et le Yemen. Le Bureau de journalisme d’investigation basé au Royaume Uni a découvert que sur une période de neuf ans, 400 civils dont 94 enfants ont été tués, en 372 vols.

Cette pièce questionne également la notion de frontières, là où les pays et les lobbys du gouvernement investissent dans l’usage des nouvelles technologies ce qui vient perturber les notions d’autonomie et de frontières.

Drone eat drone est lui même un robot autonome car il utilise une intelligence artificielle programmée par l’artiste. Celui-ci a cracké la programmation et la logique de l’aspirateur Roomba qui révèle beaucoup de similitudes avec les robots militaires.

La pièce confronte les terres des pays étrangers avec l’espace de notre salon et cherche à aider à comprendre les relations entre la consommation de biens domestiques et les complexes de l’industrie militaire qui contrôlent et manipulent de plus en plus la politique étrangère à travers ces machines à tuer robotiques et autonomes.

Ruben Hernandez Leon – L’industrie de la migration: recenser les relations entre passeurs, acteurs du contrôle et du secours dans les migrations internationales

Ruben Hernandez Leon – University of California, Los Angeles, USA
Dans cette présentation, je montrerai que l’industrie de la migration joue un rôle plus important dans la structuration de la mobilité humaine à travers les frontières que cela n’a été envisagé par la plupart des théories sur les migrations internationales. J’identifie trois premières formes d’industrie de la migration: les animateurs classiques de la migration, l’industrie florissante du contrôle et de l’industrie du soi-disant sauvetage. J’utilise ensuite le cadre théorique défini par Zolberg dans “Strange Bedfellows of American Immigration Politics” qui explique les alliances inhabituelles que nouent ces différents acteurs en place dans le domaine de l’immigration, pour mieux localiser et identifier les liens de ces acteurs avec l’industrie de la migration. Enfin, j’envisagerai les déplacements de ces acteurs à travers différentes ensembles ou groupes (profit/non-lucratif, facilitation/control, pro-immigration/anti-immigration). Je soulignerai ainsi que loin d’être opposés ces acteurs établissent des liaisons régulières au moyen de plusieurs ponts et d’infrastructures.

Voir les slides de la conférence

Voir le programme complet du colloque antiAtlas à Aix-en-Provence en 2013

Charles Heller – Les frontières maritimes de l’UE : strier la mer


Charles Heller, Centre for Research Architecture, Goldsmiths College – University of London/ Watch The Med project

Parce que toute trace sur l’eau semble être immédiatement dissoute par les courants, les mers ont longtemps été associées à un présent permanent, qui résiste à toute écriture de l’histoire. L’étendue de liquide infini a également représenté un défi pour la gouvernance: l’impossibilité de dresser des frontières stables dans des eaux en constante mouvement a conduit à considérer les mers comme un espace de liberté absolue et de circulation – les «mers libres». Dans cette présentation, je vais montrer qu’au contraire, les mers sont de plus en plus documentées et partagées, et ceci de manière inextricable. Un appareil de détection complexe est fondamental pour une forme de gouvernance qui associe la division des espaces maritimes et le contrôle du mouvement et qui instrumentalise le chevauchement partiel et la nature élastique des juridiction maritimes et des lois internationales. C’est dans ces conditions que les régimes de migration imposés par l’UE fonctionnent, ils étendent sélectivement les droits souverains par des patrouilles en haute mer, tout en rétractant parfois la responsabilité, comme dans les nombreux cas de non-assistance aux migrants en mer. A travers les politiques et les conditions de la gouvernance maritime organisées par l’UE, la mer se transforme en un liquide mortel – la cause directe de plus de 13.000 décès documentés au cours des 15 dernières années. Cependant, en utilisant des appareils de télédétection de la Méditerranée contre le grain et violations spatialisation des droits des migrants en mer, je vais démontrer qu’il est possible de ré-inscrire responsabilité dans une mer d’impunité.

Voir le programme du colloque antiAtlas, Aix-en-Provence 2013

Stéphane Rosière – Les frontières internationales entre matérialisation et dématérialisation


Stéphane Rosière – Géographe, Université de Reims, France

Les frontières internationales contemporaines sont caractérisées par un processus, en apparence contradictoire, de virtualisation ou d’effacement et de matérialisation. La virtualisation résulte de la porosité grandissante des frontières traversées par des flux de plus en plus importants. Les frontières s’effaceraient donc, ou se feraient «discrètes», elles seraient aussi marquées par une logique de délinéarisation et déterritorialisation (développement de frontières “punctiformes”, comme dans les aéroports). Cependant, dans le même temps, les frontières sont marquées par un processus de sur-matérialisation avec la construction de nombreuses “barrières” (Israël, États-Unis, Arabie saoudite, Ceuta et Melilla, etc.) souvent appelées “murs”. Cette présentation tentera de montrer comme ces dynamiques, loin d’être contradictoires, sont plutôt liées dans une logique de hiérarchisation des flux dans laquelle l’homme apparaît plus problématique que les marchandises.

Voir les slides de la conférence et également l’interview de Stéphane Rosière sur ce site.

Voir le programme complet du colloque antiAtlas, Aix-en-Provence 2013

Joana Moll – La surveillance par les réseaux sociaux le long de la frontière américano-mexicaine


Joana Moll, artiste, Espagne

The Texas Border et AZ: move and get shot sont deux œuvres d’art numérique qui explorent le phénomène de la surveillance sur Internet effectué par des civils à la frontière entre le Mexique et les États-Unis à partir de plateformes mises en place par les autorités américaines. Beaucoup de ces plateformes en ligne sont apparues lors du développement des réseaux sociaux dont la structure a été adoptée comme une alternative moins chère et plus efficace pour surveiller la frontière. Ainsi, l’activité de loisir est devenue un outil pour la militarisation de la société civile. Cette présentation exposera le processus de recherche derrière les deux œuvres d’art et analysera l’évolution de certaines de ces plateformes internet depuis leur création jusqu’à nos jours.

More informations: slides of the conference, Joana Moll’s website.
See the full program of the antiAtlas conference, Aix-en-Provence 2013

Cédric Parizot, Antoine Vion, Wouter van den Broeck – Israël Palestine sous les cartes


Cédric Parizot – anthropologue, IMéRA, IREMAM, AMU/CNRS, France, Antoine Vion – sociologue, LEST, AMU/CNRS, France, Wouter van den Broeck – artiste, Addith, Belgium

« Israël Palestine sous les cartes » est un projet de visualisation dynamique des chaînes relationnelles développées par un anthropologue au cours de ses enquêtes de terrain dans l’espace israélo-palestinien (2005-2010). Ce travail exploratoire implique un anthropologue (Cédric Parizot), un sociologue (Antoine Vion) et un spécialiste de visualisation de données complexes (Wouter Van den Broeck). Le premier objectif est d’analyser sous un autre angle le niveau d’imbrication entre espaces israéliens et palestiniens. Le second est de confronter les trois chercheurs à des pratiques, des méthodologies et des données inhabituelles émanant d’autres disciplines. D’une part, en ayant recourt à un niveau beaucoup plus élevé d’abstraction, l’anthropologue opère un repositionnement radical par rapport à ses données de terrain. En dépit de la perte temporaire de la précision de l’observation anthropologique, cette visualisation dynamique lui offrira une compréhension plus globale du monde social dans lequel il a évolué. D’autre part, cette expérience permettra au sociologue et à l’anthropologue de mieux apprécier les conditions de production de leur connaissance, non seulement en tenant compte du fait que ces données sont situées dans le temps, dans l’espace et dans des interactions spécifiques, mais aussi et surtout en soulignant que l’anthropologue et le sociologue font partie intégrante du réseau-frontière qu’ils tentent de déchiffrer. En d’autres termes, ce projet implique l’anthropologue et sociologue à la fois en tant que chercheurs et en tant qu’objets de recherche. Enfin, en traitant un autre type de réseau complexe (impliquant moins d’individus, mais des couches plus complexes d’interactions), Wouter van den Broeck a l’intention d’expérimenter une nouvelle sémiologie de la cartographie de réseau applicable à l’étude des réseaux issus de la recherche qualitative.

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Steve Wright – Approches entreprenariales de la gestion militaire du changement climatique : du refuge à l’exclusion


Steve Wright, reader in Applied Global Ethics – Leeds Metropolitan University, UK

Si nous devons anticiper correctement et juger avec précision la trajectoire probable de futures réponses au changement climatique, l’hypothèse de travail doit être qu’il y a de fortes probabilités pour que les «solutions» proposées au cours des 50 prochaines années par les élites, les Etats et les entreprises seront nécessaires, mais pas suffisantes. Pour plusieurs pays, cela peut signifier la fin, d’autres seront confrontés à d’importantes migrations internes et d’autres à un exode massif vers des rivages étrangers, à mesure que les gens lutteront pour trouver la continuité. Cette présentation considère que les préparatifs pour répondre à ces défis seront tout à fait inadaptés. Les États prendront des mesures d’urgence dans la panique, incluant des entraves profondes à la liberté de mouvement. Les recherches passées ont traité de tels scénarios comme les catastrophes environnementales, mais cette présentation envisagent ces scénarios comme des options d’aménagements d’urgence qui ont déjà été structurés dans le cadre de planification d’Etat. Que pouvons-nous attendre lorsque la continuité des chaînes d’approvisionnement énergétique et alimentaire ne peut plus être garanti? Je présenterai ici des preuves que de nombreuses organisations militaires travaillent déjà sur les réponses au changement climatique du point de vue de la sécurité de l’Etat plutôt que dans une perspective de sécurité humaine.

Qu’est-ce que cela implique? Essentiellement, deux processus interdépendants font irruption: l’un fondé sur l’informatique, l’autre orienté sur les technologies d’exclusion physique systématique des citoyens non autorisées et basé sur une grande variété de systèmes coercitifs émergents. Les Etats disposent déjà de systèmes de contraignants aux frontières pour empêcher quiconque sans documentation de passer; et ceux-ci deviennent de plus en plus sophistiqués, avec différents moyens de reconnaissance, de surveillance et de suivi biométriques. La reconnaissance faciale et les systèmes de repérage de véhicules, conçus à l’origine en réponse à la “guerre contre le terrorisme”, peuvent être rapidement réorientés vers les réfugiés du changement climatique. Ces personnes ne seront pas officiellement désignées comme telles, car l’étiquette généralement péjorative d’immigrants illégaux facilitera une solution d’exclusion juridique, les réfugiés du changement climatique n’ont aucun statut juridique. Nous assistons déjà à un changement de paradigme en matière de sécurité entre les grandes puissances militaires pour reformuler le changement climatique en tant que menace majeure pour la sécurité. De même, l’armée, la police, les médias, le complexe sécuritaire universitaire sont déjà en train de renforcer leur capacité à définir de nouvelles mesures pour assurer la sécurité des frontières et de l’exclusion de cette zone. Ces nouvelles mesures et moyens incluent déjà des algorithmes non-humains ainsi que des éléments robotiques pour patrouiller les longues frontières. Une grande variété d’armes sublétales a également émergé. Elles peuventt être soit utilisées contre des foules par des humains ou exploitées par intelligence artificielle. Quelle est la probabilité de ces développements? Nous explorons ici la reconfiguration actuelle des principales manufactures de systèmes intelligents de clôtures, drones, sécurité robotique et les systèmes de patrouille ainsi que les technologies d’armes létales et subléthales ainsi que les doctrines qui répondent aux exigences de ces nouveaux marchés. La présentation se termine par une discussion sur certains dilemmes éthiques sur la façon de répondre à une telle fixation technique. Doit-on acquiescer (ce qui pourrait équivaloir à une collusion) , ou devrions-nous nous engager dans l’activisme de recherche pour révéler les conséquences sociales et politiques de systèmes de clôtures existantes comme celles récemment érigé au Bangladesh. Cette question éthique inconfortable sera au cœur de toute réponse politique intelligente aux migrations de masse induites par le climat. Devons-nous renforcer la résilience au sein des architectures modernes et des infrastructures ou faire une forteresse : un menu humain ou inhumain de solutions pour l’avenir ?

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Olivier Clochard & Laurence Pillant – Connected camps : les lieux d’enfermement en Europe et au-delà


Olivier Clochard – géographe, MIGRINTER, CNRS, MIGEUROP, France et Laurence Pillant – géographe, TELEMME, AMU/CNRS, France

Bien que les camps d’enfermement de migrants en Europe possèdent chacun leurs particularités et une histoire singulière, la justification de leur existence, de même que les appareils juridiques, politiques et économiques qui les sous-tendent se ressemblent et s’inscrivent dans des processus communs. L’approche par le réseau permet d’entrevoir ces lieux qui constituent aujourd’hui les frontières réticulaires de l’espace Schengen et de la politique européenne de voisinage (PEV), à savoir pour les autorités la recherche d’un bornage « exhaustif » dans et en dehors des territoires de l’Union Européenne. Il s’agira ici de définir les échelles et la mesure de ces liens entre les camps. Après analyse la représentation cartographique de ce réseau permet d’appréhender et de rendre visible ce phénomène d’enclosure régionale relative au contrôle migratoire européen.

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Federica Infantino – La frontière au guichet externalisé. Les effets de la coopération public/privé sur la mise en oeuvre de la politique des visas à Casablanca


Federica Infantino – politologue, FNRS/Université Libre de Bruxelles – Cevipol, Sciences Po Paris (CEE)

Cette contribution explore les réponses de l’État à l’immigration dans le cadre de mode de régulation qui impliqunt davantages d’acteurs non étatiques (Guiraudon & Lahav, 2000). Il se concentre sur le cas des États Schengen qui coopèrent avec des prestataires privés pour mettre en œuvre leur politique de visas. Cette présentation applique le cadre théorique de la bureaucratie de proximité à un champ d’étude inhabituel: la frontière politique plutôt que la politique sociale. Reposant sur une enquête de terrain approfondie de (12 mois) effectué dans les consulats de Belgique, de France, d’Italie et de leurs centres de demande de visa par rapport à Casablanca, elle étudie le processus d’externalisation des services de visa au Maroc. L’objectif est double: identifier les processus conduisant à la gouvernance publique/privé comme mode émergent de la gestion des frontières Schengen; évaluer comment cette coopération public/privé change les conditions de coopération dans lesquelles la politique des visas est mis en œuvre et modifier les politiques publiques.

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Anne-Laure Amilhat Szary, Sarah Mekdjian & Gladeema Nasruddin – Un anti-atlas des frontières vécues. Partager la sensibilité des migrants cartographes


Anne-Laure Amilhat Szary (PACTE, UJF/CNRS, France), Sarah Mekdjian (PACTE, UPMF/ CNRS, France), Gladeema Nasruddin (migrant demandeur d’asile)

Cette communication rend compte du projet, mené conjointement par des chercheurs, des artistes et des migrants, de cartographier l’entre-deux migratoire de manière créative et critique. Cette expérience d’ateliers de cartographie participative, entre art et science, porte aussi sur l’entre-deux d’un point de vue méthodologique, c’est-à-dire sur les conditions de mises en relation des acteurs d’un projet de recherche et de création. Comment créer un cadre d’échanges entre les chercheurs, les artistes et les personnes invitées en raison de leurs parcours migratoires ? Sur de nombreuses cartes scientifiques, les espaces parcourus par les migrants pendant leurs voyages sont souvent survolés par des flèches, qui désignent des flux ou la direction de trajectoires. Les expériences de franchissements frontaliers sont pourtant des événements très significatifs dans les histoires migratoires individuelles. Pour les personnes qui n’ont pas de droit de séjour, la frontière parcourue s’étend jusque dans les espaces dits d’accueil. Ainsi, à Grenoble, mais cela pourrait être ailleurs dans de nombreuses villes européennes, des voyageurs voyagent encore… Quatre dispositifs cartographiques, entre art et science, ont été proposées à douze personnes en situation de demande d’asile ou ayant obtenu le statut de réfugié, avec pour objectif de présenter des frontières vécues « expansées ». Même produite à partir d’une méthodologie participative, la carte n’est jamais dégagée d’enjeux de pouvoir. L’interaction avec les artistes a permis de diversifier le pouvoir de cet outil de médiation dans les relations entre les différents acteurs des ateliers. Raconter des souvenirs de voyages par la cartographie a constitué un cadre original et créatif d’échanges, aujourd’hui transmissible dans le cadre d’une exposition. La réalisation de cartes, sur quatre supports différents, a permis de contourner le registre narratif dominant connu par les demandeurs d’asile, c’est-à-dire le récit de vie chronologique et linéaire exigé par les administrations. Au service d’une projet scientifique, artistique et politique, la carte a ainsi permis de produire des formes originales de constitution de savoirs « indisciplinaires ».

Plus d’informations : Cartographies traversées, détails sur le projet, « Cartographies traversées » exposées au musée des Tapisseries.

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Micha Cardenas – L’outil transfrontière pour le migrant, la science de l’opprimé


Micha Cardenas – University of Southern California, USA

La science de l’opprimé est un terme qui a d’abord été utilisé par la philosophe féministe de Monique Wittig et qui a été plus tard adopté par les collectifs « artivistes » groupe particules et Electronic Disturbance Theatre 2.0. Ils proposent une approche de la production de connaissances qui ne revendique pas une position objective ou une approche motivée par le profit, mais qui est informée par une expérience de l’oppression et vise à contribuer à la justice sociale. Dans cette présentation performative, je vais présenter le travail de création du Transborder imigration tools effectué en collaboration avec le Electronic Disturbance Theater 2.0. A la fois outil médiatique perturbateur et virus pour les médias, il est conçu pour pourvoir à la subsistance poétique et physique des personnes qui traversent la frontière Mexique / Etats-Unis. Mon travail sur ce projet m’a permis de développer des pratiques inédites de science de l’opprimé, notamment dans le cadre d’un projet intitulé Réseaux d’Autonomie Locale/Autonets. Le but de ce second projet était de faire construire aux communautés locales des réseaux à la fois numériques et post-numériques, pour prévenir la violence contre les femmes transgenres de couleur, les personnes handicapées et les travailleurs du sexe. Autonets étend la science de l’opprimé à Femme Science et Femme Disturbance, utilisant le développement de relations comme stratégie pour à construire un monde sans prisons.

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